L’esbroufe du siècle

Partager

Si le journal français Le Monde est revenu sur la grande arnaque du golden boy en montrant comment Catherine Deneuve a succombé, au même titre que de nombreux autres artistes de renommée mondiale, à la tentation de l’argent facile, c’est la chaîne qatarie Al Jazeera, connue pour son hostilité à l’égard de l’Algérie, qui a tenté d’y mettre son grain de sel, en se mettant du côté de Abdelmoumen. Cette chaîne, qui lui a déjà ouvert son plateau, affirme en effet que ce dernier ne risque rien, car la police britannique n’a aucune charge contre lui. Le quotidien français Libération, a pour sa part consacré bien des articles, autant d’information et d’analyse sur l’affaire khalifa. De façon générale le presse française à intervalle régulier abordé le scandale Khalifa sous différents angles.

Pour sa part, Liberation a écrit que la faillite de Khalifa exigeait un procès à la mesure du « scandale du siècle », comme l’appela l’Ex chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia. Restait à savoir comment faire un tel procès – celui d’un trou de 1,3 milliard de dollars (1 milliard d’euros). – Ce quotidien a qualifié le procès d’extraordinaire partition qui s’est joué durant deux mois devant le tribunal criminel de Blida. Le 8 janvier, l’ouverture du procès, « après trois ans et demi d’instruction », aura été aussi spectaculaire que l’exigent la solennité du moment et la gravité du préjudice : imposant dispositif de sécurité, foule agglutinée à l’entrée du tribunal, 150 avocats, 300 témoins et 104 personnes accusées d’ « association de malfaiteurs, escroquerie, abus de confiance, falsification de documents officiels, transferts de fonds illicites… », parmi lesquelles des hauts fonctionnaires, des responsables d’entreprises publiques, des ministres de second rang ou l’ancien sélectionneur de l’équipe nationale de football. On en aurait oublié que sept des accusés sont en fuite. A commencer par Rafik Khalifa, réfugié à Londres, dont l’Algérie a rédigé la demande d’extradition de manière si approximative qu’elle était sûre que “Londres ne pourrait y répondre favorablement « .

« Procès de lampiste »

De son coté, la presse privée algérienne a bien noté qu’on risquait d’assister à un « procès de lampistes » (le Quotidien d’Oran), et que « tout le monde fait semblant de ne pas voir que les ultra puissants qui ont trempé dans l’affaire ne sont pas à la barre » (le Soir d’Algérie). Ce procès a réussi à sauver les apparences en ne craignant pas de dérouler pendant deux mois le récit hallucinant d’une arnaque financière qui a ruiné des centaines de milliers de petits et moyens épargnants algériens et mis des milliers de salariés au chômage.

Mais jamais les audiences n’auront touché à l’essentiel : les responsabilités au plus haut niveau de l’Etat. Le talent de la présidente de la cour, Fatiha Brahimi, qui a malmené des accusés à la mémoire qui flanche et tancé des ministres, y est pour beaucoup. Sa pugnacité a enraciné l’image d’une juge intègre et assuré la crédibilité des débats. Mais cette magistrate a montré une connaissance si pointue du dossier qu’elle n’a jamais laissé les débats déborder l’évidente ligne rouge fixée à ce procès. Une ligne rouge qui se résume, aujourd’hui comme du temps de la splendeur de Moumen, à une seule mais lancinante question : qui ?

Quel appui a-t-il fallu en effet à Rafik Khalifa pour bâtir cette success story qu’il jure « partie de rien » dans un pays où obtenir la moindre autorisation officielle relevait de l’exploit en cette fin de décennie 90 ? « L’opération relevait plus d’un blanchiment d’image que d’argent dans un système où les circuits de corruption n’ont pas attendu Khalifa pour fonctionner à plein. Les « décideurs » avaient en outre besoin d’une modernisation de façade de l’économie pour pouvoir continuer à détourner les richesses du pays », note Amid Lartane dans l’Envol du faucon vert, une fiction sur l’affaire Khalifa. Une analyse qui n’a pas démentie le réquisitoire du procureur général à Blida. « C’était, a-t-il expliqué, l’ouverture du marché économique. Elle coïncidait avec l’apparition d’un terrorisme aveugle qui a isolé le pays sur la scène internationale. Cette situation a poussé les dirigeants de l’époque à encourager l’investissement privé étranger et surtout local […]. »

Tout fut donc accordé au jeune Moumen. A commencer par l’agrément mystérieux de sa banque. Le tribunal le qualifie aujourd’hui d’ « acte criminel ». Mais seul un des sept membres de l’institution habilitée à accorder cet agrément est inculpé : Abdelwahab Keramane, l’ex-gouverneur de la Banque centrale d’Algérie, qui a été à l’origine du premier couac retentissant du procès en refusant de se présenter au tribunal. « Mon inculpation avant toute audition […] montre qu’il s’agit de désigner le coupable et de verrouiller l’instruction afin de protéger les vrais coupables », explique-t-il dans un long communiqué.

Dans une interview accordée à notre confrère le soir d’Algérie, Abdelwahab Keramane qualifie le procès de « cabale contre sa personne et sa famille ». Il est poursuivit avec son frère et sa nièce par la justice Algérienne, il affirme que son choix d’exil est une contrainte et il est poussé « par un pouvoir politique qui utilise la justice pour m’atteindre et qui pour cela agresse également mon frère et ma nièce », a t-il ajouté.

Les jeux de coulisses

Ayant ordonné sept contrôles de la Khalifa Bank en deux ans, il dit savoir de quoi il parle : dès la seconde inspection, il a convoqué Khalifa pour le « mettre en garde » contre les infractions à la législation sur les transferts de fonds à l’étranger et l’avertir de la « nécessité de maîtriser la gestion » de son établissement. En vain. Un témoin à la barre (1) : « Les crédits accordés aux clients étaient quatre fois plus importants que le capital de la banque, les déclarations sur le rapatriement de devises étaient fausses, les transferts de devises de Khalifa Airways à travers des contrats de leasing n’étaient pas autorisés. » Un autre témoin, chargé de la gestion de la caisse principale : « Je donnais sans cesse des millions de dinars et d’importantes sommes en devises à Khalifa et à d’autres responsables de la banque, sans chèque en contrepartie et sans le moindre reçu ».

C’est en tout cas dans les dix-huit mois suivant le départ du gouverneur de la Banque d’Algérie que la capitalisation de la Khalifa Bank a vraiment commencé, avec l’afflux des dépôts des organismes publics: caisses de retraite, entreprises d’Etat, compagnies d’assurances, dont celle de la puissante Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures ! Qui avait le pouvoir d’ordonner ces transferts massifs, c’est-à-dire de décider que l’argent du peuple finance les largesses de Khalifa ? Mystère encore. Mais qui aurait trouvé à s’en plaindre du temps de la splendeur de Moumen ? Les ministres, les hauts commis de l’Etat qu’il a si généreusement arrosé ? Les épouses, les enfants et autres membres des familles de la nomenklatura « casés » dans l’empire ? Les petits et moyens épargnants attirés par les taux d’intérêt vertigineux de la Khalifa Bank (de 11 à… 17 %) ? La rue ? Elle était convaincue que la clef du mystère se perdait dans les ténèbres du pouvoir militaire, d’autant que Khalifa était fils d’un ex-dirigeant des services secrets. Mais, avec 40 % de chômeurs, elle retenait seulement qu’il était un pourvoyeur d’emplois et de salaires bien plus élevés que dans le public…

Trois ans après sa chute, l’icône est nettement moins glorieuse. Un témoin : « On se croyait à la tombola. Tout le monde prenait l’argent des Algériens sans compter et en profitait. » Un autre : « En 1999, lors du séisme de Aïn Témouchent, les gens mouraient, avaient tout perdu. Et eux étaient là, derrière les responsables, à leur demander de déposer leur argent. Lors du séisme de Boumerdès, en 2003, Khalifa Bank n’existait plus, mais c’était Khalifa Construction qui surfacturait des travaux de réfection et de déblayage, jamais réalisés. »

« Amuser la galerie »

Mi-février, Rafik Khalifa a fait soudain irruption à Blida. Par médias interposés, il a expliqué que le président Bouteflika était « à la source de tous [ses] problèmes », et que « ses deux frères » l’ont exploité financièrement jusqu’à ce qu’il décide de mettre un holà. Pour se protéger, Moumen – qui dénonce une « République bananière » – a-t-il cru pouvoir brandir les « secrets d’Etat » qu’il dit « détenir » comme arme de dissuasion ? « La justice algérienne a-t-elle entendu ses déclarations ? demande l’écrivain Boualem Sansal sur la radio maghrébine Médi1. Si oui, va-t-elle entendre Abdelaziz Bouteflika et ses frères ? Si elle le fait, c’est qu’un coup d’Etat est en marche. Si elle ne le fait pas, c’est que tout va bien. […] Le procès aura servi à amuser la galerie et à enterrer l’affaire en l’habillant de la force de la chose jugée. »

L’Algérie n’a pas tardé en tout cas à répliquer. Au lendemain des « révélations » de Rafik Khalifa, elle annonçait avec fracas l' »envoi d’une délégation à Londres pour activer son extradition ». Le 28 février, Moumen était arrêté, puis relaxé. A l’instar d’El Watan, la presse algérienne unanime voyait dans cette arrestation la « preuve cinglante que le golden boy déchu n’a pas été victime d’un règlement de comptes ou d’une machination fomentée par l’Etat algérien ». Dissuasion contre dissuasion.

Nabila Bel. et M. Mouloudj

Partager