Le fleuve de la vie chez Farid Ferragui est constitué de larmes. En écoutant son nouvel album pour la première fois, sorti dimanche dernier chez Akbou Music, on a d’abord envie d’arrêter la cassette tant la mélancolie qui se dégage de ces nouvelles chansons est poignante. On se demande pourquoi serait-on forcé de se plier à ce supplice car c’en est un. Pourquoi replonger dans ce profond chagrin car Farid Ferragui est le plus mélancolique et le plus éploré de tous les chanteurs kabyles. On dirait que son but en composant ses chansons et ses textes, était de faire souffrir ses fans qui se comptent pourtant par dizaines de milliers. En tout cas, si tel était son objectif, Farid Ferragui a bien réussi. Mais comme un aimant, ses chansons finissent par nous subjuguer et nous fasciner de plus en plus. Elles semblent être un mal nécessaire. La voix de Ferragui est belle, c’est un élément primordial dans l’art de chanter car chanter c’est d’abord et avant tout, une belle voix. Sur ce registre, Farid Ferragui est un rossignol. Sa voix est belle mais triste. Quand on lui adjoint les pleurs de son luth et les paroles assassines de ses textes : bonjour tristesse ! On écoute Farid Ferragui la nuit, quand il n’ y a plus de bruit et lorsque le sommeil se fâche et ne veut plus nous emporter. On a beau se retourner, les paupières ne se ferment pas. On est submergé par le passé, un lourd passé qui rappelle ce fleuve dont parle Farid dans son nouvel album. On fait alors appel à cette voix qui, loin de nous apaiser, plutôt provoquer le déclic. Des larmes peuvent couler. On revoit des images lointaines : celle qui fut un jour tout pour un cœur solitaire, on revoit des parents qui ne sont plus, des amis enterrés qu’on n’arrive pas à oublier. On pense à son pays qui, hier pleurait et aujourd’hui peine à effacer ses larmes. On réfléchit à des tas de choses accompagnant notre solitude. Farid Ferragui peut alors revêtir le rôle du psychanalyste puisqu’à chaque fois qu’on écoute ses six nouvelles chansons, le mal diminue et augmente en même temps. C’est à ne rien comprendre ! On écoute et on aime davantage ces beaux textes, accompagnés d’une traduction du journaliste Hamid Boulahrik, pour lire la souffrance kabyle dans la langue de Molière. Farid Ferragui en faisant plaisir à ses fans, leur fait mal aussi. Il y a des passages carrément insupportables, vraiment insupportables comme si ce poète possèdait une recette magique pour provoquer des meurtrissures au cœur. La face qui comporte des chansons d’amour vient rappeler ou confirmer, c’est selon, que le premier amour est toujours le dernier. Dans Egal ar dkemini, dans Awizran udmim ou bien dans Azzed ayiguenni, Farid Ferragui continue de chanter la même histoire d’amour, celle des ses vingt ans qui le poursuit toujours comme une malédiction, depuis vingt-sept ans. Dans l’autre face, Ferragui suggère des sujets existentialistes qui font encore plus peur surtout lorsqu’il parle de cette mort ou de ce cimetière que tout le monde feint d’ignorer.
Farid Ferragui, pour son dix-neuvième album, propose des chansons très profondes, des chansons qu’on aime encore plus, au fur et à mesure qu’on les écoute. Elles ressemblent à une femme triste, profondément affligée, qui sait donner du bonheur, même en pleurant car, y a-t-il de plus beau que les larmes ?
Aomar Mohellebi
