Les islamistes sont-ils en mesure aujourd’hui de peser sur l’échiquier électoral, du moins celui des élections du 17 mai prochain ? Il est devenu évident, aux yeux des observateurs avertis, que la mouvance islamiste, qui avait des chances de peser sur le prochain scrutin à la faveur des concessions itératives offertes par le pouvoir politique, essentiellement depuis l’avènement de Belkhadem à la tête du gouvernement, y exercera une moindre influence depuis que ses principaux leaders ont décidé d’y aller en rangs dispersés avec bien sûr les multiples crises internes qui ont ravagé ces formations. Du MSP au » new » MRN en passant par le » revenant » Ennahda, jusqu’aux dirigeants de l’ex FIS, les islamistes ne pensent plus au résultat qu’ils doivent obtenir lors des prochaines élections, mais bien à traverser l’étape des candidatures sans y laisser trop de plumes. Telle est la problématique qui angoisse ces mouvances.
Djaballah, principale figure de la « vitrine officielle de l’opposition » au sein de la mouvance islamiste en Algérie, a franchement été abattu par ses pairs. En effet, après la grave crise qui a secoué son parti ; le ministère de l’Intérieur vient d’octroyer l’agrément à ses ennemis jurés dirigés par Mohamed Boulahya. Ce qui minimise ardemment les chances de l’ex-président d’El Islah de mobiliser largement autour de la cause qu’il défend. Idem pour le nouveau chef du MRN, sans charisme et sans ancrage dans la sphère politique, ce dernier n’inspire pas grand-chose pour l’électorat d’El Islah désabusé par ces luttes intestines.
Le Mouvement de la société pour la paix, qui sait les portes de l’opposition définitivement fermées devant Djaballah et les leaders de l’ex-FIS, ne peut faire autrement que de poursuivre dans sa démarche basée sur l’entrisme, d’autant qu’elle a souvent porté ses fruits. Les gens au fait de ce qui se passe dans les rangs de ce parti prédisent un soutien sans faille aux futures orientations politiques du President. Son leader, Abou Djerra Soltani, de plus en plus contesté par les militants du MSP, vit au rythme des vents qui secoue la scène politique nationale. Le leader du MSP souffle le chaud et le froid. Tantôt il fustige les pratiques et la gestion passée des affaires de l’Etat, notamment les déséquilibres de développement entre les différentes régions du pays et la corruption qui le gangrène, tantôt il prône la fin de l’amateurisme politique qui, selon lui, a caractérisé la scène politique nationale. Soltani usera avec habilité d’un discours » destiné à la consommation interne » où le verbe fluide et les métaphores sont distillés à profusion. Éclaboussé par l’affaire Khalifa, Abou Djerra Soltani ne s’en est pas moins sorti avec une correction de taille : excédé par les déclarations de ce dernier sur la corruption en Algérie, Abdelaziz Bouteflika a dénoncé ceux qui, pour des ambitions électoralistes, portent atteinte à la réputation du pays. Ce lynchage devant des millions d’Algériens donne un avant-goût de ce qui attend Soltani dans les futurs recentrages politiques du pays.
Face à ces deux tendances diamétralement opposées représentant la même mouvance, il existe plusieurs autres » forces » qui font ou qui essayent de faire leur entrée dans cette compétition. Ennahda de Fatah Rebîi, qui a pratiquement disparu de la scène politique, tente de rebondir dans quelques apparitions publiques. Né pour rivaliser avec le mouvement de Mahfoud Nahnah, le MSP, après l’officialisation du multipartisme dans le pays en 1989, Ennahda n’a pas pu se relever depuis le départ de Abdellah Djaballah.
Il n’a pas réussi à remonter la pente. Le parti a connu une saignée depuis qu’il a décidé de rallier le gouvernement. Après les législatives du 30 mai 2002, il a perdu presque tous les sièges à l’APN. Sur la trentaine qu’il avait, il n’en garde qu’un seul.
Cette débâcle s’est confirmée à la faveur des élections locales du 30 octobre dernier : il n’est majoritaire que dans une seule commune sur les 1541 que compte le pays. C’est presque la fin pour un parti qui, pendant des années, avait fait montre de grandes ambitions. La dégringolade se confirmera sûrement à l’occasion des prochaines élections car le mouvement d’Ennahda ne s’est manifesté que très rarement auprès de l’opinion publique après le fiasco des législatives de 2002.
Quant aux dirigeants de l’ex-FIS et ses repentis, les déclarations du ministre de l’Intérieur et les dispositions portant mise en œuvre de la Charte indiquent clairement l’impossibilité pour ces derniers de renouer avec l’exercice politique et, partant, les compétitions électorales. Les menaces et sorties médiatiques de quelques dirigeants à l’image de Mezrag et Benaicha sont considérées par les observateurs comme une tempête dans un verre d’eau. Les positions ayant caractérisé les dirigeants, du parti dissous concernant les futures joutes sont pour le moins inconciliables. Si une partie a affiché clairement son intention d’y prendre part -ce qui est loin d’être possible-, les autres à l’instar du numéro 1 Abassi Madani ont nettement appelé au boycott de ce qui leur reste comme base militante, arguant que le projet de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale n’était pas la solution « définitive et juste » attendue par eux, qu’il était porteur de danger, « prolonge la guerre et non la paix » et que, par conséquent, la consultation parlementaire n’était pas d’une grande utilité.
Globalement, les partis de la mouvance islamiste, et d’après une première lecture, notamment des résultats officiels des élections locales du 10 octobre 2002, sont en nette régression, leur départ en ordre dispersé pour les prochaines élections sera un test décisif qui rendra la vision plus claire sur le véritable poids de cette mouvance.
Yassine Mohellebi