“J’ai beaucoup de mal à pardonner à mon père”

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Combien d’enfants fugueurs —appelons-les ainsi —garçons et filles n’ont pas eu la chance comme Djamel, (voir article) d’être recueillis par des bienfaiteurs, ou tout simplement par un centre pour enfants abandonnés ? Malheureusement, ils sont légion à ne pas se permettre ce “luxe”. En l’absence de structures d’accueil, certains mômes fugueurs dus à l’effritement des cellules familiales deviennent alors délinquants. Nombreux sont ceux qui se droguent où s’adonnent à la prostitution. Tout ceci s’explique en effet, pour la plupart des cas que la responsabilité incombe à la réalité sociale que beaucoup de pères de famille vivent quotidiennement. Que peut attendre un enfant d’un père qui a perdu son travail où qui le cherche et ne le trouve pas ? La question est évidente. La violence et l’éclatement de la cellule familiale deviennent inévitables et les conséquences sont horrifiantes. Pour toucher le phénomène du doigt et savoir un peu plus, nous avons questionné quelques victimes issues de cette situation. Et ceux sont à chaque fois des enfants qui en paient les frais. A 19 ans, cet enfant au corps frêle, garde encore les séquelles d’une enfance terrible. «Dans mon village, mon père était pourtant respecté, malgré son chômage chronique. Les autres gamins ne vivaient pas comme nous. Mon père a imposé un régime infernal. Il était autoritaire et très colérique», raconte Redouane. «Tout nous est interdit : les randonnées, le ballon, les copains etc…On était des robots que mon père manipulait à son humeur» Redouane aîné de six (6) enfants était le plus rebelle. «Mes deux sœurs n’avaient pas le droit d’étudier. Elles sont cloîtrées à la maison jour et nuit» et de poursuivre «par contre nous (les 4 frères) chaque fois qu’un voisin ou quelqu’un du village venait se plaindre, nous étions battus violemment. Mon père ne cherchait pas à comprendre c’est toujours la raclée, relate-t-il avec dégoût». C’est vraiment difficile pour Redouane de se remémorer le passé d’ailleurs très récent. Il baisse la tête un moment, puis reprend, la main droite posée sur sa joue. «Il y a trois ans, je garde encore les traces du tuyau en plastique sur ma joue droite. Mon père m’a «corrigé» ce jour-là pour une futilité. En me regardant dans la glace aujourd’hui, j’ai toujours très mal, c’est un témoin de ma détresse». H. Nadia, sa mère n’était pas épargnée par des coups si elle intervenait pour l’arracher des griffes d’un père despote, fou furieux. «Lorsque je me révoltais contre la tyrannie de mon père en voulant épauler ma mère, il se jetait sur moi comme un fauve». Redouane qui avoue n’avoir jamais été bon à l’école ne possède aucun diplôme ou qualification. Avec tout ce qu’il avait subi il n’a pu choisir aucun métier. «J’avais peur de l’échec et je n’ai pas confiance en moi», regrette-t-il. Aujourd’hui son père est devenu un paraplégique, il ne bouge pas, il n’a aucune force. Sa mère, raconte Redouane, est libre elle peut aller où elle veut chez ses amis, proches parents, etc. «Il est abandonné par tout le monde, sa situation l’incite à nous demander de l’écoute, de l’affection et même de l’argent, alors qu’il ne nous a jamais donnés.«Personnellement, je n’éprouve que de la pitié pour cet homme qui n’a fait que du mal et nous priver de tout, surtout de notre enfance. J’ai beaucoup de mal à lui pardonner». Kamelia, n’avait que 15 ans lorsqu’elle a subi les châtiments les plus douloureux de sa vie, de la part de son père. Comme elle ne pouvait plus supporter les coups sur son corps chétif et faible, des insultes et des insanités, elle décida de fuir le domicile parental. Nous l’avons rencontrée dans une pizzeria sur une place d’Alger, où elle a réussi à se faire embaucher comme serveuse. Elle n’était jamais retournée chez elle, nous dit-elle par peur de représailles. Et son père aussi n’a jamais cherché après elle depuis sa fugue, voilà cinq longues années maintenant. «C’est insupportable ! où trouver refuge et protection ? Mes frères étaient petits je suis l’aînée. Nous subissions en silence la dictature tyrannique de mon père qui déversait toute sa colère sur nous. Même ma pauvre mère n’était pas épargnée et qui n’y pouvait rien faire. Elle aussi était battue», se confie difficilement Kamélia aujourd’hui âgée de 21 printemps, «Vous savez, poursuit-elle, j’ai fais cinq dépressions à cause de la brutalité de mon père. A l’époque je pensais tous les jours au suicide, la vie devenait pour moi de plus en plus un énorme fardeau et je n’ai trouvé personne pour me porter secours», avant de marquer un certain optimisme malgré les endurances du passé. «Aujourd’hui, ça va mieux. J’ai un boulot qui me permet de soulager un tant soit peu mes frères et ma mère. Je leur file de temps à autre un peu d’argent en cachette» conclut-elle.Le cas de Kamélia n’est pas un cas isolé, d’autres adolescentes ont subi et subissent encore les mêmes tortures. Hassina, 18 ans, brune aux yeux verts, belle avec un corps élancé a été évacuée il n y a pas si longtemps à l’hôpital dans un état comateux, après que son père l’eut tabassée à mort. Cette jeune fille à l’allure décidée raconte «j’ai reçu des directs en plein visage. J’ai eu le nez fracassé, j’ai perdu connaissance ce sont les voisins de palier qui sont venus à mon secours, voyant qu’il allait m’achever».De ses yeux brillants commençaient à couler des larmes.Elle pleure comme un bébé prostré. Dur de se remémorer un drame qu’elle a vécu il y a près de cinq ans et qui refait surface à chaque instant. «J’ai essayé d’oublier mais c’est difficile», en essuyant les larmes. Et d’enchaîner : «Un père qui bat sa progéniture n’est pas digne d’un père, avec autant de haine et de colère, c’est la réduire à l’état d’esclave, lui oter le respect et son humanité. J’ai regretté ce jour-là ce que je représentais aux yeux de mes camarades, des amis et des voisins qui ont assisté à la scène impuissants», Hassina habite actuellement chez sa tante et jure de ne pas remettre les pieds chez elle, tant que son père est vivant mais elle garde néanmoins contact avec sa mère et ses frères uniquement par téléphone. «D’ici là, on verra», nous dit-elle.S. N. âgée à peine de 15 ans a du mal à expliquer son attitude. Elle a peur d’en parler et après avoir lancé un regard furtif, les larmes aux yeux, déclare : «Je suis de Médéa, et je n’ai plus de père ni de mère.» Elle se rétracte un moment, et la honte l’envahissant, balbutie des bouts des lèvres : «Notre société est impitoyable et je n’ai plus que mon corps pour subsister».D.L., 17 ans, s’est enfuie du foyer paternel dans lequel elle a vécu l’enfer, elle dit qu’elle est venue aussi de Médéa avec sa copine avant de se confier, “Mon père est alcoolique et souvent il a tenté des attouchements”, en poursuivant : «Mon petit frère aussi s’est enfui de la maison après que mon père eut violemment battu ma mère qui a osé s’interposer entre moi et mon père. Les cas de S.N. et D.L. ne sont malheureusement pas uniques. Elles sont plusieurs à avoir vécu des conditions similaires qui les ont conduites à se prostituer. Elles ont choisi Bouchaoui, et les routes qui mènent au bord de la mer. A travers ces témoignages, il serait facile d’incriminer directement les parents d’être à l’origine du phénomène mais en revanche il serait très difficile de comprendre les raisons qui ont amené ces parents à se comporter comme des tyrans envers leurs progénitures et à tourner le dos à leurs activités. Il y a lieu de dire que le premier responsable de cette situation demeure le système actuel qui a donné naissance à tous les vices, dont l’oisiveté est la génétrice. De nos jours, nos villes semblent devenir des endroits de prédilection pour toutes sortes d’activités engendrées par l’indifférence. La déchéance étant à son paroxysme, les jeunes fugueurs des deux sexes vendent leur corps à la criée, comme le ferait n’importe quel vendeur de poisson, pour survivre. Ainsi va la vie», dit-on.

S.K.S.

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