L’intarissable imagination d’une femme de lettres

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Il n’y a pas que le 8 Mars pour parler de la femme. C’est même humiliant de la canaliser, iniquement, dans le circuit d’une célébration annuelle. Les femmes sont toujours présentent, elles se battent, elles écrivent.

Rhoulem ou le sexe des anges est un livre fabuleux publié par les éditions Marsa. C’est le,deuxième roman de Feriel Assima. Une belle fiction traversée de génitalité de bout en bout. Déjà, le nom et l’identité sexuelle du personnage principal annoncent la nature de l’univers romanesque auquel est convié le lecteur.

Rhoulem, prénom attribué à cet androgyne par la vieille accoucheuse, renvoie à l’époque des Abbassides et à sa pédophilie, célébrée notamment par la poésie d’Abou Nouass. Tout au long des cent soixante-treize pages du roman, on ne connaîtra rien sur les origines et la filiation de celui que les femmes nommeront « l’homme coupé ». On saura juste qu’il est d’extraction très modeste puisque, dès son plus jeune âge, il sera obligé de se prostituer pour subvenir aux besoins de celle qui l’a mis au monde. Au bord d’une route, il attend un client camionneur à qui il offre son corps en échange de quelques légumes. Intentionnellement, l’auteur reste très vague au niveau des descriptions de ces scènes.

Parce que Rhoulem, encore pubère, introverti et sombre, subit ces actes. De même, il subira sans réagir toutes les moqueries des filles avec lesquelles il travaillera quelques temps dans une sorte d’atelier de confection textile. C’est en décidant de quitter Oran pour Alger que Rhoulem se détachera du monde des femmes. Dans le monde des hommes où il échouera, il découvrira la violence à l’état brut. La leçon que lui administrera le commandant pour lui ôter toute envie de s’échapper est illustrative.

Très vite, il sera habité par la peur puisque chaque soir il assistera, impuissant, au viol collectif de l’enfant du boulanger. Dans son lit, chaque nuit, une main baladeuse parcourrera son corps et le souillera. Taraudé par la peur de ses semblables, eux aussi au service d’un vulgaire négrier des temps modernes, il se réfugiera chez des danseuses dans un cabaret. L’une d’entre elles l’adoptera et acceptera sa différence. Il se découvrira des talents de danseur et formera avec elle un duo animant les nuits de ce cabaret sordide.

Un jour, à l’improviste, il affichera des propensions à la révolte. En tentant de s’attaquer au commandant, il s’exposera aux pires sévices corporels. A partir de ce moment, Rhoulem cessera d’exister et disparaît du paysage du roman.

Toutefois Rhoulem, dont le roman porte le nom, surgit furtivement de temps à autres dans ce texte, bien élaboré. Il est épanoui quand il est sur scène, soit pour danser soit pour jouer avec le feu. Il est à l’aise avec la chanteuse qui l’héberge et avec qui il a un furtif moment de volupté. Il s’adonne à Gabi et le laisse satisfaire des fantasmes homosexuels dans un cimetière. Voilà les rares fois où Rhoulem est en possession de son être. Autrement, il est un accessoire vivant permettant à ses pairs d’étaler toute leur monstruosité ou leur frustration. D’ailleurs, pratiquement tous les personnages de ce roman manquent d’épaisseur. De temps à autres, les forces de sécurité feront des irruptions dans le cabaret. D’ailleurs, on tient Rhoulem par le chantage de l’envoyer effectuer son service national, ce qui suppose sa probable disparition. Pour casser moult tabous, l’auteur, Feriel Assima, nous parle de beaucoup de non dits. Cependant, elle raconte avec pudeur. Même si elle aborde des questions sur la sexualité, elle est restée au niveau de la génitalité. A part la poitrine de Rhoulem, qu’il s’evertue à camoufler, on trouve très peu de descriptions physiques. La scène la plus voluptueuse est celle du hammam, rapportée par la narratrice. Encore que là, c’est la reprise d’un cliché éculé. Ce qui semble sûr, ce roman vaut le détour, dans un pays où même les hommes osent, à peine écrire de cette manière.

Yasmine Chérifi

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