Un bidonville dans tous ses états

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El Djazira. Ce n’est pas la célèbre chaîne qatarie dont il s’agit, mais… du bidonville de Bab-Ezzouar. Situé à El Djorf, un quartier où habitent… de nombreux enseignants universitaires !

Depuis quelque temps, le bidonville est devenu un lieu malfamé où l’écoulement et la consommation des stupéfiants se font au vu et su de tous. Les habitants de ce bidonville et ceux des quartiers avoisinants assistent, la mort dans l’âme, à la prolifération de la prostitution qui se pratique au grand jour. « La précarité, la misère, la paupérisation sont à l’origine de ces fléaux”, estiment les habitants. Les enfants sont à la rue ne pouvant s’inscrire à l’école, faute de… certificat de résidence. En 1995, l’APC de Bab-Ezzouar a procédé à la destruction des habitations anarchiques se trouvant à El Djorf pour la construction d’un lycée. Les familles ont été transférées provisoirement dans des habitations non encore aménagées, destinées aux travailleurs de l’imprimerie officielle de la présidence de la République, dans un quartier dénommé désormais El Djazira. Depuis, ces familles demandent à être relogées comme les autres. Les enseignants universitaires, ainsi que quelques cadres réclament, quant à eux, l’éradication du bidonville. Le P/APC de Bab-Ezzouar, lui, attend que les autorités compétentes daignent intervenir pour régler définitivement ce problème.

Un quotidien insupportable….

Les familles vivant à El Djazira n’ont plus la force de se plaindre. Se plaindre auprès de qui d’abord ? Puisqu’ils ont frappé à toutes les portes ? Une simple tournée dans ce bidonville donne un aperçu de ce qu’endurent les habitants. Les rues sont sales, il n’y a ni eau, ni gaz, ni électricité, chacun se débrouille comme il peut pour s’approvisionner. Les câbles sont branchés anarchiquement, aggravant le risque d’accidents en temps de pluie. S’approvisionner en gaz butane est une véritable gymnastique. « Nous parcourons plusieurs km pour acheter une bouteille » affirme un habitant avant d’ajouter que « pour l’eau, nous sommes obligés de louer des citernes ou remplir des bidons à la mosquée de Rabia-Tahar ». L’assainissement est un autre calvaire qui empoisonne la vie de ces citoyens. Les conduites d’eaux usées ne sont plus à même d’assurer l’évacuation d’une manière convenable. En hiver comme en été, des conduites bouchées déversent à même la chaussée leurs eaux nauséabondes qui s’infiltrent dans les maisons plutôt dans les baraques les plus proches. Même l’environnement n’a pas été épargné. En effet, des amas d’ordures et autres décharges à ciel ouvert refont surface. « Cela dure depuis des années. On a eu quelques promesses quant à l’assainissement des lieux, mais sur le terrain, la réalité est toute autre. Elle est amère, pénible et inadmissible », témoigneront, en colère, quelques locataires. Ces conditions de vie lamentables désespèrent les habitants. « Nous avons l’impression d’être des étrangers dans notre pays. Pourtant nous ne demandons qu’une chose :qu’on nous traite comme les autres citoyens  » dira un père de famille. Un autre estime « le comportement de certaines femmes et de quelques jeunes qui vendent des stupéfiants ne doit pas pénaliser tous les habitants en les privant de logements » Il est vrai que les résidants de ce site sont, pour la majorité, sans emploi stable et, de ce fait, marginalisés. A signaler que beaucoup d’enfants, parcequ’ils n’ont pas de certificat de résidence, ne sont pas inscrits à l’école.

Fléaux sociaux

Tels les fils d’une toile d’araignée, les problèmes que connaissent les résidants de ce bidonville sont inextricables. Hélas, le mal de vivre, l’exiguïté, la marginalisation ne peuvent que donner naissance aux fléaux les plus divers. El Djazira ne fait pas exception, loin s’en faut. Le commerce et la consommation de drogue, par les jeunes, avec ses fâcheuses conséquences, est devenue une activité courante à El Djazira. La prostitution y fait également rage. Celle-ci est le seul moyen de survivre pour les femmes victimes de la pauvreté et du chômage, mères célibataires, divorcées… Pourtant la prostitution n’est pas seulement un gain facile, un moyen pour ne plus avoir faim, pour nourrir ses enfants, c’est aussi une véritable tragédie. Imane, est une jeune femme qui n’a pas échappé à cette pratique pour survivre. Rencontrée lors de notre virée, celle-ci a marqué une hésitation avant de nous parler. La méfiance est perceptible dans son regard. Il a fallu donc aborder le sujet par un détour, pour lui arracher quelques mots. Drapée dans un foulard, cette jolie femme nous a déclaré que la pauvreté l’a poussée à s’adonner au plus vieux métier du monde. « Trouvez-moi un autre boulot et je cesserai de me prostituer ». En effet, des baraques construites au sein du bidonville servent de lieux de  » travail  » pour ces femmes qui y reçoivent leurs clients. Cette pratique a suscité d’ailleurs l’ire de quelques habitants même d’El Djazira. Lydia, appelons-la ainsi, affirme que cette profession, est pour elle, « légitime », d’autant qu’elle n’a aucune ressource pour survivre, et qu’elle n’en pas du tout honte. La jeune fille garde un tatouage au henné à la gloire de… Clara Morgan. « C’est juste pour se faire belle » se rattrape-t-elle. « On a fui le terrorisme et puisque nous sommes maudites pour ce que nous faisons, et que de toute façon nous le serons toujours, même si nous arrêtons, je continue d’autant que je gagne bien ma vie”. Quand on sait que ces prostituées ont comme clients des Chinois et des Africains, on ne peut qu’appréhender le risque de propagation de la maladie du siècle, en l’occurrence le Sida.

Le ras-le-bol des universitaires…

Depuis l’érection du bidonville, avec tout ce qu’il a engendré comme fléaux sociaux, les résidants du quartier El Djorf ainsi que les commerçants qui y exercent ne peuvent plus contenir leurs colères. Ils veulent que les autorités prennent leurs responsabilités, pour mettre fin à tous les fléaux sociaux, ils doivent reloger les concernés. La commune de Bab-Ezzouar, connue pour avoir abriter plusieurs enseignants universitaires, a perdu son visage d’antan. Un professeur de médecine, locataire du bâtiment le plus proche d’El Djazira déplore : « C’est inacceptable ce que nous vivons, agressions et rixes sont devenues monnaie courante. Regardez c e qu’est devenu notre édifice, même la clôture n’est pas épargnée. Des jeunes consomment des stupéfiants sous le regard innocent de nos enfants ». La population nous a fait savoir que plusieurs réclamations ont été adressées à qui de droit, mais la situation n’a pas changé d’un iota. « Il y a des familles à El Djazira qui ont réellement besoin d’une habitation pour vivre dignement. Si les autorités procèdent à leurs relogement, notre cité deviendra comme les autres” estime un enseignant universitaire. Ils interpellent, à cet effet, l’ensemble des pouvoirs publics afin qu’un peu plus d’attention leur soit accordée, avant que la situation ne tourne, un jour au vinaigre. A noter que plusieurs familles sont originaires de l’intérieur du pays. Elles avaient fui le terrorisme.

Insécurité…

Les commerçants et habitants de la cité El Djorf vivent quotidiennement dans la peur. Des agressions à l’arme blanche ont lieu chaque jour que Dieu fait, créant une véritable psychose. Beaucoup de victimes sont des femmes ou des étudiantes, attaquées alors qu’elles se rendent à la cité universitaires El Alia. Que ces jeunes femmes soient sur le chemin des cités universitaires ou même l’USTHB, du marché ou tout simplement de passage, elles sont exposées régulièrement au danger et à la loi que ces jeunes imposent et qui, après leurs forfaits, élisent domicile à El Djazira, où, ils habitent. Un bidonville connu pour être un lieu infréquentable pour tout étranger. A cet effet, les commerçants exerçant au sein de la cité n’ont pas manqué de faire part de leur grande inquiétude, notamment au sujet de l’insécurité qui vient s’ajouter à leurs préoccupations quotidiennes.

Un bidonville célèbre…

« Le bidonville d’El Djazira est mondialement connu ». C’est ainsi que décrit M. Bounab, maire de l’APC de Bab-Ezzouar, le plus grand bidonville de sa commune, et pour cause : des Chinois et des Africains sont devenus des abonnés des prostituées du bidonville. En effet, la commune de Bab-Ezzouar abrite deux cités universitaires pour garçons, à savoir la cité universitaire CUBE III et la résidence universitaire Abdelkader-Belarbi ( CUBE I), et les étudiants africains qui y sont hébergés prennent régulièrement le chemin de ces baraques où des femmes pratiquent le plus vieux métier du monde. Et comme un malheur ne vient jamais seul, la commune abrite un grand chantier AADL où les Chinois travaillent au grand dam de la population locale.

« L’APC de Bab-Ezzouar ne peut régler à elle seule le problème« 

Pour de plus amples informations, on a pris attache avec M. Mohamed Bounab, président de l’APC de Bab-Ezzouar. Celui-ci, après avoir écarté d’un revers de la main les griefs retenus contre lui, soit par les habitants même d’El Djazira, soit les résidants des quartiers avoisinants, a tenu à faire savoir que le problème dépasse largement sa commune. Et pour cause : le maire de Bab-Ezzouar, nous a précisé d’emblée que ces « indus occupants », qui ont élu domicile illégalement, sont originaires de différentes wilayas, et par conséquent n’ont pas le droit d’avoir la moindre considération. « Certes se sont des citoyens, mais puisqu’ils sont venus des autres wilayas, ils n’ont qu’a regagner leurs villes d’origines d’autant que la sécurité est rétablie », a t-il déclaré. Combien sont-ils ?

« Nous avons plus de150 familles, dont 27 sont celles de l’imprimerie officielle « . A la question de savoir s’il y a eu des mesures qui ont été prises, dans ce sens, il nous répondra : « On a déjà fait un recensement en décembre 2003 pour l’identification des îlots”. Une opération, qui a duré, selon Bounab, de 21h du soir jusqu’au 7 heures du matin. « Nous avons essayé de limiter la construction des baraques pour ne pas avoir d’extension. En vain”. a-t-il indiqué. Le marché informel, enchaîne-t-il, a proliféré  » grâce  » à ces locataires. Quant aux fléaux sociaux, à savoir la prostitution et la vente des stupéfiants, le premier responsable de la municipalité, s’est montré gêné à l’évocation de ces deux phénomènes. « Ce genre de pratiques sont condamnables. Notre APC n’a pas les moyens pour les éradiquer. Tout le monde est concerné par cette affaire. Les services de sécurité autant que les citoyens. Concernant le relogement des ces familles, notre interlocuteur, nous a affirmé que sa commune ne dispose pas d’infrastructures. En somme, malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics quant au règlement de ce problème, la situation évolue trop lentement, faute de moyens. Mais pour ces habitants, le temps passé dans ces lieux est des plus pesant et si interminable…

Salah Benreguia

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