Ombres chinoises

Partager

Quel député, partie ou autre instance, y compris les secteurs les plus concernés des pouvoirs publics se sont avisés, à sept semaines des élections législatives, de présenter un bilan critique, ne serait-ce que sommaire, de la législature qui prend fin dans quelques jours et qui permettrait aux citoyens-électeurs de jauger du chemin parcouru, des dossiers traités et des insuffisances qu’il y a lieu, le cas échéant, de combler ou de rattraper sous le règne de la nouvelle Assemblée ? Nous n’avons pas connaissance d’un tel souci chez nos élus ou chez les départements de l’Exécutif qui sont censés suivre les propositions des projets de lois soumises aux députés pour examen et adoption. Pour toutes les peines que le pays s’est donné pour asseoir une  »mécanique » institutionnelle à façade démocratique, ce déficit de suivi et de présentation de bilan devrait inquiéter à plus d’un titre. L’on ne peut pas, en tout cas, se contenter de ce qui est appelé habituellement la sanction populaire qui, soutient-on, pourrait faire barrage à des députés de se représenter ou au parti auxquelles ils appartiennent de réaliser de bon scores. La complexité des jeux institutionnels et la débandade de la classe politique jettent un tel brouillard sur les missions de l’APN et du Sénat qu’une telle éventualité, c’est-à-dire la sanction populaire, demeure un vœu pieux, voire une virtualité. Seule une vie institutionnelle stable et dégagée des interférences parasitaires pourra un jour, si le pays s’engage résolument dans la voie démocratique, faire valoir les choix citoyens et leurs corollaires obligés : la sanction par les urnes et l’alternance au pouvoir. Nul besoin de cacher les évidences ou d’oublier les griefs faits au fonctionnement de l’Assemblée populaire nationale par certains partis politiques et par des personnalités indépendantes. Ces griefs se résument probablement dans ce verdict peu glorieux qui fait de cette noble institution une  »caisse de résonance » du pouvoir politique allant jusqu’à déclarer la confusion entre l’exécutif et le législatif théoriquement et constitutionnellement séparés. En effet, que valent, sur le plan technique et sur le plan de légitimité politique, des ordonnances proposées à l’Assemblée pour une adoption en bloc à main levée sans aucun débat sur les détails (articles et alinéas) ? Il est fort possible que, globalement et dans leurs objectifs et esprit, ces ordonnances soient d’une importance capitale dans la vie de la Nation. Il n’est pas non plus à exclure qu’elles émanent d’une réelle volonté de l’exécutif de mettre de l’ordre dans un secteur donné et de le doter ainsi d’une réglementation salutaire. Néanmoins, les départements ministériels initiateurs des projets d’ordonnance et même les services de la présidence-lorsque de telles initiatives en émanent-ne sont pas infaillibles. Les débats institués au sein de l’Assemblée et du Sénat sont justement conçus pour corriger le tir, amender, enrichir ou annuler des articles ou des paragraphes du texte proposé. Dans les situations ou des débats sont ouverts dans l’Hémicycle pour discuter d’un projet de loi, ou bien encore lors des séances de questions orales au gouvernement, l’on sait quelle tournure ont pris les interventions face aux caméras qui en assurent la retransmission en direct. Devant des problèmes nationaux d’importance capitale, certains députés préfèrent s’adresser à leurs douars, en les citant nommément, histoire de justifier leur présence à l’Assemblée et d’envoyer un message à leurs électeurs en leur disant  »nous travaillons pour vous ; on ne vous a pas oubliés ». Tacitement, cela équivaut, dans la tête du député, à un pré-bilan (positif, s’entend) qui ne dit pas son nom et un appel à renouveler la confiance des siens pour un nouveau mandat. Si bilan il y a, c’est celui-là.

Expédition des affaires courantes S’agissant spécialement de la législature qui prend fin dans quelques jours, les élections qui lui ont donné naissance en 2002 s’étaient déroulées en Kabylie dans une atmosphère, le moins que l’on puisse dire, de confusion totale induite par la tragédie du Printemps noir que l’on commémorera dans dix jours. L’émergence du Mouvement citoyen des aârchs, lequel s’était opposé à toute forme de consultation électorale avant la satisfaction de la Plate-forme de revendication d’El Kseur, avait jeté un discrédit manifeste sur le déroulement du scrutin et même sur ses résultats, cela, indépendamment des soupçons de fraude et de manipulation émis par des partis politiques y ayant pris part. Il n’empêche que les députés sortants ont une responsabilité assez importante dans la batterie de textes que l’Assemblée a fait passer entre 2002 et 2007. L’institutionnalisation de tamazight en tant que seconde langue nationale à côte de l’arabe (article 3-bis de la Constitution) au cours d’un congrès parlementaires (APN et Sénat réunis) n’a pas manqué d’avoir des prolongements sur le terrain et ce, malgré le scepticisme de certaines parties de la mouvance berbère qui y voient une manœuvre du pouvoir politique ou encore d’autres parties qui en minimisent la portée pratique. L’on ne peut nier que, sur le plan psychologique et même des étapes de la revendication elle-même, cette décision a servi de déclic pour une réflexion et des efforts plus avancés. Au cours du mandat qui s’achève ce mois, l’Assemblée a également adopté les lois de Finances annuelles et complémentaires qui prennent en charge le budget d’équipement et le budget de fonctionnement de l’État. Même si des velléités se sont exprimées un certain moment sur la validité du choix du gouvernement de continuer à asseoir le calcule de la loi de Finances sur la base d’un prix du baril de pétrole fixé à 19 dollars- et ce au moment où ce presque unique produit d’exportation du pays caracolait à 60 voire 70 dollars-, la grogne n’est pas allée trop loin. Le gouvernement a su convaincre les députés des règles prudentielles qui fondent sa politique budgétaire dans un contexte de volatilité des prix de l’énergie. Cela va continuer, d’après Mourad Medeleci, sur la même lancée jusqu’à 2009 au moins. La différence entre le prix de référence de 19 dollars et le prix réel de l’or noir sur le marché mondial est destinée par les autorités du pays pour alimenter le Fonds de régulation des recettes. Cette cagnotte est actuellement dotée, note le ministre des Finances dans un entretien accordé à El Khabar de lundi dernier, de 3000 milliards de dinars et servira à  »payer la dette publique interne ». Ceci s’apparente à une réponse du grand argentier du pays à certaines interrogations exprimées timidement par des députés et publiquement par la presse tendant à savoir comment est géré ce fameux Fonds. Une partie de la presse est allée jusqu’à parler d’un  »budget parallèle de l’État » qui ne serait soumis à aucun contrôle et qui échapperait d’abord au regard de l’APN. Dans la foulée des questions relatives à la gestion financière des recettes de l’État, des député, une minorité bien entendu, avaient revendiqué courant 2005 le droit de regard sur la destination et l’utilisation de l’argent public au moment même où le Mouvement citoyen des aârchs de Kabylie exprima le vœu de participer à la gestion des ressources locales (communes, wilayas). Cette préoccupation citoyenne, qui aurait pu prendre une forme plus élaborée et mise en œuvre selon une formule concertée, est restée lettre morte ; le combat a cessé faute de combattants. Quand aux réserves de change, évaluées actuellement à quelque 80 milliards de dollars, elles ont suscité moult questions et fait baver divers intervenants de l’Assemblée sans qu’il pût y avoir davantage d’exploration du sujet. Le responsable du département des Finances dira à ce sujet que ces réserves serviront à alimenter d’autres projets de développement. C’est pendant la législature qui s’achève que les projets de développement engageant le plus grand montant de l’histoire de l’Algérie indépendante, soit 150 milliards de dollars, ont été initiés sous l’intitulé de Plan de soutien à la croissance économique. Lors de la discussion à l’APN de la première tranche (50 milliard $) de ce montant, le paradoxe a voulu que ce soit le ministre des Finances d’alors, Abdellatif Benachenhou, qui exprimât ses réticences face à l’impréparation de nos entreprises de réalisation et au manque d’études relatives aux projets envisagés. Les députés n’ont fait qu’entériner ce chapitre de la loi de Finances et de la loi de Finances complémentaire.

Lorsque le feed-back fait défautToujours dans le domaine économique, l’annonce par certains ministres, en particulier Ould Abbas, d’une baisse du taux de chômage de 17 à 13% en l’espace de trois années d’une « politique de l’emploi plus judicieuse » n’a suscité aucune remarque ou contestation de la part des membres de l’Assemblée alors que tous ceux qui suivent le dossier de l’emploi savent que la précarité et la non pérennité des emplois crées-particulièrement ceux financés par les dispositifs du pré-emploi, du filet social et de l’emploi de jeunes- sont des données qui relativisent grandement l’optimisme du gouvernement. C’est au cours de la préparation de la campagne pour les élections législatives que le département d’Ould Abbas lance une nouvelle vague de 45000 jeunes diplômés dans le dispositif de pré-emploi avec la promesse de pouvoir leur « arracher » un salaire équivalent au SNMG. Lorsqu’on sait que les dernières augmentations salariales, sur lesquelles beaucoup de parties, dont le FMI, ont exprimé leurs réticences, ne sont pas encore accordées à certaines secteurs (entreprises publiques), on imagine un peu la difficulté de l’entreprise. Quel effort a fait l’APN pour évaluer les retombées de l’augmentation des salaires de la Fonction publique ? Qui est fondé à remettre en cause les chiffres officiels de l’inflation (moins de 4%) face aux démentis du terrain faisant monter la pomme de terre à 60 DA et le sachet de lait à 50 ou 60 DA ? N’est-ce pas que l’un des critères de la stabilité macroéconomique dont se sont targuées les autorités des années durant commence à être battu en brèche ? Sur le plan social, outre la mendicité, le développement des maladies chroniques et la consommation de stupéfiants, les cinq dernières années se sont fait remarquer par deux phénomènes majeurs : les harragas et le suicide. À aucune époque de l’histoire algérienne, ces deux calamités n’ont atteint le degré de gravité atteint depuis le début de ce siècle. Sous d’autres cieux, les élus du peuples sont censés consacrer des séances spéciales pour étudier le mal qui ronge la jeunesse algérienne et proposer des solutions pour en atténuer la douleur et offrir de nouveaux horizons à la nouvelle génération. Le même silence radio est enregistré par les députés lors des grandes émeutes qui ont émaillé les cinq dernières années sur les différents points du territoire national. À Ouargla, Tipaza, Draâ Ben Khedda, Bordj Bou Arréridj et ailleurs, même les élus de ces circonscriptions n’ont pas jugé utile de se pencher sur les raisons de la colère citoyenne, de prendre contact avec les émeutiers et de transmettre leurs doléances à qui de droit, ceci pour ne rien dire du Printemps noir par lequel de Kabylie a inauguré le nouveau siècle. En apportant certains menus amendements au Code de la famille de 1984, l’APN a reçu un soutien relatif des démocrates et une  »mine défaite » des islamistes. Parmi ces derniers, ceux qui siègent à l’Assemblée ont préféré faire du boucan et même faire valoir leur position au sujet de l’importation des boissons alcoolisées. Par le moyen d’un amendement d’un article de la loi de Finances, entériné par les majorité des élus, ils ont pu interdire cette activité au grand dam de l’économie hôtelière et touristique. De même, l’  »enrichissement » du Code pénal par des articles relatifs à l’outrage du président de la République a fait des vagues dans certaines rédactions où il a été assimilé à un musellement supplémentaire de la presse.

Actif, passif et dossiers pendantsQuelles sont les actions qui peuvent être comptées à l’actif de l’APN au cours de ces cinq dernières années ou que l’histoire retiendra comme œuvres utiles pour toute la collectivité et la Nation ? A ce stade de l’analyse, il importe d’abord de rendre à César ce qui appartient à César. À savoir que les textes importants dans ce domaine sont d’abord initiés par l’exécutif, c’est-à-dire les départements ministériels. Il en est ainsi du Schéma national de l’aménagement du territoire, de la gestion des zones de montagne, de la Prévention des risques majeurs et catastrophes naturelles, de la Protection des espèces animales en voie de disparition et du très controversé statut de la Fonction publique. En laissant le soin au département de Boubekeur Benbouzid de traiter comme il l’a fait le dossier de école privée, l’APN ne s’est pas montrée très soucieuse de l’un des secteurs les plus sensibles du pays. Le traitement à la hussarde du sujet n’a pas seulement fait des victimes conjoncturelles- n’a-t-on pas fermé certaines écoles au milieu de l’année scolaire et que seule l’intervention du président a mis fin à une décision irréfléchie?-, mais il a aussi soigneusement éludé le vrai débat sur l’école publique qu’il s’agit de rendre plus performante et plus moderne pour justifier de moins en moins la multiplication des écoles privées. À l’évidence, on a voulu maladroitement procéder inversement en essayant d’établir un nivellement par le bas : faire acquérir à l’école privée le contenu et les méthodes de l’école publique D’autres projets de loi qui ont fait moins de bruit ont été votés et sont passés comme  »une lettre à la poste ». C’est la cas des amendements apportés au Code civil. Dans le domaine sensible de la gestion politique du volet sécuritaire, le pouvoir politique a préféré avoir recours au référendum populaire qui met en mouvement les pouvoirs régaliens du président de la république. De la Concorde civile (1999) à la Charte pour la paix et la réconciliation (2005), le Parlement n’a pas eu l’occasion de prendre en charge ne serait-ce qu’une partie des initiatives tendant à ramener la paix. Ce que, cependant, n’arrivent pas à s’expliquer les observateurs, c’est le silence des deux chambre du Parlement quant aux bilans respectifs de ces initiatives. Personne n’a osé demandé à en connaître les résultats dégagés sur le terrain ni encore moins posé des questions aux ministres chargés de l’exécution de telles mesures (Intérieur, Justice, représentant de la Défense, Solidarité nationale [volet indemnisation]). Il n’échappe à personne que des dossiers d’importance vitale pour la vie de la Nation souffrent encore dans les tiroirs de certains ministères ou même sur la table de l’APN sans que l’on en connaisse les vraies raisons. Sans prétendre épuiser le sujet et à titre de simple illustration, on citera les nouveaux Codes communal et de wilaya auxquels il faut associer un autre projet, celui de la nouvelle division administrative. Ces trois dossiers, qui représentent un même enjeu, engagent l’avenir du pays sur plusieurs plans. Le moindre n’est sans doute pas celui de la décentralisation des structures de l’État et la définition claire des prérogatives des élus et des agents publics. Le ministre de l’intérieur n’a pas cessé de promettre que ces projets allaient être soumis à l’Assemblée populaire nationale. La législature prend fin et rien ne se profile à l’horizon dans ce domaine. La vox populi a plusieurs fois également colporté la rumeur d’une révision du repos hebdomadaire pour le faire concorder avec le week-end universel. Les arguments économiques ne manquent pas. Pour certains secteurs de transit et de fret, le travail se limite à trois jours sur sept. Des manques à gagner qui se comptent milliards de dinars y sont enregistrés. Mais, les autorités et les élus du peuple sont apparemment figés par des considérations idéologiques surannés. Quand à la révision de la loi électorale réclamée par plusieurs partis politiques et assumée par le département de Zerhouni, elle est renvoyée à la prochaine législature après qu’elle eut été, un certain moment, entrevue pour un examen par l’actuelle assemblée. L’un des plus lourds dossiers qui a soulevé des vagues à la fin de l’été dernier est la révision constitutionnelle. L’APN est apparemment exclue de la  »mécanique » procédurale bien que…la Constitution lui donne des droits dans ce domaine. Le travail acharné et en solo du FLN sur la question, prenant parfois les allures de harcèlement, s’est étalé sur plus d’une année et a abouti à la présentation de  »deux ou trois mouture » au président selon les termes de Belkhadem. Le référendum prévu à la fin de l’année passée n’a pas eu lieu et le même Belkhadem trouve difficilement les mots pour justifier un tel report. Il prend seulement soin de préciser que ce n’est pas une annulation du projet. La période post-électorale sera-t-elle mise à profit pour l’exhumer ? Ou bien les  »grands équilibres internes » et les luttes de sérail auront-ils raison de la volonté de procéder à la révision du texte fondamental ?

Amar Naït Messaoud

Partager