L'autre challenge !

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 Par Amar Naït Messaoud

La thématique qui a  »imposé » sa présence avant et au cours de la célébration du Printemps amazigh de cette année est, sans doute, la nécessité d’aller vers l’officialisation de tamazight. Des acteurs du mouvement associatif, des responsables de l’administration de la Culture et des personnalités indépendante ont eu à s’exprimer sur le sujet, profitant sans doute de la préparation de la nouvelle mouture de la Constitution. Cette mission a été confiée par le Premier ministre à un panel de juristes. Dans les faits, la revendication de l’officialisation de tamazight remonte aux années 1980, dans le sillage de la demande générale de la réhabilitation de la culture et de la langue amazighs. Le sommet de la revendication a été atteint lors de la grève du cartable en 1994. Le Printemps noir, avec son lot de martyrs, est venu faire remonter en surface la demande de constitutionnalisation de la première langue, sur le plan historique, de l’Afrique du Nord. La Constitution du pays a eu, alors, à reconnaître son caractère national dans un article appelé « trois-bis » au cours d’un congrès parlementaire ayant réuni les deux chambres du Parlement en avril 2002. Cette reconnaissance n’a apparemment pas induit de conséquences notables sur la prise en charge et le développement de cette langue sur tout le territoire du pays. L’enseignement même dans les écoles et collèges vit actuellement des moments difficiles dus au rétrécissement de son aire d’intervention et au déficit de moyens humains et pédagogiques. Tout en étant une institution publique, qui plus est, rattachée à la présidence de la République, le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA) donne l’impression, dans le domaine spécifique de l’enseignement de la langue, de constater les reculs et les impuissances des pouvoirs publics. Sans doute que sa mission n’est pas de se substituer au ministère de l’Éducation nationale; mais les espoirs que les praticiens du terrain ont mis dans cette institution pour les accompagner dans leur tâche difficile, menée parfois dans la solitude de la recherche personnelle, mettent cette institution devant des responsabilités qui n’étaient pas totalement inattendues. Cette même institution souffre pourtant d’un  »vice de forme » sur le plan administratif. En effet, depuis la mort, en 2004, du Haut Commissaire à l’Amazighité Idir Aït Amrane, son poste n’est pas pourvu à ce jour. L’intérim est assuré par le secrétaire général, Youcef Merahi.  À titre de comparaison, il y a lieu de rappeler que le Haut Conseil de la langue arabe a trouvé il y a quelques semaines, en Azeddine Mihoubi son nouveau président, c’est-à-dire, à peine sept mois après l’appel à d’autres fonctions (présidence de l’APN) de son ancien président, Mohamed Larbi Ould Khelifa. Le bilan de l’enseignement de tamazight, à l’école comme à l’université l’accumulation de la production littéraire et de la recherche linguistique, ainsi que la prise en compte des avis et recommandations de personnalités et cercles universitaires avisés, constitueront, le moment venu, le terreau sur lequel la revendication de l’officialisation devra s’appuyer. Parallèlement à ce débat- qui, en réalité n’a pas encore gagné en maturité et en accumulation scientifique-, le mouvement associatif, les collectifs culturels, et même les pouvoirs publics sont attendus sur un autre terrain qui est loin d’être sans importance. C’est le travail de l’enseignement des adultes par les opérations d’alphabétisation. L’État a réservé des sommes considérables pour l’enseignement des adultes en langue arabe. Pourquoi tamazight échapperait-elle à cette politique qui relève de la promotion de la citoyenneté? Car, indubitablement, l’une des raisons du retard du développement économique du pays, et qui constitue également un obstacle majeur à l’accès à la modernité politique, demeure la situation d’analphabétisme qui prend en otage une frange importante de la population. La pièce maîtresse qui a fait défaut dans la mission de construction politique, telle qu’elle a été menée dans le cadre du pluralisme depuis les événements d’octobre 1988, est l’existence d’une société instruite, d’une jeunesse cultivée et d’une population consciente des luttes à mener sur le terrain pour une véritable émancipation politique et une réelle ascension sociale, outils incontournables dans l’entreprise de la réalisation de soi.

 

L’entreprise mèrite d’être menée

 

L’Algérie traîne le fléau de l’analphabétisme au moins sur 6 millions de ses habitants, d’après les statistiques de 2012. Cette tare pourra-t-elle être neutralisée par les initiatives actuellement lancées par les pouvoirs publics et l’association « Iqraa »? L’effet d’annonce, à la limite du folklore, sera-t-il dépassé vers une véritable politique d’alphabétisation? Le processus exige pourtant beaucoup d’efforts et un travail harassant et persévérant. Des cas de réussites individuelles sont signalés çà et là à travers le territoire national. Mais, c’est une goutte d’eau dans l’océan de l’analphabétisme qui touche maintenant, ô comble d’hérésie, des élèves déscolarisés qui ont reçu un enseignement primaire et même moyen. C’est aussi à l’aune des échecs de l’école algérienne à former une société instruite et cultivée- dans un monde complexe de plus en plus numérisé- qu’il y an lieu d’imaginer une politique offensive d’alphabétisation. Mais, cette dernière, n’a pratiquement aucune chance de relever le défi lorsqu’elle exclut la langue maternelle des candidats à l’enseignement. Selon Fraenkel Béatrice, directrice d’études de la chaire « Anthropologie de l’écriture » à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris,  »un certain consensus existe aujourd’hui sur l’efficacité accrue d’une alphabétisation en langue maternelle. Il semble légitime de privilégier la langue maternelle d’un adulte qui désire s’alphabétiser. L’effort à fournir serait limité l’apprenant maîtrisant déjà la langue orale. En revanche, alphabétiser dans une langue « étrangère » revient à obliger l’apprenant à fournir un double effort : acquérir les mécanismes de la lecture et de l’écriture, mais aussi apprendre une nouvelle langue. Un deuxième argument en faveur de l’alphabétisation en langue maternelle met en avant le souci de préserver et d’affermir l’identité culturelle ». C’est à ce titre que tamazight est censée, en plus de son enseignement à l’école et à l’université bénéficier d’une diffusion intelligente. Là également, il faudra éviter la précipitation. Les méthodes universelles d’enseignement des adultes sont connues des psychopédagogues. Il ne faut pas lésiner sur les moyens. Les  pouvoirs publics et les associations sont interpellés. Pour avoir tenté dans un village de Kabylie, une courte expérience, au début des années 1990, avec les poèmes d’Aït Menguellet et de Matoub-transcrits, expliqués et commentés au tableau devant des adultes, sur le mode de l’approche participative, nous en tirons d’immenses disponibilités de la population et la certitude que l’entreprise vaut d’être menée.

A. N. M.

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