Il est un peu plus de onze heures. Les alentours d’Errich grouillent de monde. Pour la plupart, Ils et elles, sont venu(e)s de la Kabylie profonde écouter et voir leur idole. Tous, les jeunes, comme les vieux, ils sont venus écouter battre leurs cœurs et surtout surprendre dans le luth et la poésie de Farid Ferragui, les mots dont les amoureux mélancoliques ont souvent besoin. Comme dans la chanson d’Aznavour, ils sont venus et ils sont tous là pour une histoire d’amour.
Une histoire d’amour que nous imaginons clandestine, impossible ou interdite. Une histoire d’amour que leur contera l’artiste et qui leur donnera l’impression, et quelques fois la certitude, d’Être, avec un “ê’’ plus que jamais majuscule. Ils sont venus l’entendre chanter tout haut l’Être qu’ils aiment tout bas.
L’artiste est déjà dans la loge. Il a l’air fatigué. Il nous avouera qu’il n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Nous soupçonnons que les attentats de la veille l’avaient secoué. Il s’efforce cependant de ne rien laisser transparaître. Farid est de cette race d’artiste qui oppose l’amour à la mort.
Il a, sans doute, conscience que “ferhi s mmi” et “taxatemt-iw” construisent plus que ne détruisent les kamikazes “d’Al Qaida” (mille excuses l’artiste d’avoir glissé dans “ton papier’’ le nom de la lugubre organisation !). Tout comme ce personnage de Camus qui en plein enfer glacial de la Sibérie défie ses geôliers en exécutant des notes de musiques muettes, celui qui a chanté “beâdegh-kun, khdut-iyi (je ne suis pas comme vous, foutez-moi la paix)” brandit son luth à la face des forces du mal.
Midi passé. L’hôte de Bouira est toujours dans la loge. Il échange avec nous les mots de tous les jours. Il semble cependant inquiet. Son inquiétude est professionnelle. Son souci s’appelle public. Il se rappelle qu’il a besoin de manger. Sans façon et sans chichi, il partage avec nous un sandwich. Arrive Reghal Aomar, le directeur de la culture, lui aussi artiste à sa façon. Puisant dans sa charmante bonhomie, le directeur trouve les mots qu’il faut pour détendre l’atmosphère. La salle se remplit. Farid se prépare.
Il règle son luth. Il a sans doute besoin d’être seul quelques instants, mais sa gentillesse l’empêche de dire : “Sortez, S.V.P, j’ai besoin d’être seul”.
14h30mn. Farid monte sur scène. Il est accueilli par des youyous et des applaudissements qui n’en finissent pas. C’est tout l’oxygène de l‘artiste. Il chante ses amours, sa vie, son histoire. Le public y adhère jusqu’à n’en faire qu’un avec lui. Entre deux chansons, l’artiste trébuche. Fusent de la salle des “attention !”. “je me relèverai !”, répond Farid. S’en suivent des applaudissements pour signifier à l’artiste que son message a été reçu cinq sur cinq.
Dehors, pendant le récital et frustrés de ne pouvoir voir et écouter l’artiste, des jeunes déversent leur colère sur les portails de la salle. A ce propos, Farid ne cachera pas sa colère. “Pourquoi ne les a-t-on pas laissés entrer !?”, dira-t-il plus tard.
Avant la fin du spectacle, le directeur de la culture et le président de l’APC – qui a tenu à être là – ont remis au nom du premier responsable de la wilaya un cadeau à l’artiste. Touché par le geste, Farid Ferragui dira le respect qu’il a pour les responsables qui s’impliquent ont dans la chose culturelle et, ce faisant, sont à l’écoute de leurs concitoyens.
Fatigué, mais heureux d’avoir donné et reçu, l’artiste rejoint la loge où il recevra avec bonheur ses admirateurs et admiratrices. L’artiste rentrera chez lui vers 18h30mn. Le public aussi, mais avec, cette fois-ci, le plein de bonheur.
T. Ould Amar
