Il y a 50 ans, la rencontre de Maouia

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Dès l’entrée du village, une banderole vous rappelle que vous êtes les invités des lieux. Puis, en dépit de la mauvaise qualité du goudron dont les ornières mettront à rude épreuve tout véhicule qui oserait parcourir ces quelques kilomètres qui vous séparent de la grande route, une stèle commémorative vous fait face. Cet ouvrage qui se veut grandiose est l’œuvre des citoyens du village lesquel se refusent à admettre que le passé historique de leur village soit occulté. Car, ce village a  » osé « , durant la révolution – pour laquelle il a payé un lourd tribut – être ce que beaucoup de villages lui envient : la « capitale de l’Algérie combattante « . Cela lui a-t-il fait bénéficier de quelque chose ? Là est la question que d’aucuns se posent et à laquelle ils ne trouvent aucun élément de réponse ! Avoir accueilli en son sein tous les  » grands responsables  » de la Révolution, avoir assumé la lourde responsabilité de leur sécurité et en avoir supporté les conséquences qui se sont abattues sur les membres de cette communauté, cela forme la base de leur fierté, gardant toujours espoir que justice sera rendue à leur village, quand, enfin, on lui reconnaîtra d’avoir assumé  » sa charge historique « . En ce mois de mars 1957, tandis que toutes les régions subissaient les contraintes de la colonisation, alors que l’armée d’occupation était omniprésente, les responsables de la Révolution prennent la décision de se réunir dans ce village de Maouia, village retiré au bord d’une corniche pratiquement inaccessible, loin de toute route goudronnée, faisant face à la zone de Larbaâ Nath Iraten et tournant le dos à la zone d’accès. Da Salem, lui, n’a rien oublié. Même s’il est originaire du village voisin de Taourirt Aden, il connaît bien les lieux. Montrant la façade d’une vieille maison qui garde encore les traces du passé, il pointe un doigt tremblant mais sûr vers le mur, cimenté depuis, qui recouvre l’antique cave dont la porte, large d’un mètre à peine se trouve à l’intérieur, juste au niveau du sol, porte à travers laquelle se sont faufilés ceux qui étaient convoqués à la réunion, ceux dont le village devait assurer la sécurité. L’intérieur de la maison ne laisse rien apparaître de cette cave située sur le côté, avec les ouvertures réservées aux animaux de l’étable, comme toutes les maisons de Kabylie. Qui pourrait savoir que, sous cette étable à ras du sol, se trouve une cave où se déroulent des réunions secrètes de ceux que l’on appelait, en ces temps-là, les  » fellagas  » ? D’ailleurs, ce jour-là, rares étaient ceux qui savent. Même les convoqués ne savent pas qui ils doivent retrouver dans ce village isolé. L’état-major de la Wilaya 3 devait se réunir, de toute urgence, pendant les journées du 19, 20 et 21 mars 1957. Si Ouali Aït Ahmed, officier de l’ALN originaire de Irdjen et secrétaire du PC de la Wilaya 3, cite les noms des responsables : il s’agit de Krim Belkacem et de Benyoucef Benkheda (membres du CCE) accompagnés du Dr Nefissa Hammoud qui se rendaient en Tunisie. Confiés aux soins du groupe Si Mohand Oubelaid, ils parviennent au village de Maouia le 19 mars 1957 pour y retrouver tous les membres des comités de la Wilaya 3 (Colonel Si Nacer, Commandant Amirouche, Vrirouche et Kaci), des quatre zones dont le Capitaine Kaci Ousmail (Z 4), Mohand Arab (Z 2) et Mustapha Nouri (Z 1). De nombreuses unités venues de la région de Larbaâ Nath Iraten étaient chargées de la garde.

La réunion est d’importance, selon Si Ouali, les travaux doivent porter sur la mise en place des dispositions nées du Congrès de la Soummam, notamment la réorganisation territoriale et les grades officialisés ainsi que sur les nouvelles promotions opérées.

Lorsqu’un avion d’observation (piper-cub) rase les toits des maisons de Maouia, Krim est informé de l’arrivée d’un agent de liaison porteur d’une mauvaise nouvelle. L’avion l’avait devancé. L’armée d’occupation avait capturé – après blessure – le moudjahid Ahmed Bouderba, ancien étudiant en 4ème année de médecine, avec, dans sa poche, la convocation à la réunion de Maouia, qu’il n’avait pas eu le temps de détruire. Vite, Krim lève la séance et l’ordre de dispersion est donné, d’autant plus que des informations parviennent sur un grand mouvement des troupes coloniales dans les principales casernes environnantes, dans une tentative d’encerclement. Les deux membres du CCE et leurs compagnons se réfugient à Lemkharda du côté de Taka Nath Yahia. Le chef de la Wilaya 3 se rend à Bouzehrir, un autre village – assez proche de Maouia – au relief escarpé dont il a l’habitude des lieux. Les autres traversent la montagne de Tizi Ali à destination de Sahel et d’autres villages plus sécurisés. Dire que tout cela s’est passé dans la tranquillité serait un leurre, car, de part et d’autre de cette région montagneuse, se déroulaient des combats titanesques, des accrochages multiples. Cette vaste opération, que la capture du moudjahid a déclenchée, se fait fi du relief.

Des fusillades étaient entendues dans la région de Ath Oumalou. Une section de l’ALN est accrochée entre Amazoul et Laziv Nath Saâda (à proximité de Maouia) et la bataille, qui dura toute la journée, verra 22 moudjahidine tomber au champ d’honneur. La population du village de Amazoul dut attendre la nuit pour procéder à leur inhumation. A Thissirth N’Chikh, sur la route de Ain El Hammam, une unité ennemie est accrochée par les maquisards sous les ordres de Si Mohand Oubelaid. Toute la région des Ait Khellili est touchée. Des avions lancent des roquettes sur les unités de l’ALN accrochées à Izemouren, à proximité du village de Sahel. Des obus sont tirés des casernes environnantes, notamment celles de Taboukirt sur la région Ait Fraoucène, Djemadi sur la zone Ait Yahia / Mekla et Aghribs sur la région de Ath Bouchaïb / Ait Khellili.

Cela ne semble nullement s’arrêter puisque, dans la région de Ath Bouchaib, 14 combattants de l’ALN tomberont au champ d’honneur. Ainsi, face à ces forces conjuguées dont tous les moyens sont utilisés, 138 moudjahidine ne se relèveront pas. Parmi eux, le Capitaine Kaci Ihadaden et les aspirants Si Mokrane Aouaksas de Icheriden et Si Farez d’Ait Hag (Irdjen). Comble de l’ironie, la qualité de moudjahid n’est toujours pas reconnue pour le premier aspirant de même que Si Md Ouidir d’Iachouva. La bataille fait rage. Les populations civiles des villages fuient en désordre. Puis vient le tour du napalm qui sera déversé des avions qui ne cessent de survoler les lieux. Nul n’est épargné. Rien n’est épargné. Des arbres séculaires, principalement des oliviers, disparaissent dans des flammes apocalyptiques. Ainsi, par et pour cette réunion de Maouia, par et pour cette réunion de l’état-major, par et pour cette réunion de la « capitale de l’Algérie combattante ». Aujourd’hui, les habitants du village de Maouia s’interrogent et Djamal D. se fait leur porte-parole, soutenu par tous les membres du comité. Si leur village a joué un rôle aussi important dans le combat révolutionnaire, si leur village porte fièrement l’auréole du combat libérateur, il faudrait savoir pourquoi, à l’instar de la région de Ifri où s’est déroulé le Congrès de la Soummam, de même que la maison, qui avait abrité cette réunion, a été déclarée  » Patrimoine Historique « , pourquoi Maouia n’a pas bénéficié de la même considération, à charge pour les moudjahidine encore vivants, pour les responsables de l’écriture de l’histoire de notre nation, de rectifier cet oubli. Il ne suffit pas de cibler la mairie de Mekla comme responsable de cet état de fait. Les autorités communales ont fait ce qu’elles pouvaient, selon leurs moyens et le programme, tracé pour l’année en cours, fait bénéficier le village d’un tapis et de l’eau potable. Quant à l’école primaire, elle restera encore fermée, dans sa vétusté et son délabrement, attendant toujours que l’on procède à des réparations d’urgence manifestes, tandis que les enfants fréquenteront, encore et encore, l’école du village voisin, située à Laâziv Ath Saada, faute de pouvoir constituer un groupe à eux seuls, leur nombre, insuffisant pour constituer une classe, ayant  » clos  » le portail des lieux … temporairement.

Sofiane Mecherri

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