La vie et la poésie de Si L’bachir Amellah, à l’honneur du 4e «Jeudi Littéraire»

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Après avoir été présenté à l’assistance, qui s’agrandit de jeudi en jeudi, avec à chaque fois de nouveaux visages, notre sympathique conférencier au visage jovial et à l’allure sportive malgré des cheveux grisonnants a simplement emboîté le pas à Bizek l’animateur de l’association organisatrice (la ligue des arts dramatiques de Bgayet) pour monter sur la scène de la petite salle du théâtre de Béjaïa aménagée pour rappel, en 1992 par Mohamed Fellag, du temps où ll était à la tête du TRB et qui tient lieu d’espace de rencontre (autour d’un thé) de ce café littéraire, chaque jeudi après-midi à partir de 14h. L’invité/conférencier du jour, est natif de Timerit (village qui a enfanté aussi le regretté Azeddine Meddour, grand cinéaste algérien auteur de l’inégalable «La montagne de Baya”, distante d’une cinquantaine de kilomètres du chef-lieu de wilaya. En sa qualité de docteur en Lettres, Kamel Bouamara enseigne la littérature amazigh à l’université de Bgayet depuis 1995. Il a déjà à son actif plusieurs travaux écrits en tamazight et édités par le HCA : «Tughalin n wqcic ijahen», une traduction de «Le retour de l’enfant prodige» d’André Gide ; «Ussan di t’murt» traduction des «Jours de Kabylie» de Mouloud Feraoun, ainsi que «Nekni d wiyid», un recueil de nouvelles.C’est à Paris qu’il soutint, en 2003, sa thèse de doctorat intitulée : «Si l’Bachir Amellah (1861-1930), un poète-chanteur célèbre de Kabylie». Ce travail académique qui exigea de lui pas moins de dix (10) longues années de recherches et de sacrifices fut récemment édité en 366 pages, par les «Editions Talantikit» à Bgayet, dans un format rétréci aux 2/3 de sa thèse originale. Par ce précieux apport pédagogique et documentaire le chercheur Kamel Bouamara rajoute ainsi une autre pierre à l’édifice de la littérature amazigh (berbère) tout en contribuant à préserver une bonne partie de notre très riche et vaste patrimoine oral, en perdition permanente malheureusement, faute de témoignages et documents écrits ou filmés. «Chaque vieille femme (ou vieil homme) qui meurt, nous alertait Da L’Mouloud Mammeri (se référant lui-même à l’autre monument africain qu’était le Sénégalais Léopard Sédar Senghor) est une bibliothèque qui part en fumée !”. Désormais avec cet ouvrage, le poète-chanteur Si L’Bachir Amellah et son répertoire poétique (pourtant très célèbre en Kabylie d’entre les 19e et 20e siècles, mais jusque-là méconnu parce que non documenté) sortent de l’anonymat pour reprendre la place qui leur sied dans la culture amazigh en général et algérienne en particulier. Par ailleurs, en dépoussiérant un pan de notre histoire, notre émérite chercheur nous aide grandement à mieux voir dans notre propre passé (basé sur le verbe et l’oral) de la période coloniale afin de mieux comprendre notre tragédie (voir plus clair en nous-mêmes et autour de nous) dans l’espoir de réussir à mieux nous projeter dans le futur (un futur basé sur le chiffre et l’image). Sa thèse qui constitue un approfondissement à la fois théorique et méthodologique de son mémoire de magister soutenue en 1995 à l’université de Bgayet, est une recherche sociologique, linguistique et anthropologique qui nous éclaire par ailleurs sur les us et coutumes de la Kabylie de la fin du 19e siècle et début du 20e siècle à travers la vie et la poésie de Si L’Bachir Amellah (de son vrai nom : Chibane L’Bachir), ce fabuleux troubadour d’Ichekkaben un village perché sur les monts de Feraoun qui surplombent Assif Umassin. Lequel «Amassin» et presque à la même époque au niveau de la vallée de la Soummam, servait, paraît-il, de QG et de zone de repli à un autre pas moins légendaire Areki U L’Bachir, dit «bandit d’honneur» !

Si Muhand :“A si l’Bachir Amellah / at-thedred leslah/a k-ciwregh issin lumur “Bettu d w’iâzizen iqerreh// deg tasa ijerreh// deâfegh cbigh azerzur “A wi-yi-d kra l-lemdeh// Ifenn-ik d sseh// hat-a wul-iw d amedrur

Si L’Bachir : “Axxam ay-bnigh f llsas// leswar ssaâligh-as//igh’reban ghlin wa ghef-fa “W’innumen lâezza, tettwakkes-as//tenneqlab fell-as// ttif lmut tudert am-ta

Si Muhand : “Helkegh lehlak d ammeqnnin// yejreh wul meskin// yahessera âeddan wussan “Kkan-d ttebba timdinnin// ddwa-w ur t-ufin//hewwsegh-d rdjal u nneswanA lehbab heggit timedlin// qbel ad-awen-innin// Si Muhand ghef tizi l’Imut

Humblement et après avoir remercié les animateurs de la ligue des Arts dramatiques pour leur invitation, l’orateur avoue dès l’entame de sa conférence toute sa reconnaissance à ses anciens camarades du temps du grand MCB assembleur, (parmi lesquels il cita l’Hacen Ziani, ancien parolier de la troupe «Ideflawen» connue pour sa chanson engagée des années 1980) installé depuis quelques temps au Canada «sans l’encouragement desquels, dit-il, je ne serais peut-être jamais allé aussi loin !»Lors des débats (toujours aussi riches, passionnés et passionnants !), on a relevé la récurrence de l’inévitable question comparative : connaître tout ce qui relie ou a pu être partagé entre Si L’Bachir Amellah (1861-1930) et Si Mohand U-M’hand (1845-1906) l’autre monument de la poésie kabyle, vu qu’ils ont vécu à peu près, à la époque. En réponse à toutes ces curiosités, on apprendra de l’orateur que de leur (s) rencontre (s), et autre (s) éventuelle (s) joute(s) oratoire(s), il n’y a au fait, rien de précis, vu (au risque de me répéter encore une fois) l’absence de faits documentés. Façon de dire à nos chercheurs qu’ils ont du pain sur la planche, u sujet de la sauvegarde et de l’étude du riche patrimoine oral amazigh de toute l’Afrique du nord (à commencer par le Kabylie) ; car tout reste à faire finalement ! Les Saïd Boulifa, Mouloud Feraoun, Da L’Mouloud Mammeri, et bien d’autres…, n’ont fait que déblayer le terrain aux contemporains : Tassaâdit Yacine, M’henna Mahfoufi, Kamel Bouamara, pour ne citer que ceux-là.Ce qui est certain par contre, ce sont ces légendes entourant nos deux célèbres poètes : Si Mohand U M’hand et Si L’Bachir Amellah, où l’on retrouve une certaine similitude : Un point d’eau (un puisard, une fontaine, un cours d’eau, etca…), fréquenté par les humains et hanté par les êtres surnaturels, tels que les anges, les génies, etc…Cette eau, source de vie et de création, constitue le lieu de rencontre des deux mondes : le naturel et le surnaturel. Ainsi, pour Si Mohand, la légende dit qu’il a été pris à partie et mis en demeure par un ange de choisir entre les deux formules suivantes : “E-h’dder, nekk ad-ssefrugh !”, ou alors, “ E-ssefru !, nekk-i ad-heddregh”.E-ssefru, nekk ad-heddr-egh !”, c’est-à-dire : “Fais les vers, et moi je parlerai !”, lui répondit Mohand.Depuis ce jour, dit-on, les vers “coulent” de sa bouche, comme coule l’eau d’une source. A propos de Si L’Bachir, l’on rapporte que de son passage en compagnie de son accompagnateur de l’époque, devant une fontaine occupée par de saintes femmes d’Aït U-Rtilan étant identifiés, ils ont été sollicités pour leur chanter quelques chansons. Mais étant partagés entre la timidité et la crainte d’être sévèrement corrigés par les hommes du village (car par convenance, l’on ne chantait pas aux femmes seules, encore moins à la fontaine réservée exclusivement à elles), ils hésitèrent un moment avant que Si L’Bachir seul ne cède sur insistance des femmes, qui leur donnèrent leur parole d’honneur de garder le secret auprès de leurs maris, ce qui leur garantirait la vie sauve. A près quoi, ces femmes lancèrent cette prédication : “Ruh a k-yefk Rebbi leqraya n’Tbell !” à l’adresse de Si L’Bachir. A son accompagnateur par contre, l’imprécation que voici ; “Ruh a K-yefk Rebbi tizzit gh’taghect-ik !”. Depuis ce jour-là l’aura de Si L’Bachir Amellah, n’a pas cessé de grandir nous dit-on. L’Mouloud U-Ali U-M’hand, son compagnon en revanche, devint muet. “Ceci pour dire, nous explique le conférencier : que “l’art de composer des vers”, n’est pas une question d’apprentissage uniquement (comme l’enseignait Muhand Saïd des Aït Mlikech, prince des poètes kabyles au cours de la première moitié du 19ème siècle), n’est pas de l’ordre de l’acquis, somme toute accessible à tout un chacun ; mais aussi une question surnaturelle, liée au sacré, une question de don réservé aux seuls élus”.

Khaled Khodja

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