“Le destin de la Kabylie ne doit pas se situer entre les bars et les barricades”

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La dépêche de Kabylie : La campagne électorale tire désormais à sa fin. Quel bilan en faites-vous ?

Amara Benyounes : Globalement je dirais qu’il est positif dans la mesure où il y a eu déjà ce rapprochement avec la population. J’ai personnellement fait le maximum de wilayas à travers le pays, et j’ai perçu de l’intérêt chez la population qui se présente dans les meetings. Elle est dans sa majorité préoccupée et inquiète. Mais il faut reconnaître que les partis politiques et les médias lourds, notamment la télévision et les radios n’ont pas pu créer cette dynamique qui mobiliserait une majorité importante des Algériens. Car qu’on le veuille ou non le moteur d’une campagne électorale, c’est le débat contradictoire. Certes, il y a l’apport de la presse écrite, mais cette dernière reste d’une portée réduite. Et moi, je l’ai dit dès le départ, que le plus grand ennemi que nous allons affronter lors de cette élection, c’est le taux d’abstention.

Durant votre campagne, avez-vous senti l’adhésion de la population à votre projet de coordination républicaine ?

Ça, c’est clair. Mais le premier aspect positif pour nous c’est de nous être présentés pour la première fois depuis l’indépendance avec les listes communes des deux partis politiques. A partir de là, quel que soit le résultat de ces élections, nous, nous allons sortir vainqueurs avec ou sans siège parce que nous avons su créer une dynamique que nous allons poursuivre après l’échéance électorale quelle que soit l’issue de cette dernière. Notre rassemblement est en chantier et on le parachèvera avec nos amis de l’ANR et du MDS. C’est pour cela que je considère que ces élections sont venues un peu trop tôt pour nous. Elles ne sont pas une fin en soi, ce qui nous intéresse, ce qui nous préoccupe le plus c’est de doter, à l’avenir, l’Algérie d’un véritable mouvement républicain capable de constituer une véritable alternative au courant islamo-conservateur et aux partisans du statu quo.

Considérez-vous cette élection comme un test déterminant pour l’avenir de la coordination ?

Pas du tout. L’élection ne peut pas constituer pour nous un test déterminant dans la mesure où les Algériens n’ont pas encore eu le temps d’apprécier notre travail collectif. Et puis il faut dire une chose importante, c’est que dans cette alliance électorale, il y a nos amis du MDS qui manquent. Ils avaient un certain nombre de questions organiques à régler. Ce qui a retardé un peu leur intégration. Par la suite, le temps ne nous a pas permis de partager les listes avec eux. Mais ce qui est certain, c’est que l’ANR, l’UDR et le MDS sont parvenus à un accord politique qui a été concrétisé la veille du lancement de la campagne électorale avec la mise en place de la coordination républicaine qui regroupe les trois partis politiques et un ensemble de personnalités de la société civile, et nous sommes décidés à donner un prolongement concret à cette coordination en installant, très probablement juste après les élections, des structures à travers tout le territoire national pour déboucher enfin sur une structure plus ancrée et plus efficace.

Envisagez-vous une ouverture plus large à la structure au-delà de l’échéance électorale ?

Nous sommes ouverts à tous les partis politiques et à toute personnalité qui partage avec nous les valeurs de la démocratie, de la modernité et de la République. Nous n’excluons, et je tiens à le dire, et nous n’avons aucun compte à régler avec personne. Toutes les personnalités, tous les partis, tous les citoyens, et toutes les associations qui répondent au cahier des charges politique de la mouvance républicaine et qui veulent se joindre à nous sont les bienvenus.

Vous êtes partisan d’un soutien indéfectible au programme du président de la République, tout comme l’est l’Alliance présidentielle. Mais vous ne vous gênez nullement pour viser cette dernière. N’y voyez-vous pas là un certain paradoxe ?

La coalition présidentielle est dans une stratégie propre à elle. Je l’ai toujours dis, je ne comprends pas que peut bien partager le RND avec le FLN et le Hamas ? En dehors des portefeuilles ministériels, je ne vois pas ce qui les uniraient en termes de projets de société, de conviction, ou de programme qu’est-ce que ces partis ont en commun. Ils se disent tous partager le programme du président de la République mais le constat demeure celui-ci : Depuis qu’ils sont au gouvernement, nous avons souvent vu Hamas et le FLN s’opposer à l’ensemble des réformes initiées par le président de la République. Nous ne les avons pas vus soutenir d’une manière franche et nette les réformes proposées pour l’éducation, la justice, le code de la famille, de la nationalité. Même au sujet de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, nous avons vu et entendu les premiers responsables de Hamas et du FLN émettre des réserves. A partir de là, on ne peut parler d’accord total. Aussi pour preuve, le Président lui-même a à plusieurs reprises dénoncé dans chaqu’un de ses discours le fait que les choses n’avancent pas tel qu’il le souhaite notamment en termes de rythme de réalisation.

N’empêche qu’elle a vécu…

Certes et elle a commencé antérieurement au Président Bouteflika et il faut le souligner. C’est une alliance qui est au gouvernement depuis 1997. Elle était déjà là avec l’ex-Président Zeroual, et elle dure avec le Président actuel. Et si le Président Bouteflika ne la revoit pas, je pense que même celui à qui échoira le prochain mandat, ils vont le soutenir aussi s’il venait à leur faire appel. Je considère le principe de cette alliance tel celui des athlètes qui vont aux Jeux olympiques et qui ont pour devise  » L’essentiel c’est la participation « . Donc peu importe pour elle les projets, les options, l’essentiel pour l’Alliance est de rester dans les rouages de l’Etat qui est pour elle un atout pour élargir les assises de leurs partis.

Votre parti n’a toujours pas eu son agrément, et les récentes déclarations du Chef du gouvernement sonnent comme un refus renouvelé à vos attentes. Quel commentaire en faites-vous ?

D’abord, on ne nous a jamais signifié ni de refus encore moins d’accord. Mais dans cette histoire, le plus frappant est que pour la première fois depuis que nous avons déposé notre dossier j’entends un Chef du gouvernement assumer à la télévision algérienne le non-agrément d’un parti, démocratique. C’est extrêmement grave et scandaleux et je relève au passage qu’aucun parti dit de la mouvance démocratique ne s’est offusqué, et n’a réagi aux déclarations du Chef du gouvernement. Moi je dis simplement : C’est le gouvernement algérien qui a refusé l’agrément à l’UDR. Maintenant il se trouve que ma réplique va à Belkhadem qui a parlé. Mais il est vrai aussi que cela date bien avant sa venue à la tête du gouvernement. Mais si Belkhadem voit qu’on est face à un déni de justice qu’il voudrait réparer alors il n’a qu’à signer. Il est le Chef et il contrôle le ministère de l’Intérieur. En tant que Chef du gouvernement il ne lui suffit pas d’attribuer l’erreur à son prédécesseur pour s’en laver les mains. Il a les moyens pour réparer l’erreur s’il en voit là une bien sûr.

Ces dernières semaines ont été marquées par une nouvelle flambée des actes terroristes qui coïncident avec le rapprochement de l’échéance électorale. Les Algériens doivent-ils s’inquiéter sérieusement ?

Le terrorisme en tant que danger ou menace directe sur l’Etat algérien, c’est terminé… Le terrorisme a été vaincu militairement en Algérie, même s’il reste encore un certain nombre d’activistes terroristes dans la nature. Au passage, il faut rendre hommage aux services de sécurité de l’Etat algérien. Cela dit même s’ils ne seraient qu’une centaine, c’est beaucoup, car ils peuvent faire beaucoup de dégâts dans ce pays. Ce qui me préoccupe le plus cependant au jour d’aujourd’hui, c’est l’incapacité de la classe politique à s’unir dans un consensus national pour dénoncer le terrorisme comme cela se fait de par le monde. Chez nous en 2007, nous avons encore des responsables politiques algériens qui se refusent de nommer les terroristes pour ce qu’ils sont, se refusent de qualifier un acte terroriste. Un acte criminel comme les derniers qui ont visé la capitale est certes odieux, lâche mais il est avant tout terroriste, commis par un groupe terroriste, qui de plus, le revendique. Voilà ce qui est gênant dans cette affaire. Autrement, les Algériens doivent savoir qu’on doit s’attendre à subir pendant quelques mois encore de cette violence qu’il faudra éradiquer. Avec les derniers développements enregistrés dans l’affiliation des groupes armés si celle-ci venait à se confirmer, il y a vraiment risque de professionnalisation des actes terroristes. Et quand on tient ce langage, certains tentent de nous complexer en nous désignant d’éradicateur contre la paix. Oui je suis éradicateur mais la question ne se pose pas en ces termes. L’ensemble des Algériens est pour la paix. Ceux qui ne le sont pas, ce sont les terroristes, leurs soutiens et leurs relais. La vraie question est qui est pour l’éradication du terrorisme et qui est contre ? Il est primordial que les services de sécurité à leur tête l’Armée nationale sachent qu’ils ont un soutien populaire total tout comme celui total de la classe politique.

Les élections législatives à venir seront marquées par la non-participation du FFS qui a appelé au boycott. Une option que vous ne partagez pas bien sûr…

Personnellement je regrette cette défection. Le FFS est un parti qui a son audience donc un électorat. Ils ont décidé de boycotter, ce n’est pas la première fois mais cela reste une décision souveraine. Toutefois je ne pense pas très franchement qu’une telle option travaille pour l’épanouissement de la démocratie. C’est une démarche qui ne peut que sanctionner le camp des démocrates au moment où les islamo-concervateurs se mobilisent pour à chaque fois voter massivement. D’ailleurs l’histoire nous confirme que jamais un responsable politique de ce courant n’a appelé à un quelconque boycott. Ce sont les démocrates qui s’abstiennent où votent le moins dans ce pays, et c’est pour cela que la mouvance intégriste en Algérie qu’on évalue entre 20 et 25 % peut se retrouver majoritaire en cas de faible taux de participation. Il faut que les démocrates algériens prennent conscience qu’il faut voter et qu’il n’y a pas d’autres alternatives que les élections pour parvenir au pouvoir.

Ne redoutez-vous pas que cet appel au boycott puisse avoir des répercussions sérieuses sur le taux de participation, notamment en Kabylie où ce parti a un fort ancrage ?

Est-ce que les électeurs du FFS vont suivre le mot d’ordre du parti ? La réponse à cette question on ne pourra l’avoir qu’à l’issue du scrutin. En parlant particulièrement de la Kabylie, tout le monde sait que le taux de participation a toujours été des moindres dans cette région. C’est généralement le plus faible à travers le territoire national. C’est pour cela que je le dis dès aujourd’hui qu’il ne faut pas que ceux qui appellent au boycott prennent pour leur compte l’ensemble des abstentionnistes. Tous les éventuels abstentionnistes ne le feront pas forcément par conviction politique. Il faut le dire, la Kabylie, notamment ces dernières années, a vécu une situation très particulière par rapport aux autres régions du pays. Ajoutez à cela qu’elle a eu beaucoup de déceptions et de désillusions politiques. C’est une région qui s’est investie d’une manière massive à l’ouverture démocratique en 1989 particulièrement à travers deux partis politiques. Aujourd’hui, ces derniers se retrouvent dans une situation extrêmement difficile que ce soit au plan politique ou organique à tel point qu’on les a vu pratiquement disparaître de la scène en 2001 avec l’avènement du Mouvement citoyen qui avec ses forces et ses faiblesses a quand même pu gérer cette région pendant trois à quatre ans. A cet effet il faut tout de même rendre hommage à ce mouvement qui était insulté de toute part. Le mouvement a eu au moins le mérite d’avoir contribué à mettre un terme à la mort, chose très importante. Maintenant, il est établi que quelque chose de nouveau est en train d’émerger avec peut-être l’essoufflement de la classe politique traditionnelle qui a eu généralement à gérer cette région et pour laquelle un certain rejet serait éprouvé. Mais là aussi pour être fixé et se prononcer d’une manière valable, il faut attendre la tenue des élections et voir comment se comporteront les habitants de la région.

Vous le disiez précédemment, la Kabylie a beaucoup enduré. Quelle est la solution que vous préconisez en termes plus concrets pour la sortir du bourbier de l’insécurité, le chômage, la faiblesse du pouvoir d’achat de la classe ouvrière…

La Kabylie a besoin d’une seule et unique chose à savoir la paix. A partir de là deux choses importantes recouvreront leurs places : le débat contradictoire pacifique et la relance de l’investissement productif. De là on pourra voir le bout du tunnel car la solution pour la Kabylie, comme pour toute l’Algérie, est économique. Des problèmes majeurs qui se posent à cette région, c’est vrai qu’il y a l’insécurité dont la charge est à l’Etat de le régler mais la relance de l’investissement ne peut se faire sans l’apport du secteur privé. Il faut donc parvenir à créer un climat incitatif, de confiance, de stabilité qui va permettre aux investisseurs de repartir encore dans cette région. Parce que malheureusement ces dernières années non seulement il n’y a pas eu de nouveaux investisseurs qui sont arrivés mais pis, ceux qui sont en place pensent à délocaliser leurs unités de production. Et si par malheur il n’y aura toujours pas de création d’emploi, et la situation venait à perdurer, les jeunes se retrouveront la proie de n’importe quel extrémisme ou autres activités qui pourraient s’avérer dangereuses pour la stabilité de cette région. Il faut une mobilisation importante de l’Etat, des élus locaux, et de la société civile pour pouvoir inciter le maximum d’investisseurs et arriver à une véritable relance économique impérative à toute solution viable et durable. Pour la région, il est aussi nécessaire de sortir de ce face à face, frontal et permanent, avec le pouvoir. Le destin de la Kabylie ne doit pas se résumer entre les bars et les barricades. Les jeunes doivent avoir d’autres choix que de passer pour des émeutiers ou sombrer dans les bars clandestins qui pullulent dans la région et qui constituent une véritable menace. La Kabylie regorge d’un potentiel démocratique exceptionnel, je ne crois pas qu’elle va renoncer à deux combats : celui pour lequel sa langue recouvre le statut qui lui revient, et l’autre pour le triomphe de la démocratie. Et c’est ce qui singularise les habitants de cette région.

En évoquant le statut de la langue berbère, vous touchez là un point sensible…

Je pense que tout le monde, sans quasiment aucune exception, partage la position de l’UDR sur cette question même si certains n’arrivent pas à l’assumer. De nos jours, je le dis très sincèrement comme je le pense, la langue berbère ne peut pas avoir un statut de langue nationale et officielle. Tout le monde, y compris les experts, le reconnaît. Le consensus est établi. Il y a des langues régionales et chaque langue ne peut aspirer à son officialisation au-delà de la région où elle est parlée. Tous les responsables politiques sont d’accord pour parler de l’officialisation régionale, mais n’osent pas l’assumer ouvertement.

L’actualité, c’est aussi l’élection du nouveau Président de la France, qui a beaucoup intéressé l’opinion algérienne, prise d’une certaine crainte après le passage à la magistrature suprême. Vous la partagez ?

Je n’ai pas à avoir de jugements sur le président de la République française. Les Français l’ont élu à la majorité, et personne n’a contesté la manière. Il faut que les Algériens comprennent que n’importe quel président de la République française qui sera élu, ne défendra que les intérêts de la France. Il faut que les Algériens se débarrassent de ce sentiment qui nous envahit lorsqu’il est question de politique étrangère. Tous les présidents sérieux du monde n’ont que des intérêts à l’étranger. Il est temps pour nous, les hommes politiques algériens de raisonner aussi de la sorte car malheureusement nous sommes encore loin de cette conception en matière de diplomatie. Ce qui est certain, c’est que la France a donné une leçon de démocratie au monde entier avec l’instauration du débat contradictoire, et la prise de conscience de l’électorat. On a vu que les français n’étaient pas trop emballés au départ de la campagne mais au fil des journées, le débat s’était bien ancré, les médias ont joué leur rôle, et l’élection a eu l’emballement qu’elle devait avoir pour parvenir à un taux record de participation.

Lors de son premier discours, en tant que président, juste après la proclamation des résultats, Sarkozy a plaidé pour la construction de l’union méditerranéenne. L’Algérie doit-elle se sentir invitée à un débat ?

Bien sûr que si. On est à l’écoute de ce que dit le nouveau Président de la France comme lui devrait l’être à ce que nous disons. Quand Sarkozy parle de l’union méditerranéenne, il est évident que nous devons comprendre que nous sommes directement concernés. Moi, ce qui me froisse quelque peu, c’est que nous réagissons que par rapport à ce que les autres disent, nous ne prenons pas d’initiatives. Chez nous, on n’a jamais entendu un responsable politique dire que le destin de l’Algérie est dans le périmètre méditerranéen. On nous a toujours expliqué que notre destin était dans le monde arabe, le monde islamique. C’est vrai que l’Algérie appartient à ce monde comme elle appartient au monde nord-africain, méditerranéen, et l’option géographique ne peut que nous donner une place importante dans cette zone et l’Algérie doit s’y mettre dès maintenant pour se préparer à y jouer un rôle important.

C’est votre mot de la fin ?

Nous sommes à la veille des élections et je ne le répéterai jamais assez : Il faut que les gens aillent voter. Même s’il y a déjà chez certains, suspicion de fraude, de politique des quotas, la seule manière de contrecarrer cette fraude si celle-ci serait envisagée, c’est justement en allant voter. Plus le taux de participation sera important, moins ceux qui seront intéressés par la fraude pourront le faire. Et je terminerais par disant aux Algériens que l’Algérie n’est en encore une démocratie parfaite. Elle se construit encore et elle reste un combat permanent à mener avec patience mais aussi avec volonté et détermination. Pour arriver à ce qu’ils sont aujourd’hui, les Français ont mis deux siècles alors que notre ouverture ne date que de vingt ans. Ce n’est rien dans la vie d’une société, dans la vie d’un peuple.

Entretien réalisé par Djaffar Chilab

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