Malhonnêteté chèrement payée

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(2e partie et fin)

Sans hésitation aucune, Moh’and abat ses deux bœufs, partage la viande entre les membres de la communauté. Il prend possession des deux peaux pour accélérer leur décomposition et accroître leur puanteur, il les enterre «d’eg g’oud’ou» (endroit où l’on jette le fumier).Après quelques jours de ce traitement les peaux deviennent nauséabondes. Il les déterre et les emmènent au marché. La veille Ouali lui dit :- “Au marché, tu vas susciter des jalousies, les gens vont te huer, t’insulter et te cracher dessus. Ne prends pas garde à eux. Tu vas obtenir un très bon prix, c’est moi qui te le dis !”L’odeur repoussante des peaux lui attire des tas d’ennuis. Il est chassé du marché. S’apercevant qu’il a été berné, il jette les peaux et retourne chez lui furieux. S’attendant à des représailles de grande envergure pour sauver sa propre peau Ouali, quitte le hameau pour se faire oublier.Quelques jours plus tard, après que Moh’and se soit calmé, Ouali trouve un berger en train de garder son troupeau de moutons. Pour s’accaparer de ses bêtes, il lui joue la comédie :- “Mon cousin Moh’and se marie, je ne peux y aller, j’ai un différend avec lui, mais je suis dans l’obligation de lui rendre son dû «thaoussa» (l’offrande en argent qu’on remet au fiancé). Si tu consens à la lui amener, je vais te garder tes moutons. Vas-y un bon couscous à la viande t’attend !”Le berger ne se fait pas prier, il lui confie ses moutons et se rend à la prétendue fête.Ouali se dépêche de changer d’endroit au troupeau. Il se rend directement chez son cousin Moh’and. En le voyant conduire le troupeau, il oublie le sale tour qu’il lui a joué tantôt. Curieux, il lui dit :- B-illan açar-aouf agi,“Ammi-s n âmmi ?”(A qui appartient ce troupeau, cher cousin Ouali ?)- Il est à moi, cher cousin. C’est la mer qui me l’a donné ! Un grand bateau plein de moutons s’est échoué près d’ici. C’est tout ce que j’ai pu prendre, je vais les mettre à l’abri, et je vais retourner pour en ramener. Depêche-toi, si tu veux t’enrichir, prends ta femme. A deux vous ramènerez une plus grande quantité !- Je ne connais pas l’endroit cousin bien-aimé ! Peux-tu m’amener ?- “Avec joie ! Attends-moi ici, je vais confier le troupeau à quelqu’un de la famille et je suis à toi !”Quelques instants plus tard Ouali est de retour. Il trouve Moh’and qui l’attend anxieux avec sa femme et ses deux chiens. Egoïste qu’il était, il n’a pas jugé utile d’informer des membres de sa famille pour prendre eux aussi possession des moutons.Ouali guide Moh’and vers la mer et le conduit là où il y a des falaises escarpées donnant directement sur les flots.Il lui demande d’envoyer d’abord les chiens pour qu’ils rassemblent les moutons. Ensuite ce fut le tour de sa femme. Ne voyant revenir personne, Moh’and s’inquiète. Pour le rassurer, Ouali lui dit qu’elle doit l’appeler du bas, mais avec le mugissement des flots, on ne l’entend pas.- “Vas-y voir, elle a sûrement besoin de toi !”Il se précipite pour voir mais ne voit rien. Alléché par l’appât du gain, il décide de descendre lui-même pour prendre les affaires en mains. Pour l’encourager Ouali lui dit que de l’endroit où il est c’est le plus court chemin pour atteindre la mer, mais pour le retour avec les moutons, il y a une autre issue du côté de la plage, et c’est celle qu’il devra utiliser quand il aura pris possession des moutons. Moh’and, en tentant de descendre par un petit sentier creusé dans la falaise, glisse et tombe dans les flots. Ne sachant pas nager, il se noie.Après s’être débarrassé de Moh’and, Ouali retourne au hameau et annonce avec aplomb la mort de Moh’and, de sa femme et de ses chiens et, prétend toute honte bue, qu’avant de se «suicider» avec les siens, Moh’and lui a légué tous ses biens. Comme il n’y avait pas de témoins, il n’y avait aucune raison de douter de ses dires. Et, c’est ainsi qu’il devient légataire sans coup férir !Mais Ouali n’a pas le temps d’en jouir. Le berger qu’il a floué lui réclame ses moutons, il refuse de les lui rendre arguant qu’il les avait achetés avec les cinq cent douros qu’il avait «gagnés». Devant le mensonge éhonté qu’il débite sans sourciller devant des témoins, le berger lui fend la tête avec sa hache (thaqavachth is).Ayant commis un crime délibérément, le berger se doit d’être puni par la communauté qui pratiquait à l’époque le bannissement.Le berger n’avait pour se défendre que sa parole, il n’avait aucune preuve prouvant qu’il n’avait pas reçu d’argent de la part de Ouali. On fouilla la hutte de Ouali et on trouva la fameuse bourse cachée dans un trou, elle contenait cinq cent douros et un douro troué.La preuve est faite, le berger n’a pas été payé. Les charges contre lui ne sont pas retenues, thajmaïâïth (agora) conclut que l’argent de la bourse n’a pas été gagné. Un (varah) crieur public fut chargé le jour du marché de chercher après le marchand floué. Retrouvé, celui-ci fait don du tiers de la somme à l’agora qu’il l’utilisa pour «thimchert’ = louiza» (offrande) et pour ouvrir un nouveau chemin où les bêtes chargées peuvent se croiser sans se toucher comme cela se faisait sur l’ancien sentier étroit.Our kefount eth h’oudjay inou our kefoun ir den ts emz’ine as n-elaid an en etch ak’ soum ts h’emz’ ine ama n g’a thiouenz’ iz’ ine.(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent l’orge et le blé. Le jour de l’Aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

Benrejdal Lounes

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