Les çofs à l’épreuve des législatives

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Les futures élections législatives sonneront-elles le glas des clans sociopolitiques qui phagocytent les partis politiques, contrôlent et régulent l’évolution du pouvoir local depuis l’indépendance du pays ?

L’esprit d’appartenance morale et culturelle à un clan qui dicte la forme des conduites politiques et l’usage que l’on fait des institutions de la République et des contrepouvoirs, dans la région des At-Mlikèche, est pollué par l’appétit de puissance exorbitant exprimé par la course à la candidature et l’inflation de listes électorales. La fidélité aux règles implicites du maintien et de la reproduction du çof, semble le dernier souci des candidats et de leurs fervents soutiens.

La discipline clanique, qui consiste pour l’individu à s’aligner derrière un leader coopté par les mandarins du çof, est mise à mal par l’ambition démesurée de personnages truculents aux profils pour le moins inadaptés aux exigences éthiques et intellectuelles de la fonction de député.

Les maîtres des çofs rivaux se disent prêts à s’unir contre cette “malédiction” en passe d’emporter leurs fonds de commerce ! Ils partagent pour une fois la même analyse : Ces élections donneront un grand coup de pied dans l’ordre clanique, la hiérarchie et les lignages séculaires s’en trouveront brouillés au point où il sera difficile de reconstruire les vieux schémas de domination patriarcale. Des rivalités embryonnaires, difficilement perceptibles pour le profane, sont apparues à la faveur du lancement de nouvelles listes lors des communales de 1997 par des personnes autonomes n’obéissant pas à la logique des clans. Les prochaines législatives vont exacerber les rivalités en aiguisant sûrement cette tendance à l’indépendance et libéreront l’initiative politique locale. La nouvelle génération, qui n’a pas participé à la guerre de Libération, accédera au pouvoir avec un capital autre que la légitimité historique.

La puissance des clans réside dans le conservatisme, la reconduite des réflexes ataviques pour garantir l’immobilisme des lignes politiques. Le changement est l’ennemi juré des chefs des çofs, qui ont pu à présent, sans trop d’investissement, s’adapter à la nouveauté en paralysant les instruments institutionnels de la modernité. Leur entrisme a fait des partis politiques de simples emballages, des coquilles vides qu’on occupe le temps d’une élection et qu’on bloque entre deux mandats.

“Le FLN, le FFS et le RCD sont de bons véhicules, leurs naïfs militants les bichonnent, les préparent durant des années pour les céder malgré eux aux maîtres des clans qui les conduisent le temps d’une élection et on les rentre ensuite au garage, entre les mains de leurs mécaniciens pour assurer la maintenance jusqu’aux prochaines élections !”, dira Si Ali, un initié de la mécanique clanique.

Ainsi en a-t-il été des sections locales des deux partis qui se revendiquent de la démocratie. L’une a joué le rôle de l’appareil mobilisateur de l’électorat pour le chef du çof d’en bas. Au moment où l’autre a été carrément squatté par les barons du çof d’en haut qui lui imposent à chaque élection une liste “de la société civile” où il ne reste de rôle pour les militants réels que celui de

colleurs d’affiches !

La fin des clans ?

L’abstention et le boycott, en laissant les choses en l’état, feront l’affaire des maîtres séculaires de la chose politique locale, partagés entre la tentation atavique de soutenir l’enfant du çof le plus en vue, et le besoin intuitif de sauvegarde la cohésion du clan, une démarche de survie politique qui a toujours prévalu depuis l’indépendance du pays !

De la période de l’unicité du candidat présenté par le FLN, alors parti unique, et qui passait comme une lettre à la poste, nous sommes passés avec l’avènement du multipartisme à la bipolarisation FFS-RCD, où deux principales listes composées par les clans et adoptées par les partis politiques se livraient bataille à mort. La décomposition politique précipitée par l’avènement des archs s’est exprimée par la multiplicité de listes dans toutes les joutes électorales, des municipales aux législatives en passant par les wilayales.

Aussi, trouve-t-on pour les législatives du 17 mai prochain rien que dans le seul “çof-gwada”, cinq candidats rivaux qui se disputeront l’électorat structurel de ce clan.

Outre le meneur incontesté du clan-d’en-bas depuis une vingtaine d’années et actuel numéro 1 de la liste du RPR. Il y a son frère, numéro 2 de la liste du RCD ; la tête de liste du MNE, une personnalité politique inconnue qui fait sa première apparition dans la région ; le quatrième de la liste corporatiste “UNION”, drivée par un secrétaire national de la FNTE/UGTA et enfin un figurant en avant-dernière position sur la liste du RND. Ces cinq candidats d’extraction clanique commune puiseront localement les voix de leur éventuelle élection dans le même substrat patrilinéaire, même si de source sûre, nous apprenons que des négociations entre les diverses parties sont menées par des médiateurs au nom de “l’intérêt suprême” de la localité ! Les uns céderont aux autres le terrain contre un soutien aux prochaines élections communales.

Le clan-d’en-haut n’a aucune tête de liste. Ses tuteurs soutiennent un candidat sur la liste du RND en cinquième position et le député sortant classé huitième sur la liste du FLN. Dans le giron du FFS et des “autonomistes”, qui se retrouvent conjoncturellement sur la même position politique, de nombreux militants partagent l’envie de voter malgré l’appel au boycott. L’enjeu est de précipiter la chute des clans qui paralysent l’évolution institutionnelle locale et maintiennent le sous-développement économique et social de la commune, corollaire de la domination de l’ordre tribal. Pour des raisons liées à la composante de la liste électorale, la section locale du FLN exprime son mécontentement en encourageant en douce le boycottage ou à l’extrême limite le vote pour le… RND, sachant que tout mot d’ordre est sujet à l’appartenance au clan, paramètre déterminant dans le choix individuel.

La section locale du FFS, encore sonnée par la défaite inattendue enregistrée aux dernières élections municipales, relaie, avec plus ou moins de conviction, le mot d’ordre de “boycott actif” lancé par l’appareil central dans le souci de dépasser une grave crise interne. L’on se rappelle que la population avait sanctionné par l’abstention la liste électorale du FFS, soufflée par les maîtres du “çof-Oufella” et composée exclusivement de vieux militants du FLN recyclés pour une revanche sur le clan opposé !

L’élection du 17 mai prochain revêt des significations opposées selon les générations d’hommes politiques. Elle démontre chez les dignitaires locaux du régime une forte envie de sortie politique par la grande porte pour faire oublier les effets contreproductifs cumulés de plusieurs mandats d’une gestion syncrétique des affaires publiques. Alors que, dans le même temps, la pléthore de nouveaux prétendants tente de forcer le destin par une entrée quasi-clandestine dans le système par le haut.

Si, pour les enfants du système, maintes fois réélus aux APC et APW, se présenter aux joutes électorales relève d’un réflexe idoine de survie. Moins compréhensible pour les citoyens, est cette ruée vers la candidature entreprise dans la fébrilité par les anciens animateurs du Mouvement citoyen qui occupaient la rue et brûlaient le blason de l’Etat sous les cris de “Pouvoir assassin”.

La rupture frénétique des anciens animateurs des archs avec des parcours politiques d’opposants ajoute de l’eau au moulin sceptique des adeptes du boycott et des “autonomistes” qui ne se gêneront pas d’interpréter les taux d’abstention comme le résultat de leur agitation.

Cette stratégie entriste encouragée par des tenants du pouvoir central, traduit plus un débouché politique individuel, qu’une capitalisation des luttes citoyennes par leur introduction dans les institutions. Elle initie néanmoins, de l’avis de nombreux citoyens, une tentative de sortie de crise pour la région kabyle en permettant une recomposition politique et une injection du sang de l’opposition dans les vieilles artères du système.

Les citoyens de Tazmalt sont partagés entre la participation qui aura sans doute des effets positifs sur la chose politique locale en faisant bouger les anciennes lignes par l’introduction de fractures irréparables dans les alliances familiales composant les clans et l’abstention qui traduit une profonde désaffection de la chose politique.

Des affrontements fratricides entre zélés des deux clans rivaux ont marqué la mémoire collective locale de cicatrices indélébiles, poussant de nombreux citoyens à se tenir à l’écart ! L’on se rappelle que lors des dernières élections communales, un citoyen avait été blessé par balles alors que dans le même temps, la maison du tireur avait été brûlée en représailles ! Outre le fait que de nombreuses listes soient concoctées à la hâte par “des partis dormants” et que d’autres soient conduites par des animateurs du Mouvement citoyen ayant durant des années occupé la rue et campé le rôle d’opposants radicaux exigeant la “mort du système de l’extérieur”, les 330 candidats composant les trente listes dans notre circonscription sont principalement des fonctionnaires, certains ayant déjà goûté à la représentation politique régionale, alors que pour la majorité inconnue, l’entrée en politique commencera par le haut ! De la simple secrétaire de direction, au président d’une association de parents d’élèves, en passant par le permanent d’une section villageoise d’un parti, tout le monde se voit porté au pinacle ! Si la circonscription légale est la wilaya, la représentation réelle est très localisée, elle se limite souvent au douar de la tête de liste où l’on s’empresse d’ouvrir une permanence électorale.

Démocratisation aux forceps du champ politique ou nivellement des valeurs par le bas ? Les lectures divergent suivant les intérêts et les parcours politiques.

Rachid Oulebsir

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