-Je m’affligerai des insultes
Avant que je m’en prenne à vous.
Si je vous cache mes tares,
Je mériterai votre sentiment de haine.
Bien avant que je donne libre cours à mes ailes,
Je vous salue, enfants de mon pays ;
Et vous souhaite plein d’espoirs.
Ores que mon esprit est fort tourmenté,
Affectant jusque ma santé,
Écoutez avant de me quitter.
Lorsque j’aurai fini de m’injurier,
Je retournerai contre vous ma figure.
Aujourd’hui je l’ai teintée de la suie du brandon.
-Malheur qui me poursuis
Et élis de force domicile dans mon logis,
Dis-m’en la raison s’il te plaît.
Tu tombas dru comme une pluie automnale ;
J’en devins noir comme un nègre
Et mon corps s’enfonce dans la lie.
Que je me taise ou élève des cris, c’est égal ;
Mon destin est perclus,
Le temps le mène par sa bride.
-Mauvaise chance, détestable vie !
Mon vilain désir
A fait de mon sang sa nourriture.
Il a rejeté le bien
Et choisi de bon gré
Comme compagnon tout ce qu’il sait être vénéneux.
Celui sur qui la vie ne déverse pas ses courroux
Recevra l’onction de la paix.
Tant dis que l’autre
Portera le faix de toutes les peines du monde.
-Je n’ai pu distinguer la pluie du soleil.
Quant à la paix factice,
Je répugne à prononcer son nom.
Ne croyez pas que mon cœur soit en fête,
Et que je sois bon pied bon œil ;
Ne souhaitez surtout pas ma place !
Mon âme erre pieds nus,
Perdue dans les forêts ;
Tous les maux s’y sont installés.
-A peine ami toléré,
C’est là mon destin !
Je ne ressemble guère à ceux de mon âge.
Mourrais-je demain sans progéniture ?
Je n’en sais rien ;
Je n’ai pas pris mon enfant dans mon giron.
Mes pieds, allons maintenant
Visiter les contrées ;
Qui connaît mon nom, qu’il l’oublie.
-J’irai en pays lointain
Et briserai toute entrave qui me ligote.
Je me lancerai dans le voyage
Et fouinerai toute l’Espagne,
M’arrêterai à Madrid.
Aujourd’hui je mettrai à nu vos scandales ;
Combien avez-vous traîtreusement tué ?
-Je n’ai pas épuisé mon chemin ;
L’objet de ma quête je l’atteindrai.
Même éreinté, je ne m’arrêterai pas en Suisse ;
Je ne viens pas y cacher un magot.
C’est un lourd fardeau que je prends ;
Vers l’Allemagne je me rends
Pour savoir où sont assassinés nos héros.
-Nos gouvernants ont sacrifié le pays
Pour que nul ne sache
Ce que nous endurons.
Ils ont le plongé le pays dans l’humiliation,
Ceux-là que nous avons érigés maîtres ;
Ils sont en train de nous dévorer.
Pourquoi nous sommes dans le désarroi,
Nous les Kabyles ?
Parce que nous sommes trop haineux ;
Par la jalousie nous tuons les hommes preux..
-Pauvre est celui à qui on a interdit la parole.
Même s’il veut se plaindre, c’est auprès de qui ?
Aujourd’hui, il est englouti avec le capital.
Le corps du travailleur est épuisé d’avoir trop supporté.
Trop nombreux sont les grandiloquents
Au verbe enflé.
On nous a fait subir trot et galop ;
Enfin de course,
Le Parti fait main basse sur nos ambitions.
-Le FLN te procure une place ;
Ce que tu espérais depuis longtemps
Tu l’auras.
Nous saurons te chouchouter.
N’écoute pas étourdiment les mauvais conseillers.
Les Kabyles sont ainsi faits :
Celui à qui on octroie un poste
Abat son frère au premier coup.
-Il n’y a pas de tatouage sans blessure
Et qui n’ait pas fait verser de sang ;
Comme il n’y a pas d’arbre que n’ait pas incliné le vent.
À trop éperonner la paire de bœufs,
Elle finira par casser le joug.
Quant à ceux qui se repaissent de leur propre chair,
Même s’il ne reste qu’un parmi nous,
Il en en gardera le souvenir.
-Quel montagnard mène une vie paisible
Ou qui ne soit pas brûlé par le soleil de midi ?
Quelle est la maison que la malheur craint de pénétrer ?
Il n’est resté nul champ authentique
Auquel les gens accordent quelque valeur.
Il ne s’y trouve nulle tige greffée.
N’importe quelle charogne
Placée sur un trône
Nous chante l’hymne Kassaman
Pour qu’on ajoute foi à ses paroles.
-Je ne serai pas seul à parler ;
Ce n’est pas moi qui vous déplacerai
Sur le lieu où séjourne l’hyène.
Les oliviers se souviennent encore,
La sentence des villages est toujours vivace
Sur ce qui peine à se révéler.
C’est la vérité qui vous dira
Et vous jurera :
L’argent et le sang de nos hameaux
Sont dans les banques suisses.
-L’autre se dit héros,
Pour tamazight il verserait son sang
Et parle avec grande emphase.
Or, lorsque les nues assombrissent le ciel,
On le trouve bien dissimulé
Attendant que le malheur s’éloigne.
Le FLN, par le socialisme,
A ramassé le pécule.
Que l’on vote ou l’on s’abstienne,
Le chaperon est mis.
-Ah, Si L’Husin !
Tu sais que moi je suis un sot ;
Prête-moi alors quelques louis
Pour acheter le rêve.
Poème de Matoub traduit par
Amar Naït Messaoud