Un défi aux bouches cousues

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Les Chants berbères de Kabylie chers à Taos Amrouche ont fait de vibrer, avant-hier, la Cinémathèque de l’Agha à l’occasion de l’hommage rendu à Fadhma Ait Mansour Amrouche, organisé par  » Les lundi des poètes  » d’Arts et Culture aven la participation de l’écrivaine Djouher Oukssel Amhis et Fatma Flora Mouheb. Une exposition d’articles de presse et de photos sur cette race d’aèdes ornait l’intérieur de la salle. Quand bien même l’assistance n’était pas nombreuse, les présents ont tenu à faire un voyage initiatique à travers ces chants immémoriaux de Taos.

L’écrivaine Amhis a tenu dans son intervention à rappeler que le livre Histoire de ma vie, de Fadhma Amrouche, un récit de vie minutieux sans agressivité, est un ouvrage d’une extraordinaire richesse.  » Évoquer la famille de Amrouche est synonyme d’exil, d’errance et de quête identitaire « , a-t-elle estimé et d’ajouter  » que cette famille prestigieuse a joué un rôle important pour la culture algérienne « . La conférencière a averti contre l’oubli dont des enfants valeureux d’Algérie sont victimes.  » Le pire des choses, c’est l’oubli « , s’est-elle offusquée. Amhiss a souligné que la publication à titre posthume de ce livre, un défi aux bouches cousues pour paraphraser Kateb Yacine, s’inscrit dans un contexte marqué par une société patriarcale et le colonialisme, en précisant que l’écriture pour Fadhma dans une telle conjoncture est un acte de liberté, notamment à travers son accès au savoir dans la langue de l’autre.

Après avoir rappelé le parcours douloureux de Fadhma, la conférencière a tenu quand même à mettre un point d’orgue pour mettre fin à toute suspicion.  » Fadhma, une chrétienne. Ce n’est ni une conversion, ni une apostasie. Elle a grandi parmi les religieuses « , précise-t-elle. Pour elle, cette grande dame porte, malgré une vie douloureuse, une richesse inépuisable. Les seuls moments de bonheur, a noté Mme Amhis, que l’auteur de Histoire de ma vie a croqués à pleines dents sont ceux passés en compagnie de sa mère Aini dans son village natal après la fermeture du Cours normal de Fort National.

Elle a soutenu que l’attachement viscéral de Jean et Taos à leur mère reflétait le désir de ne pas perdre les origines. L’oratrice est revenue ensuite, pour évoquer brièvement la vie et l’œuvre magistrale de Taos et Jean, enfants prodiges de Fadhma. Selon elle, l’engagement de l’auteur du  » Grain magique  » et celui des Chants berbères de Kabylie rappelle un besoin impérieux de se réapproprier les racines des aïeux.  » La plume de Jean Amrouche valait plusieurs bataillons de l’ALN « , a indiqué Mme Amhis en reprenant les déclarations d’un ancien chef de guerre.

Cela pour dire que l’engagement de l’éternel Jugurtha en faveur de l’indépendance de l’Algérie fut sans ambages. Avant de lire quelques passages fort émouvants du livre autobiographique de Fadhma, Mme Amhiss a conclu son intervention évocatrice en estimant :  » oublier sa lange maternelle, c’est se renier soi-même « . Vint le tour de la présentation des Ichewiken Izurane (Chants berbères des racines) magistralement interprétés par l’excellente Fatma Flora Mouheb en compagnie des sémillants Chérif, Yahia et Moh.

D’un répertoire à l’autre, les quatre ont, tour à tour, invoqué, parfois dans un silence de cathédrale, des chants lugubres aux nostalgies du pays perdu. Des chants qui n’ont pas manqué d’arracher des larmes chaudes à une vieille dame. La mémoire de Fadhma, Taos et Jean, éternels exilés, a hanté les profondeurs des personnes venues pour une pensée suave à ces descendants d’une lignée de clairchantants.. Preuve d’une présence insoluble dans le temps.

Hocine Lamriben

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