L’historique sécheresse de l’année 2002 a fait brutalement se réveiller les pouvoirs publics à leurs devoirs de gestionnaires d’une ressource qui, même sous des cieux plus généreux, fait l’objet d’une rigoureuse politique de rationalisation et d’investissement. On ne peut pas claironner un développement durable dans les séminaires et réunions internationales sans se pencher sur le premier élément qui lui sert de soubassement. L’extrême gravité de la situation hydrique du pays en 2002 a poussé, dans une évidente précipitation, le gouvernement à envisager d’importer de l’eau à partir de l’Europe par bateaux-citernes. On ajouta, pour bien emballer cette curieuse solution, l’argument que les bateaux servant à l’exportation de pétrole seraient ainsi rentabilisés puisqu’à leur retour, ils ramèneraient de l’eau de Marseille ou de Barcelone. Une solution extrême qui ne manque pas de paradoxe en somme pour un pays dont les potentialités ont été sous-exploitées et parfois même dilapidées. À défaut de pouvoir poursuivre cette logique un peu surréelle, le gouvernement se résolut à une solution technique, coûteuse certes, mais très pratique : l’installation de stations monoblocs de dessalement de l’eau de mer sur les principales villes côtières du pays. La ville qui présente un déficit légendaire en matière d’approvisionnement en eau est la capitale de l’Ouest, Oran. Deux raisons principales à cela : l’eau potable servie à Oran n’a de potable que le nom. Son taux de salinité rend sa consommation presque impossible. Même pour la lessive, elle présente le fâcheux inconvénient de ne pas pouvoir mousser. En second lieu, la consommation de l’eau au niveau de la zone industrielle d’Arzew est devenue exorbitante à tel point qu’aucune source proche (barrages, forages, retenues) ne peut y satisfaire. Les transferts conçus ces trois dernières années à partir du barrage de Beni Bahdel (Tlemcen) et du barrage de Gargar (Relizane) seront destinés pour l’AEP et l’agriculture. On imagine mal une ville de l’envergure d’Oran qui ferait fuir des touristes à cause d’établissements hôteliers dépourvus d’eau.
Sources et ressources
Le climat méditerranéen auquel appartient l’Algérie étant ce qu’il est, c’est-à-dire capricieux et fort irrégulier, la plupart des pays de ses rives sud et nord ont conçu des politiques hydrauliques spécifiques tendant à gérer de plus près une ressource mal répartie dans le temps et dans l’espace mais disponible lorsque l’imagination et la rationalité sont aux commandes.
Sur les 12 milliards de mètres cubes de pluviométrie annuelle sur le nord d’Algérie, il n’était récupéré que 3,8 milliards à la fin du siècle passé. Le reste de l’eau se déversait dans la mer ou, pour les réseaux endoréiques, vers les chotts (Hodna, Melghigh,…). Ce n’est qu’avec les dernières réalisations que la mobilisation des eaux de surface commence à connaître une nette progression (barrages de Tilesdit et Kouditat Acerdoune à Bouira, Taksebt à Tizi Ouzou, Medouar à Batna, Tichy-Haf à Béjaïa, Beni Haroun à Mila,…). D’ailleurs, le ministre des Ressources en eau, Abdelmalek Sellal, a envisagé dernièrement un projet de transfert d’eau de certaines ouvrages des montagnes du Tell (Erraguène et Ighil Telmada) sur les Hauts Plateaux de Sétif et M’sila pour l’AEP et pour l’irrigation. Le barrage de Koudiat Acerdoune, quant à lui, desservira dès sa phase opérationnelle, outre Alger, Boumerdès et la vallée de l’Isser, la région de Boughezoul (wilaya de Médéa) où un projet de ville nouvelle est inscrit.
Reste la partie sud du territoire national où les possibilités d’exploitation des eaux de surface sont nulles. En effet, sous ces climats arides, certaines régions ne reçoivent que 10 à 20 millimètres de pluies par an. Les anciens puits creusés par les habitants du Sahara- et qui atteignent parfois jusqu’à 80 m de profondeur-, les forages peu profonds hérités de la période coloniale et les rares sources émergeant à la surface du sol constituent de piètres réserves face à la demande toujours grandissante des populations et des entreprises installées dans la région.
Lorsque certaines foreuses de pétrole, travaillant à des profondeurs jamais atteintes auparavant, tirent de l’eau au lieu des huiles pétrolières, l’idée d’une nappe souterraine a jailli avec l’eau. Mais, sous un climat strictement aride comme celui d’Edjélé, In Aménas, Illizi ou Hassi Messaoud, une nappe d’eau, quelle que soit sa profondeur, ne peut avoir pour origine un régime pluvial puisque ce dernier n’existe tout simplement pas. De là, sont venues les premières hypothèses consistant à dire que la nappe en question est constituée d’eaux fossiles piégées dans des structures géologiques assez complexes. Des études ont montré que les eaux du Sahara sont des eaux ‘’géologiques’’ ou fossiles, c’est-à-dire, ayant été emmagasinées lors de la formation des substrats dans lesquelles elles sont piégées. De ce fait, c’est une ressource non renouvelable, comme le pétrole. Le volume de la réserve atteindrait les 60 mille milliards de mètres cubes. Abstraction faite des possibilités et difficultés d’exploitation, elle pourrait servir, selon le rythme de consommation actuelle d’eau en Algérie (5 Mds de m3), pendant…12 siècles.
Vu les potentialités en eaux de surface et même en eaux souterraines dont disposent les territoires du Nord, le recours aux eaux sahariennes apparaît comme une coquetterie que ne peut- et ne doit- se permettre l’Algérie. C’est une réserve qui doit servir les générations futures. Le nord du pays reçoit, bon an mal an, quelque 12 milliards de mètres cubes de pluies. La politique de mobilisation des ressources hydriques n’a pas été le fort des gouvernements successifs d’après l’Indépendance. Hormis les quelques barrages hérités de la colonisation (Beni Bahdel, le Ghrib, Ighil Temda, Erraguène,…), aucun ouvrage hydraulique de cette importance ne fut construit avant la décennie 1990. Le barrage de Djorf Torba (Abadla) étant le mauvais exemple à ne pas citer. Ces anciens ouvrages n’ont même pas bénéficié des entretiens nécessaires (protection des bassins versants) qui assureraient leur longévité. Le barrage de Ksob, entre M’sila et Bordj Bou Arréridj, est exemple éloquent d’une faillite programmée du fait de son envasement presque total.
L’Algérie découvre ses potentialités
Au cours des auditions des ministres par le président de la République pendant le mois de Ramadhan 2006, le dossier de l’eau et de l’Agriculture est passé eu peigne fin. La cause semble être entendue. La dépendance de l’algérie vis-à-vis du pétrole- une rente qui a détourné les décideurs depuis les années 70 des investissements dans ces secteurs- devrait progressivement se dissiper à la faveur de la nouvelle vision imposée par les grands enjeux économiques. Le mythique barrage de Beni Haroun, bâti sur l’Oued El Kébir dans la wilaya de Mila et ayant une capacité de 920 millions de m3, sera opérationnel dans quelques mois.
C’est un projet qui remonte à la fin des année 80 et qui est couplé, dans la stratégie de développement régionale, à la zone industrielle de Bellara qui n’a pas pu voir le jour, au port de Djendjen et au chemin de fer Djendjen-Ramdane Djamal. C’est le plus grand ouvrage hydraulique du pays censé fournir de l’eau aux villes et terres des Hauts Plateaux de l’Est (Oum Labouaghi, Batna, Khenchela). Dans les nouvelles techniques de transfert, le vieux barrage d’Irraguène (au piémont des Babors, wilaya de Djidjel) servira aussi à l’irrigation des terres de Sétif et du nord de M’sila. Le barrage de Koudiat Acerdoune, dans la wilaya de Bouira (640 millions de m3), verra une partie de son volume transférée sur les wilayas de Boumerdès, Médéa, Alger et Tizi Ouzou. Cette dernière wilaya, située dans les étages bioclimatiques humide et subhumide, n’a pu mobiliser ces énormes potentialités en eau qu’au début du nouveau siècle, ce qui se concrétisa par la construction du barrage de Taksebt (175 millions de m3). L’autre versant du Djurdjura, dans la wilaya de Bouira, un autre ouvrage similaire (barrage de Tilsdit) est théoriquement fonctionnel. Les adductions vers les territoires à desservir sont en voie de réalisation.
Au cours de ces dernières années, la petite hydraulique (retenues collinaires, forages, puits, captage de sources résurgentes) a eu aussi les faveurs de la stratégie des pouvoirs publics dans le cadre de la politique du développement rural. Plus d’une dizaine de retenues collinaires seront réalisées sur les territoires de six wilayas du Centre et Centre-ouest (Chlef, Aïn Defla, Tiaret, Tissemsilt, Bouira, Médéa) dans le cadre du Projet d’Emploi Rural cofinancé par la Banque Mondiale (BIRD). Ces retenues vont s’ajouter à un vaste programme de captage de sources disséminées sur les piémonts.
L’autre aspect du problème est ce qui est appelé l’agriculture pluviale. En Algérie, les céréales- mise à part une expérience trop coûteuse menée à Adrar- sont cultivées en sec. Leur développement végétatif dépend totalement des pluies de mars et avril. Et comme la répartition des pluies est trop aléatoire pour espérer la manne du ciel en ces deux mois précisément, les rendements en blé, orge et fourrages sont soumis complètement aux caprices du ciel. Les rendements de cette année constituent une exception due à la forte pluviosité ayant caractérisé les mois de mars-avril-mai. Pour diminuer l’hypothèque qui pèse sur la production céréalière, le ministère de l’Agriculture a initié depuis 1999 la politique de reconversion des systèmes de culture pour amener nos agricultures à s’investir dans l’arboriculture, particulièrement l’arboriculture rustique. Cela s’est traduit par des aides et soutiens par le truchement de plusieurs fonds et plus spécialement du FNRDA. Cette politique commence à donner ses premiers résultats. Dans certaines filières, il y a même surproduction comme a eu à s’en plaindre Saïd Barkat. Et là, deux autres segments de l’économie interviennent : il s’agit de l’industrie agroalimentaire qui n’est qu’à ses premiers balbutiements en Algérie et de la stratégie d’exportation qui n’est pas encore au top de son développement.
Amar Naït Messaoud