L’effroyable solitude

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El Hasnaoui Amechtouh, de son vrai nom Aït Rahmane Madjid, est né à Zaknoun dans la région de Larbâa N’Ath Ouacif, un certain 17 mars 1953. Il plongera dans l’univers de la chanson très jeune. Il n’a pas été vraiment à l’école même s’il admet qu’il a été locataire pendant un court temps.  » J’ai plus étudié dans la rue. Mes professeurs ont été la faim et la misère. A l’époque, il n’y avait pas d’école au village. Après notre départ sur Alger, j’ai intégré un établissement à la place des Martyrs, du côté de la mosquée Ketchaoua mais j’ai vite décroché. J’ai plié mon cartable de fortune une bonne fois pour toute à 14 ans. J’ai tenu jusqu’au cours fin d’étude. Et ce fut une vraie fin… Tout compte fait, je ne regrette rien de cette ère là…Je considère que mon premier et dernier examen je les ai eu plus tard…avec Cherif Khedam en 1975. Je n’étais pas loin de la vingtaine quand je me suis présenté à Ighenayen Ou zekka. El Hasnaoui était déjà en moi ». Auparavant, Madjid avait déménagé avec sa famille sur Alger. Le papa était artisan. Il faisait aussi du commerce. Il tenait un local dans la capitale.

A l’école de la rue et de la misèreC’est donc, un peu influencé par ce nouveau milieu, que Madjid ira faire ses débuts dans le domaine de la couture à peine deux ans après avoir déserté, les bancs des classes. D’abord en tant qu’apprenti dans un atelier, finisseur, puis tailleur avant de passer chef d’atelier. Petit à petit, il s’initiera en modéliste et s’installera enfin à son compte au début des années 1990. Mais durant ce temps Madjid n’a pas fait que ça. Il s’est partagé en deux pour entretenir en parallèle sa plus folle histoire d’amour pour un mythe qu’il a cherché désespérément à rencontrer. A 18 ans, il ne savait encore rien du pape mais l’œuvre d’El Hasnaoui l’avait déjà ensorcelé. « J’étais tailleur et membre d’une association culturelle à la rue Asselah Hocine, quand j’ai fais le test chez Dda Cherif. El Hasnaoui n’avait pas encore acquis l’aura qui lui sera reconnue par la suite. Il n’était pas encore aussi écouté. Il restait à découvrir pour certains. Je me dis que j’ai eu quelque part le privilège d’avoir réalisé la grandeur de l’homme et de son œuvre avant certains. Je ne peux pas dire aujourd’hui ce qui m’a attiré en premier chez lui. La voix, la musique, le style…Tout m’épatait en lui. Il était unique. Et il reste irremplaçable à ce jour. C’est un modèle qu’on peut copier mais jamais égaler ». Madjid est sans doute celui qui a réussi le meilleur plagiat, sans forcer. « J’ai peut-être eu le meilleur cadeau que j’aurai pu attendre de la nature, avec ma voix ». Le reste, il le construira comme tant d’autres artistes s’y sont pris à leurs débuts : Une guitare de fortune faite d’un bidon d’huile et de fils de fer tirés d’un câble de frein usé d’un vélo.

Sa première rencontre avec El Hasnaoui à Nice en 1980Avant de succomber à El Hasnaoui, Madjid avoue qu’il était branché sur toutes les musiques du bled : le châabi d’expression arabe, le style Indaloussi, le Haouzi, le Kabyle, le Sahraoui, « on faisait même du théâtre. On faisait un peu de tout au sein de l’association, on se laissait aller chacun son petit faible. Moi dans le temps, on m’a souvent fait la remarque que j’avais l’air d’un vieux. Ça sentait la vieillesse chez moi, dans mon chant. Ma voix y est sans doute pour beaucoup. C’est alors qu’on m’a mis la puce El Hasnaoui à l’oreille. Ca m’a travaillé et j’ai fini par plonger sans jamais remonter à la surface ».Il a commencé alors par écrire sur un cahier d’écolier tous les répertoires du maître qu’il apprendra par cœur. Face à Cherif Khedam et Acherouf Idir qui lui subiront le test dans « Ighenayen Ou Zekka », la célèbre émission de la radio kabyle, Madjid se fera un plaisir de se faire exercer en choisissant le tube phare d’El Hasnaoui de l’époque, « A Yama Yema… ». C’est ce jour-là, que « Cherif Khedam m’a collé le pseudonyme d’El Hasnaoui Amechtouh. Depuis, je le suis resté », révèle Madjid. Une année après, il enregistre son premier 45 tours, « A Montparnasse ». En 1978, las de rêver de loin, il traversera, avec ses petites économies la mer pour aller à la rencontre du maître. « C’était important pour moi de l’avoir en face de moi. Ca me tenait à cœur qu’il me dise : vas-y tu as mon feu vert, il me fallait en quelque sorte sa bénédiction. J’ai alors pris un billet et échangé à la banque 35 milles francs, les anciens francs. A l’époque de Boumediene on n’avait pas besoin de visas pour aller en France. On pouvait faire l’aller le matin et rentrer le soir ».

Les terroristes lui ont tout pris en 1994 A paris, il atterrira dans le 20ème Arrondissement, où il côtoiera les Akli Yahiatene, Rachid Mesbahi, Boualem Aouadhi Amar Lachab chez « Dda Ferhat Ath Mohand, un kabyle originaire de Tifilkout de Michelet. Il tenait un café qu’on appelait bar des artistes. J’ai commencé par animer des soirées chez lui avant qu’il m’héberge. Il m’a filé une chambre et je m’y suis installé. C’est lui aussi, qui me prendra par la suite voir El Hasnaoui pour la première fois au…mois d’avril 1980 à Nice. C’est son ami. Il venait chanter chez lui bien avant que je ne débarque ». Entre-temps, Madjidine avait déjà regagné le pays. C’est d’ailleurs à partir d’Alger, qu’il se préparera pour la grande occasion. Il reprend alors l’avion pour Paris avec pleins de cadeaux pour le cheikh dont « un burnous, des tableaux, du miel, de l’huile d’olives…bref, un sac bien rempli de trucs bien de chez nous ». Direction, 1 rue de Belgique à Nice. Sur place, « rien qu’à voir le nom de Khelouat Mohamed sur la boite au lettre me donnait des frissons au dos. El Hasnaoui, logeait au troisième étage dans un F4, en compagnie de sa femme Denise. Il n’a pas d’enfants. Dda Ferhat connaissait déjà les lieux. Et il redoutait la réaction de son ami. Il m’avait alors demandé d’attendre au deuxième. C’est Denise qui a ouvert et on entendait El Hasnaoui lui crier de l’intérieur : « Dis que je ne suis pas là » avant de reconnaître la voix de Dda Ferhat. Madjid était à ce moment-là à deux doigts de réaliser son rêve. Et ça sera chose faite. Il le reverra par la suite deux fois. C’est lors de la troisième et dernière rencontre, « si je ne dis pas de bêtises, on était 1988 ou en 1989 », que le cheikh montrera son nouveau contrat de location d’une nouvelle demeure qu’il s’apprêtait à rejoindre à l’Ile de la Réunion. A côté de Madagascar, à quelque 12000 Kms de France où il avait décidé de se retirer.

Six mois dans un hôpital psychiatriqueDepuis, les ponts ont été coupés entre El Hasnaoui Amechtouh et son aîné. Madjid est depuis rentré en Algérie pour se faire une situation et ouvrir un atelier de confection à Dergana. Il l’avait acquis en 1990. A côté en s’offrant une maison, même en préfabriqué, et une voiture, il pensait qu’il avait dépassé la plus dure période de sa vie durant laquelle il a souvent bifurqué entre Alger, Paris, les ateliers de couture, la scène et les studios d’enregistrement. Mais voilà que le sort s’acharne sur lui. Et tout bascule pour sa famille dans le noir pendant une certaine nuit de l’année 1994. Il ne s’est toujours pas remis. Il en garde encore de profondes séquelles de cette nuit cauchemardesque où les terroristes sont venus le réduire à néant. « Il m’ont tout pris : L’argent, la voiture, la maison est partie en fumée. Lorsqu’on m’a sorti de chez moi à minuit, ma femme qui était enceinte de huit mois a piqué une tension. Son malaise a été fatal pour le fœtus. Elle a accouché d’un invalide qui traîne son handicape à ce jour ». Madjid lui s’est retrouvé dans une clinique psychiatrique… Il n’a pas résisté à cette seconde « visite » des barbus. La première fois qu’ils se sont présentés à son atelier, ils se sont limités à lui ordonner « de faire attention à ce que je faisais. Ils m’ont montré une liste d’artistes menacés. Il y’avait Ait Menguellet, Rabah Asma, Matoub, Boudjemaa Agraw, et moi ». Madjid a de la peine à placer les mots. Il ne lui est pas aisé de revisiter cette affreuse tranche de sa vie. Son effroyable descente aux enfers. C’est comme si tout d’un coup sa gorge se nouait. Il en souffre intérieurement.Il a presque tout perdu. Même son esprit. Aujourd’hui encore, il s’entretient à coup de psychotropes qu’on lui a prescrits à sa sortie de l’hôpital. Madjid en est tout de même conscient qu’il est revenu de loin. Il a surtout réalisé qu’une fois que « tu es à terre, personne ne se soucie de toi ». Il endure encore de cette indifférence des siens au moment où il avait le plus besoin d’eux. « J’ai subi le choc de la descente intérieurement. J’ai essayé de tenir le coup mais j’ai fini par sombrer dans une dépression. Heureusement que certains amis étaient là. Parmi eux, Salah Mammeri, c’est lui qui m’a fait admettre à l’hôpital psychiatrique de Oued-Aissi. J’y suis resté pendant une quinzaine de jours, mais c’était un peu loin pour ma famille, qui faisait à chaque fois le déplacement d’Alger, pour me rendre visite. On m’a alors transféré à l’hôpital de Chéraga ». Il y séjournera pendant un semestre complet. A sa sortie, il sera contraint de suivre un traitement…de dix ans. C’est dans ces conditions qu’il a fait une tournée dans le cadre de l’année de l’Algérie en France. Ça lui a fait une petite jambe…Par précaution, il porte souvent encore une plaque de ces comprimés…de fous dans sa poche. Aujourd’hui, l’angoisse d’avoir tout perdu l’habite encore. Et ça ne l’aide pas du tout à reprendre. Mais son terrible mal, il le subit de cette désinvolture de l’Etat qui n’a pas consenti à lui tendre la main. « J’ai tapé à toutes les portes mais personne n’a daigné m’entendre. C’est vrai que dans le temps, je n’avais rien signalé. Je ne pouvais pas le faire, on m’a menacé de mort et j’avais peur pour ma vie, celle de ma femme, de mes enfants…J’ai d’ailleurs fuis Dergana, je n’y habite plus. D’ailleurs je ne vis même plus nulle part ailleurs. Je ne sens plus le plaisir de vivre, de respirer. C’est comme si je survis dans une grande prison… Alors autant m’y retrouver dans une vraie prison. Là au moins ça sera clair pour moi. Je ne rêverais de plus rien, et je n’attendrais rien ni de ce monde ni de ses survivants ». Tel est le sentiment de Madjid aujourd’hui, celui d’un homme, qui a tout perdu mais pas du tout résigné. Il a su néanmoins garder son honneur sauf. Ça a éveillé en lui une autre inspiration. L’amour a laissé place…à la révolte. Son prochain album risque d’être explosif. Il veut dire…

D.C.

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