Par Hakim Bettou
Qu’est- ce donc que l’art ? Rien de simple, cela est sûr. Et il est encore plus difficile de l’apprendre au milieu des cris de gens acharnés à tout simplifier.
On veut, d’une part, que le génie soit splendide et solitaire; on le somme, d’autre part, de ressembler à tous. Hélas ! la réalité est plus complexe.
Et Balzac l’a fait sentir en une phrase: « Le génie ressemble à tout le monde et nul ne lui ressemble. » Ainsi de l’art, qui n’est rien sans la réalité, et sans qui la réalité est peu de chose. En fait, la question qui se pose: comment l’art se passerait-il du réel et comment s’y soumettrait-il? ; l’artiste choisit son objet autant qu’il est choisi par lui. L’art dans un certain sens, est une révolte contre le monde dans ce qu’il a de fuyant et d’inachevé : il ne se propose rien d’autre donc que de se donner une autre forme à une réalité qu’il est contraint pourtant de conserver parce qu’elle est la source de son émotion ; à cet égard, nous sommes tous réalistes et personne ne l’est. L’art donc ni le refus total, ni le consentement total à ce qui est. Il est au même temps refus et consentement ; c’est pourquoi ne peut être qu’un déchirement renouvelé. L’artiste se trouve toujours dans cette ambiguïté, incapable de nier le réel et cependant éternellement voué à le contester de ce qu’il a d’éternellement inachevé. Pour illustrer cela, pour faire une nature morte, il faut que s’affrontent et se corrigent réciproquement un peintre et une pomme, elles ajoutent à leur tour à cette lumière. L’univers réel qui, par sa splendeur, suscite les corps et les statues, reçoit d’eux au même temps une seconde lumière qui fixe celle du ciel. Alors, le grand style se trouve à mi-chemin de l’artiste et de son objet.
Donc, il ne s’agit pas si l’art doit fuir le réel ou s’y soumettre, mais seulement de quelle dose exacte de réel, l’oeuvre doit se lester pour ne pas disparaître dans les nuées, ou se traîner, au contraire, avec des semelles de plomb. En, effet, ce problème, chaque artiste le résout comme il le sent et comme il le peut ; plus forte est la révolte d’un artiste contre la réalité du monde, plus grand peut-être le poids du réel qui l’équilibrera; cependant ce poids ne peut jamais étouffer l’exigence solitaire de l’artiste.
Par ailleurs, je dirai que l’œuvre la plus haute sera toujours comme dans les tragiques grecs, celle qui équilibrera le réel et le refus que l’homme oppose à ce réel, chacun faisant rebondir l’autre dans un incessant jaillissement qui est celui même de la vie joyeuse et déchirée. Alors, surgit de loin un monde neuf, différent de celui de tous les jours et pourtant le même, particulier mais universel, suscité, pour quelques heures, par la force et l’insatisfaction du Génie.
H. B