Dans cette dernière partie, nous présentons trois autres merveilles architecturales berbères de l’antiquité, deux monuments sahariens : le tombeau d’Akkar et celui de Tin Hinan, ainsi qu’un monument kabyle, le monument du Piton d’Akbou.
Le tombeau d’Akar
Le tombeau dit d’Akar se trouve au pied de l’Assekrem, dans la vallée de l’oued Taghemmout, dans l’Ahaggar.
Avant les opérations de fouilles, il se présentait sous la forme d’un tumulus tronconique, présentant un diamètre de 12,60 m à la base et une hauteur de 1,30 m.
Selon le préhistorien français, Gabriel Camps, qui a mené les fouilles, il s’agit d’un monument à margelle, la partie centrale étant une sorte de puits que l’on aurait comblé. Au fond du puits on a trouvé des pierres témoins, dressées verticalement contre la paroi, à la manière des “chhud” des tombes musulmanes.
Sur le sol, partiellement dallé, on a retrouvé un morceau de bracelet en serpentine et des tessons de poteries ainsi qu’une pierre sur laquelle est gravée une paire de sandales. La fouille, effectuée jusqu’à 1,15 mètre de profondeur n’a permis de recueillir que quelques fragments d’os et aucun mobilier funéraire, ce qui a fait croire à G. Camps que le tombeau n’avait pas reçu un corps entier mais seulement des fragments d’os, qu’on aurait laissé, au préalable se décharner. Il faut dire que ce mode d’inhumation (os enterrés après décharnement du corps) a déjà été relevé à plusieurs reprises, au Sahara et au Maghreb, et justement dans ce type de monuments, dit à margelle et chouchets.
On n’a pu dater ce monument mais on sait qu’il appartient à la tradition berbère et qu’il doit être ancien. Faute de documents écrits, c’est la tradition orale qui nous informe sur le personnage enterré dans ce tombeau. Akar, dit la légende touarègue, était le chef des Isbaten, ce peuple primitif qui habitait l’Ahaggar avant l’arrivée de Tin Hinan. Les Isbaten, dit encore la légende, étaient des gens stupides et parlaient un langage très fruste.
Un jour, Akkar, a donné un ordre stupide aux Isebaten : rabattre tous les mouflons de l’Atakor et les tuer. Or, à cette époque, les mouflons était l’une des rares ressources alimentaires des populations de l’Atakor et les exterminer signifiait condamner ces populations à la famine.
On tenta de raisonner Akar mais il ne voulu rien entendre et répète l’ordre : “Tuez tous les mouflons” : Ses hommes décident alors de le tuer, lui, qui donne des ordres criminels. Ils lui tendent un piège, à l’endroit où se dresse son tombeau et dès qu’ils y passe, il se mettent à lui lancer des pierres. Akar mort, on a continué à le lapider et ce sont ces pierres qui ont formé le tumulus recouvrant le tombeau. La légende, bien sûr, n’explique pas les aménagement intérieurs du tombeau.
Le monument d’Abalessa
C’est le fameux monument de Tin Hinan, la reine de l’Ahaggar. Il est bien sûr plus connu que le tombeau d’Akar que nous avons évoqué plus haut et bien plus prestigieux. Le mausolée se trouve à Abalessa, localité se trouvant à 73 km de Tamanrasset et jusqu’aux fouilles de 1925, il était tenu en grand respect par les Touaregs qui y voyaient la sépulture de leur reine.
La tradition rapporte qu’à une époque immémoriale, est arrivée dans l’Ahaggar, une jeune femme noble, venue de l’ouest. Cette femme, Tin Hinan, était accompagnée de sa servante, Takama, et elles voyageaient seules. A l’époque, le pays était à peu près vide, avec pour rares habitants, des idolâtres très primitifs, les Isebetten, qui vivaient dans les monts de l’Atakor. Tin Hinan va leur livrer la guerre et réussit à les soumettre, devenant la reine incontestée de l’Ahaggar. La tradition rapporte encore que Tin Hinan s’est mariée –on ne sait avec qui- et qu’elle a eu trois filles auxquelles elle a attribué des noms d’animaux : Tenert, l’antilope, Temerwelt, la hase et Tahenkodh, la gazelle. De ces filles seraient issues les tribus suzeraines de l’Ahaggar.
Mais selon une autre version, Tin Hinan n’eut qu’une fille, Kella, mère de toutes les tribus nobles. Takama, la servante, elle, a engendré deux filles, ancêtres des clans tributaires. S’il s’agit là de légendes, le tombeau, lui, est une réalité. Il se présentait, avant les opérations de fouilles, sous la forme d’un énorme tumulus, recouvrant des dispositifs internes, et entouré d’un mur de pierres sèches. Resté fermé pendant plusieurs siècles, le tombeau a été ouvert pour la première fois en 1925, par une mission franco-américaine.
L’entrée se trouvait sur le flanc est du tombeau mais elle était dissimulée par les pierres éboulées. Une fois à l’intérieur, on a découvert l’existence de plusieurs pièces construites en pierres sèches, quelques-unes seulement communiquant entre elles.
Les fouilles ont été concentrées sur la chambre qui a reçu le numéro 1 et qui, d’après les indications des Touaregs serait la chambre funéraire. Cette chambre, qui se trouve à l’angle sud-ouest, a une forme rectangulaire, mesurant un peu plus de 5 mètres de long sur 4 de large. Son sol est recouvert d’une couche de petits cailloux qui cache une fosse recouverte de blocs de pierre qui ne sont rien d’autres que les dalles funéraires — les timedlin des tombes modernes — Une fois les dalles enlevées, on a pu découvrir la fosse et dans la fosse se trouvent les restes du mort. La présence d’une dépouille mortelle montre que le tombeau d’Abalessa, contrairement aux autres tombeaux, n’a pas été violé. Les ossements reposent sur ce qui reste d’un lit d’apparat ou alors d’un fauteuil en bois sculpté. Il s’agit d’un squelette, couché sur le dos, tourné en direction de l’Orient, les jambes et les bras légèrement fléchis.
Le corps était à l’origine habillé ainsi que le laissent entendre les lambeaux de cuir rouge qui le recouvrent encore à certains endroits. Il porte également des bijoux dont le chef de l’expédition française, M. Reygase, a établi ainsi l’inventaire : sept bracelets en argent à l’avant-bras droit et un autre sous le même bras, sept en or, au bras gauche, un petit anneau d’or et une feuille d’or repliée au niveau du thorax.
D’autres objets précieux étaient placés autour du corps : des perles d’antimoine entourant le pied droit, des perles de métal et des perles rouges devant le pied gauche, autour du cou et derrière la tête.
Il y a encore des graines de collier, à gauche du bassin, des perles colorées sur la poitrine des petites perles blanches et rouges, sur l’épaule droite, deux poinçons en fer… Il y a des noyaux de dattes et des graines, sur le sol. Peut-être se trouvaient-ils à l’origine dans des paniers de vannerie, qui n’ont pas été conservés. Il y a encore deux écuelles de bois, un petit anneau d’or, des fragments de verre, deux petites boules en or et un pendentif sous forme de statuette de femme. Cet inventaire a depuis été contesté par G. Camps qui pense que le trésor de Tin Hinan était plus riche que cela.
La quantité d’or était particulièrement importante, les objets catalogués étant loin de la couvrir. Cela signifie que des bijoux ont été volés au moment des fouilles. Quelques temps après l’ouverture du tombeau, un autre détournement a eu lieu : le chef de la délégation américaine, le comte Prorok réussit à faire envoyer le squelette et les objets trouvés aux Etats-unis, alors qu’il était prévus de les remettre au musée d’Alger.
Ce vol provoque un scandale dans les milieux scientifiques français de l’époque et l’Etat français doit entamer des démarches diplomatiques pour faire revenir le squelette. Pour la tradition touarègue, il n’y a pas de doute que le squelette de Tin Hinan est celui de leur reine ; La tradition dit encore que Tin Hinan était musulmane et que c’est elle qui a islamisé l’Ahaggar qui était, jusqu’à son arrivée païen.
Or l’un des objets retrouvés dans la sépulture montre que le tombeau est antérieur à l’Islam : il s’agit de l’empreinte d’une monnaie d’or de Constantin frappée entre 308 et 324. La datation au carbone 14 d’un fragment du lit de Tin Hinan, permet de situer le monument entre le 4e et le 5e siècle de l’ère chrétienne.
Si on sait que le squelette retrouvé dans le Mausolée d’Abelassa, est bien celui d’une femme, âgée d’environ quarante ans à sa mort, on ignore s’il s’agit de celui de Tin Hinan, la reine des Touaregs.
L’analyse du squelette a révélé une déformation des vertèbres lombaires, ce qui signifie que le personnage boitait. Or, d’après Ibn Khaldoun, l’ancêtre des Touaregs, les Berbères Houara, l’appelait Tiski la boiteuse.
Et si Tiski était le vrai nom de la reine Tin Hinan, et que Tin Hinan, qui signifie “celle des campements” n’étant que son surnom? Le mystère demeure !
Le mausolée d’Akbou
Nous finissons cette tournée des monuments antiques de l’Algérie, par le beau monument d’Akbou. Rappelons qu’Akbou, qui se trouve à 190 km à l’est d’Alger, était connue dans l’antiquité sous le nom d’Ausum. Elle a été probablement, sur la route de Saldae (Béjaïa) un établissement important. Cependant il reste peu de choses de la période antique de la ville, à l’exception du tombeau dit romain, juché sur le piton appelé “piton d’Akbou”. Selon la thèse la plus répandue, ce mausolée aurait servi de sépulture à l’un des gouverneurs ou des notables de la ville.
Le tombeau est dit romain, mais comme la construction est surmontée d’une pyramide, elle évoque plutôt les constructions maghrébines et orientales. Stéphane Gsell, spécialiste reconnu de l’Antiquité maghrébine, disait, au début du 20e siècle, que ce monument rappelle le mausolée d’Amarith, au Liban. Autrement dit, le mausolée d’Akbou aurait été entièrement influencé par les Phéniciens. Mais si le mausolée d’Akbou rappelle le fameux Maabed Amarith, il rappelle aussi le monument de Dougga, l’antique Thouga, en Tunisie, mausolée érigé par les habitants de la ville en hommage à Massinissa et portant la fameuse dédicace bilingue en lybique et en phénicien. Comme le mausolée de Dougga, celui du Piton est d’origine berbère, avec des influences puniques.
Les datations proposées pour le tombeau ne remontent pas au-delà du 2e siècle de l’ère chrétienne. En l’absence de traces de sépulture, certains auteurs ont pensé que le monument était un temple et non un tombeau, mais rien ne permet de l’affirmer avec certitude. Voilà donc des joyaux de l’architecture berbère antique. Des monuments impressionnants paraissant solides mais qui sont hélas, fragiles ! Des pierres tombent chaque années, des dégradations sont également commises par les barbares des temps modernes qui n’ont d’autre culture que celle de l’argent et de l’intérêt personnel. il est temps de penser à une meilleur protection de ce patrimoine, témoin du génie de nos ancêtres et de l’histoire, plusieurs fois millénaires de l’Algérie.
S. Aït Larba
