Par Anouar Rouchi
Dans l’Algérie du début des années 1990 il faisait bon s’appeler Madani. C’est pourquoi Mezrag s’est ainsi fait nommé. De la sorte il rentrait dans le cercle de plus en plus surpeuplé des nouveaux prophètes, intermédiaires autoproclamés entre Dieu et nous. Madani promettait le paradis céleste à toutes celles et à tous ceux qui prenaient ses divagations pour argent comptant. Mezrag était un chef terroriste. Il promettait l’enfer terrestre à toutes celles et à tous ceux qui s’aviseraient de nier le caractère divin des déblatération de Madani. Et il tint parole. Madani Mezrag est un chef terroriste repenti. Son repentir lui pose cependant problème. Il ne sait plus s’il a déserté l’enfer ou s’il s’y dirige tout droit. Il ne sait plus si le paradis l’attend ou s’il en est définitivement exclu. Ces questions le taraudent, et le dialogue intérieur est permanent chez lui. Pourquoi Madani est-il islamiste ? Comment Mezrag est-il devenu terroriste ? Et Madani Mezrag s’est-il véritablement repenti ? Telles sont les interrogations qui reviennent comme un leitmotiv mais qui ne l’empêchent ni de dormir comme un loir ni de manger comme un ogre. C’est d’ailleurs autour d’un repas gargantuesque, qui n’a fort heureusement pas occasionné d’autres victimes, que le mouton sacrifié à l’appétit du guerrier, que les trois personnages se sont retrouvés. Seul Dieu est témoin de cette scène où, assis autour d’un énorme plat de couscous avec force quartiers de mouton, Madani, Mezrag et Madani Mezrag devisent tranquillement en dévorant le malheureux ovin et en mastiquant bruyamment. C’est Madani qui entre deux bouchées et après un rot interminable, rompt le silence.Madani : Tu sais Mezrag, quand tu es monté au maquis, j’étais vraiment fier de toi.Mezrag : Que serais-je sans toi, cher Madani ? N’est-ce pas toi, qui, par ton enseignement et ta foi, as éclairé mon chemin ? S’il y avait une quelconque fierté à en tirer, l’honneur t’en revient avant tout.Madani : Trêve de modestie, cher Mezrag. Là où je n’étais qu’un obscur théoricien, tu as su concrétiser en traduisant les paroles en acte. C’est une chose de préconiser l’égorgement des infidèles et c’en est une autre de la faire.Mezrag : Ne crois pas, cher Madani, que cela soit si difficile que cela. Certes, j’ai mis du cœur à l’ouvrage, mais il y avait aussi des côtés plaisants dans la tâche.Madani : Tu penses sans doute à l’argent du racket et aux mariages de jouissance. N’est-ce pas la juste récompense pour un soldat de Dieu ? Mais comme notre ami Madani Mezrag est silencieux !Mezrag : Oh ! Il a sans doute un peu honte d’avoir quitté la vie des maquis pour celle plus feutrée des palais…Madani Mezrag : Ou vous ignorez la réalité, chers amis, ou vous êtes de mauvaise foi. La situation était devenue intenable. L’armée nous harcelait. Les désertions se multipliaient. Les populations nous haïssaient…Mon repentir n’en est pas un. Ma foi et ma détermination sont intactes et je n’aurais de cesse d’œuvrer à l’anéantissement de la République. N’oubliez jamais que “lharbou khidaâ”, la guerre est faite de ruses…Madani Mezrag : Après avoir entendu ça, je crois que toi et moi ne faisons plus qu’un.
A. R.