»Le sang des ombres » ou la poétique picturale sans paroles

Partager

L’homme est un éternel figurant, une ombre qui passe et disparaît à la tombée de la nuit. Son visage n’est qu’un reflet évanescent et sa vie est une errance continuelle dans les geôles de sa propre illusion.

Arezki Larbi, Salah Hioun et Kamel Yahiaoui donnent la parole aux couleurs, aux formes et aux lignes pour ressortir cet état d’enfermement et retracer l’Homme dans son infime condition de prisonnier. Un prisonnier parfois heureux de s’être établi dans un carcan, qui accepte et défend ses geôliers; ces derniers étant devenus une partie de son réel, une présence vitale à sa survie!

Les personnages des trois artistes sont séquestrés dans une géométrie limitée, étouffante et sans issue.

Arezki Larbi et Kamel Yahiaoui se rapprochent plus que Hioun de cette idée. Arezki avec ses Tournants (acrylique sur toile), une œuvre qui n’est pas sans rappeler L’homme de Vitruve de De Vinci, évoque l’idée impériale et atrocement présente du cercle vicieux, ses personnages sont crucifiés au sein d’un cercle, jalousement encerclé par des carrés. Le « Type » de Larbi arrive jusqu’à avoir quatre bras et quatre pieds pour essayer de sortir mais la prison est si bien tissée autour de lui que la délivrance paraît impossible.

« J’avance vers vous comme une mer avec le risque du bâton, le dos tourné à la pénombre que cachent vos visages, ne serrant pas la main à la sécheresse de vos cœurs ». Cette phrase tiré du texte intitulé: Les tournants d’Arezki Larbi est assez éloquente pour dire l’effroyable rencontre entre l’homme et sa vérité, l’insoutenable peur qui tient le prisonnier aux tripes quand on lui ouvre la porte de la prison en lui annonçant sa mise en liberté! Avoir peur de la liberté, préférer la médiocre sécurité d’une cellule, aimer les barreaux et les murs délabrés de notre prison et éviter toute ouverture au mystérieux vent du changement… voilà l’idée qui véhicule « Les tournants » d’Arezki.

Yahiaoui, quant à lui, nous présente des hommes enfermés, eux aussi, dans des formes beaucoup plus exigües tels le triangle, le cylindre et le losange. L’homme de Yahiaoui n’est qu’une ombre, tassée au creux d’une forme/prison, adoptant des positions qui traduisent l’intranquilité et l’envie de sortir. Nabil Farès qui l’a préfacé, affirme que « Les peintures de Kamel Yahiaoui existent comme transfiguration de l’horreur moderne, celle des camps d’exterminations, des camps d’internement, des camps intérieurs issus des rafles dans les villes, des visages, rues, solitaires, ombres d’ombres persistantes échappées des tueries, des lois, des rumeurs… ».

Salah Hioun, lui, sort un peu du lot avec une mono gravure sereine, des couleurs pastelles et discrètes, une approche assez flegmatique de l’idée de l’enfermement. En répondant à notre question sur la forte présente du symbole traditionnel dans ses toiles, il dit: « Je ne suis pas contre les traditions. Ce sont pour moi un aspect positif de notre culture et je ne peux les ignorer dans ma peinture. Quant je peins, je ne me permets pas de faire dans l’abstrait, je ne veux pas m’adresser à une minorité. Mon but est de parler à mes contemporains, à la majorité… ».

L’exposition, dans son ensemble, renferme beaucoup d’ombres et de lignes imprécises. L’homme dans ces peintures est avant tout un sujet qui fait peur, que l’on approche avec prudence, que l’on ne veut point écorcher.

L’esthétique était fortement présente dans l’ensemble des toiles exposées et la laideur exprimée ne put échapper au règne absolu de la beauté.

Une exposition assez riche. Des invités venant de tous les horizons pour succomber aux tendres rimes d’une poésie muette. Une présence imposante de nos deux artistes, Arezki et Salah (Yahiaoui étant en France)… Le tout baigné dans une impression de déjà-vu, de déjà vécu: familiarité surprenante avec la toile, la matière et les couleurs.

S. H.

Partager