»Tout le monde peut casser le cercle qui l’enferme »

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La Dépêche de Kabylie : La première chose dont on devrait vous parler, c’est du fameux Homme de Vitruve de Léonard De Vinci. Vos toiles que nous voyons aujourd’hui ressemblent étonnement à l’œuvre du grand maître, est-ce du calquage, de l’inspiration ou de l’influence?

Arezki Larbi : Ni l’un ni l’autre. L’homme de Vitruve ne représente plus son auteur tellement elle a été employée par les médias et notamment la publicité. Et puis l’œuvre de « De Vinci » était une pure étude du corps humain alors que la signification de mes toiles va au-delà du physique et traite de la condition sociopolitique, morale et universelle de l’Homme.

Vous voulez dire : l’enfermement?

Oui. L’enfermement qui est représenté là par le cercle et le carré. Ce sont deux formes qui s’inscrivent l’une dans l’autre. Elles sont toutes les deux intéressantes, s’agissant de l’image de la prison puisque même si on agrandit les côtés d’un carré, ça reste un carré au sens commun du mot comme quand on dit : « Un esprit carré ». Et le cercle, c’est la même chose, c’est un cercle vicieux. Donc mes bonhommes, ce que j’appelle des types, ce sont les gens changeants ou Les tournants (qui est un mot tiré du féminin, « tournante » : jeune adolescente contrainte à faire le trottoir). Ce sont donc des gens qui n’ont pas de position.

Pourquoi appellez-vous vos «types» des Tournants alors que vous les enfermez dans un cercle et dans un carré?

Oui, parce qu’ils tournent dans leurs propres idées. Ce sont des arrivistes. Ce sont des gens qui changent en pensant changer alors qu’ils ne font que tourner dans un cercle vicieux et ils retournent toujours au point de départ. C’est comme être dans un cercle politique et le quitter vers le cercle contraire par vengeance et puis, on découvre que les idées de ce nouveau cercle ne nous conviennent pas et on fait demi-tour vers l’ancien…Il faut savoir qu’on n’évolue pas dans un cercle. Il nous arrive de l’agrandir et on a donc une sensation de mieux circuler, d’aller où l’on veut mais ça demeure un cercle.

Il s’agit là de la fameuse illusion de la liberté.

– Exactement.

Et donc c’est l’homme en général qui est visé par vos peintures.

– Non, ce n’est pas l’homme en général. Il y a des gens qui ont des principes, leurs propres idées…

Mais les principes, ce sont un cercle aussi.

– Mais c’est des gens qui évoluent; ils changent certes de positions mais ils ne reviennent jamais au point qu’ils ont quitté. C’est exactement comme la spirale qui est une forme beaucoup plus riche et beaucoup plus libre que toutes les autres. Il faut noter que la spirale tourne aussi mais elle ne se referme jamais.

Donc ce que vous voulez représenter par vos peintures, c’est la condition de l’homme qui n’arrive pas à se libérer.

– Oui, c’est l’homme qui est enfermé malgré lui, et peut-être parce qu’il le veut, dans son propre piège et qui tourne dans un cercle vicieux en croyant changer. Un homme qui n’a pas une conviction propre à lui, qui change au gré des rencontres, qui est influençable et qui, en se regardant dans un miroir, ne retrouve plus son visage! Il y a une vidéo que Amar Bourass et moi allons faire sur ce même thème, c’est l’horloge déréglée dont les aiguilles avancent d’une seconde et reculent de dix. Ces aiguilles, c’est l’image des « Tournants » qui, en réalité, sont au service des autres. On leur donne l’impression qu’ils sont responsables mais ils font partie en réalité d’une chaîne alimentaire! Et même quand vous remarquez dans mes peintures que les mains ou les pieds sortent parfois du cercle, cela ne signifie pas que ces prisonniers pourront se libérer car le carré est toujours là entourant le cercle et même s’ils arrivent à sortir de ce dernier, ils ne pourront jamais franchir les barreaux du carré.

Si on comprend bien, l’homme subit toujours une loi, que ce soit celle des autres ou la sienne propre. L’homme ne peut-il donc être libre ?

– Il est clair que quand on rentre dans un cercle (philosophiquement parlant), on doit subir sa loi pour y vivre.

Mais ne voyez-vous pas que cette idée nous mène à une autre beaucoup plus terrible: c’est que la liberté est inaccessible même à un homme qui est détaché de tout car il finira par créer ses idées et ses idéaux et leur obéir. N’est-ce pas un cercle aussi?

Oui mais quand on crée nos propres idées, on évolue dans ces idées, on ne stagne pas. Et même si l’on découvre que notre propre monde devient un cercle, il suffit d’arriver à un point, le casser et sortir.

On pourra donc dévier le cheminement monotone et limité du cercle et l’ouvrir à d’autres horizons. Et c’est tout le monde qui en est capable mais, malheureusement, rares sont ceux qui osent le faire.

Revenons au concept de la spirale. Quand vous dites que la spirale est préférable au cercle. Il nous arrive parfois de tomber dans une spirale vicieuse, non ?

Il y a effectivement un terme que je n’aime pas trop: « Spirale infernale » alors que le mot « infernal » était réservé au cercle. La spirale est beaucoup plus large et n’enferme pas l’Homme dans un éternel recommencement. « Spirale infernale » est peut être due à l’idée du vertige.

Le vertige, la perdition, ne pas savoir où l’on va… autant de termes synonyme de liberté.

Et c’est ça qui est formidable avec la spirale, c’est qu’on a toujours cet extraordinaire vertige pendant notre parcours dans la vie. On ne sait pas où il va nous mener et on est en tout cas certain qu’on ne reviendra pas au point de départ comme c’est le cas avec le cercle. Car, se lever le matin, sortir, aller travailler et revenir le soir, n’est-ce pas un cercle vicieux? Pourquoi le fait-on? Parce qu’on en a l’habitude, parce qu’il le faut.

Se lever le matin, aller au boulot et faire des choses régulièrement… Il y a certainement ce genre de cercle quelque part dans votre vie quotidienne. On pourra donc déceler un certain Arezki Larbi parmi vos « Tournants »!

D’abord, je projette rarement ma vie personnelle dans mon travail. Mais pour répondre à votre question, non je ne crois pas que je laisse le temps au cercle de se former autour de moi.

Je me déplace constamment, mon travail se renouvèle et j’évite de m’engouffrer dans un bouchon intellectuel ou artistique. Et si je sens qu’un semblant de cercle commence à se former autour de moi, je m’empresse de le casser. Je suis un révolté par rapport à ma propre personne.

Quand vous dites que vous projetez rarement votre vie personnelle dans votre travail, quelle en est la raison? Et pourtant, se projeter dans son art semble honnête et même un élément enrichissant pour l’œuvre.

Mais projeter sa vie personnelle, c’est tout le monde qui fait ça. Ce serait inintéressant de le faire aussi alors que j’ai beaucoup d’autres thèmes à explorer dans mes peintures, beaucoup plus intéressants et moins rigides.

Mais le « moi » est un thème très riche, changeant et pluriel? Pourquoi l’ignorer?

Oui, mais il faut quand même que votre « moi » soit assez intéressant pour que vous l’exposiez aux autres!

Parlons un peu des Sphères imaginaires. Le cercle est fortement présent dans « Les tournants » et c’est certainement relié aux Sphères. Que deviennent-elles?

A vrai dire, je veux prendre tout mon temps avec Les Sphères. Je ne veux pas regretter de les avoir exposées à la lumière du jour avant même qu’elles n’aient fini de se construire entièrement. Je veux dire qu’avec Les Sphères, il me reste beaucoup de choses à faire, à voir, à revoir et à analyser avant de pouvoir dire : « J’ai fini ». Je veux en faire une œuvre majeure…

On note une certaine nonchalance dans votre façon de parler des Sphères. Y a-t-il du neuf dans votre relation avec la peinture ?

Effectivement, peindre ne me suffit plus, ne me contient plus. Je suis intéressé par le cinéma et la scénographie car c’est un monde qui bouge, qui vit. La peinture peut certes créer des émotions, donner une idée, une impression ou un avis mais elle demeure plate, figée. Je ne dénigre pas la valeur de la peinture mais je dis simplement que j’ai besoin d’aller voir ailleurs, de travailler autrement.

Un petit mot sur l’expo pour conclure ?

Je trouve que c’était réussi. Le catalogue a été bien fait et tous les détails attachés à la disposition des toiles, à l’éclairage et au décor étaient bien travaillés. Je remercie évidemment tous ceux qui ont contribué à la réalisation de cette expo.

Propos recueillis par : Sarah Haidar

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