“Les idéaux pour lesquels s’est sacrifié Kamel restent intacts”

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Malek Sadali est l’ami d’enfance de Kamel Amzal ( familièrement Madjid). Ils sont issus du même village; Tiferdoud, du côté de Ain El Hammam, (ex-Michelet). Ils étaient dans la même classe à l’école primaire au village, au collège au CEM,  » Amar At Cheikh  » et au lycée  » Mustapha Ben Boulaid  » de la même ville. Ayant obtenu leur baccalauréat, ils avaient décidé d’aller poursuivre leurs études supérieures à Alger, Kamel opte pour une licence d’interprétariat en espagnol, il résidait à la cité universitaire de Ben Aknoun et Malek Sadali préparant une licence en Histoire résidait à la cité U de Bab Ezzouar.

Dans ce témoignage, M. Sadali, ancien député FFS à l’Assemblée nationale populaire, raconte son ami d’enfance, avec lequel il a parcouru le plus claire de ses années d’études. Malek Sadali était présent sur les lieux du lâche assassinat de Kamel Amzal par les islamiste d’horreur, il nous relate de ces moments d’honneur. Il fut parmi les premiers militants démocratiques à avoir payé de sa vie ses engagements pour un Etat démocratique et pour la reconnaissance de tamazight par l’Etat algérien. Quelques années après son assassinat, l’Algérie a sombré dans une spirale de violence meurtrière coûtant la vie à des centaines de milliers d’Algériennes et d’Algériens. Une guerre menée contre les Algériennes et les algériens par les illuminés intégristes islamistes au nom de l’islam politique.

Les idéaux pour lesquels s’est sacrifié Kamel restent intacts, ni le temps, ni les crimes abjects dont sont, même aujourd’hui, victimes les militants de la mouvance démocratique, ainsi que le peuple algérien, ne peuvent enterré ces idéaux de vie, de modernité, de justice sociale et d’amazighité.

D. D. K : Vous étiez présent sur les lieux lors de l’assassinat de Kamel Amzal, racontez-nous les circonstances qui ont précédé ce drame.

M. S. Je résidais à Bab Ezzouar, et Madjid m’a invité pour fêter ensemble son anniversaire ( Il est né le 13 octobre 1962). Comme son copain de chambre de Tipaza ne venait pas, nous avons passé ensemble toute la période du 13 octobre au 02 novembre, c’est ainsi que j’ai assisté aux réunions des résidents de la cité de Ben Aknoun qui préparaient l’AG élective du comité de la cité.

Lors de la dernière réunion, ils ont confectionné des affiches pour inviter les étudiants à assister à ladite AG qui devait se dérouler le mardi 3 novembre 1982.

La nuit du 1er Novembre, tous les étudiants qui ont assisté aux réunions préparatoires de l’AG ont reçu, dans leurs chambres, des lettres où ils ont été taxés de « Diables rouges  » et  » condamnés à la guillotine « . Vers 3 h du matin, dérangé par la lumière, je me lève et m’aperçois que Madjid écrit un poème dans lequel il imagine sa mort.

Le 2 novembre au soir, deux étudiants ont été passés à tabac par les  » frères musulmans « , ils n’ont dû leur salut qu’à notre intervention et à celle des agents du restaurant. A 20 h 30, le foyer était plein à craquer : une grande tension était perceptible, vu la présence de nombreux éléments étrangers à la cité habillés de jaquettes en cuir, kamis et basquettes. J’ai appris après coup, qu’à la fin de la prière du Maghreb à la mosquée de la cité, l’imam s’était adressé aux fidèles en disant :  » Ya ziyyar wedjdou rwahkoum  » (invités, préparez-vous).

Aussitôt qu’une vingtaine d’étudiants commençaient à coller les affiches appelant à l’AG, les  » frères musulmans  » se sont précipités pour les déchirer au cris d’Allah Akbar qui fusaient de partout, les portes vitrées du foyer se brisèrent l’une après l’autre et certains d’entre-nous avaient déjà reçu des coups de couteaux, de haches et de sabres, une quarantaine de blessés jonchait le sol dont Madjid qui avait reçu des coups mortels…

Il venait d’avoir 20 ans ! Ni la brigade de gendarmerie située en face de la cité, ni aucun autre corps de sécurité ne sont intervenus malgré aient été avertis à temps.

En deux mots, comment pouvez-vous décrire le défunt Kamel ?

Madjid est issu d’une famille modeste, respectueuse et respectée, c’était un garçon d’une générosité sans limites, humble, ambitieux et engagé. C’était quelqu’un qui croyait beaucoup aux idées de liberté, de démocratie et de justice sociale. Très courageux qu’il était, il allait toujours au bout de ses convictions. Il s’intéressait beaucoup à tamazight, à la poésie et à la peinture. A ce jour, 25 ans après sa terrible disparition, je garde toujours l’image du sourire qui ne quittait jamais ses lèvres…

25 ans après cet événement, qu’est-ce que l’anniversaire de sa mort vous inspire-t-il ?

L’anniversaire de sa mort me rappelle des moments très douloureux, il est très difficile d’accepter une disparition aussi cruelle et subite d’un ami, au printemps de son âge, un ami avec lequel vous avez partagé 20 ans d’insouciante enfance et de folle adolescence.

L’anniversaire de sa disparition m’inspire aussi le combat de toute une génération de jeunes qui se sont sacrifiés pour la réhabilitation de tamazight culture et langue, et pour que règne la démocratie dans notre pays.

Des associations portent aujourd’hui son nom dont celle de notre village, un amphithéâtre à l’université de Tizi-Ouzou, une troupe théâtrale, etc.

Sa mémoire restera à jamais gravée dans le registre des martyrs pour la démocratie et contre les intégrismes de tous bords.

Propos recueillis par : Mohamed Mouloudj

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