Le salon international du livre a atteint, cette année, la perfection absolue en matière de médiocrité et de désorganisation. Les neuf pauvres jours du SILA déambulaient furtivement sous le regard impuissant et désespéré de ceux qui sont venus offrir des livres, de la culture et de la connaissance aux visiteurs et qui, dans un chaos total, se sont retrouvés côte à côte avec d’autres maisons d’édition venues vendre la marchandise la plus courtisée en Algérie: la religion !
Cette année, on a décidé, dans un excès d’adrénaline mêlé à un ancestral complexe d’infériorité, de fourrer, pêle-mêle, éditeurs étrangers et algériens, indépendants et religieux, arabophones et francophones. On a eu donc l’heureuse chance de voir, partout et à toute heure, des spécimens tout juste bons pour des analyses bio-psychopathologiques freudiennes! Une vraie foire, en effet ! Un défilé presque militaire de barbes barbelées, de linceuls macabres appelés « Qamis », de tentes noires et tristement silencieuses nommées « libass chariî », de cartons sur des chariots chargés de la parole de Dieu et de ses élus. Un défilé de regards accusateurs fusillant des filles « impies » qui osent tenir la main de leurs copains, qui osent fumer dans les cafés, infestés eux aussi, des mêmes spécimens Hitchkokiens! Un défilé-cocktail où l’on peut admirer à loisir la pluralité anti-identitaire qui existe en Algérie: afghans issus certainement de l’arbre idéo-généalogique des Talibans, des Saoudiens portant le sang « bleu-nuit » des coupeurs de têtes et de mains Wahhabites, des dignes héritiers de Cheikh El Khomeyni et compagnie…etc. etc. !
Et au milieu de ce flot rappelant l’invasion des rats dans une ville pré-condamnée par la peste, on pouvait quand même observer quelques « civils » venus acheter des livres, des vrais, des romans, des recueils de poésie, des dictionnaires, des ouvrages entièrement artistiques. Une minorité qui devenait presqu’invisible mais dont l’existence laisse, néanmoins, entrevoir une lueur d’espoir…
En ce qui concerne le programme culturel initialement riche du Salon si l’on se fiait au catalogue, on se demanderait si l’on était myope, sourd ou carrément paranoïaque! Où se tenaient ces conférences? Quand? Et où sont les fameux conférenciers et hommes de lettres renommés que le programme nous a promis? A ce qu’il paraît, il y avait vraiment des conférences mais le hic c’est qu’on ne savait jamais où et à quelle heure exactement pourrions-nous y assister! Il faut dire qu’avec le défilé idéo-militaire qui fourmillait partout, on avait du mal à distinguer quoique ce soit au-delà des barbes noires et des linceuls blancs, comme qui dirait une vitre opaque qui ne laissait rien voir de ce qui se passait derrière! Il y avait un mur de Berlin au SILA! La culture était planquée quelque part, on ne sait où, et le culte encerclait les lieux tel des agents SS! Hitler est réincarné dans la Culture Algérienne ! Heil Führer! Ainsi donc prit fin la 12ème édition du SILA, avant-hier vendredi, jour de repos et de prière. Jour de bal masqué et de carnaval grotesque. Jour des obsèques de la Culture et du Livre… Quant à l’année prochaine, on peut s’attendre à deux changements, si changement il y aura: soit l’on assistera à une vraie organisation qui saura séparer la culture du culte, les éditeurs des prêcheurs… Soit on verra une plus ample épidémie où l’on ne saura même plus retrouver un livre de Kateb Yacine ou de Friedrich Nietzsche! Cette dernière probabilité paraît, malheureusement, la plus évidente!
Sarah Haidar
