La Dépêche de Kabylie : M. Dourari, pourquoi le colloque intervient-il ces jours-ci ?
Abderezak Dourari : Le colloque était prévu et il est annuel. L’année passée il a eu lieu en décembre. Cette année fin novembre, c’est pour permettre, précisément de prendre les dispositions budgétaires, parce qu’à partir du 20 décembre, on ne peut plus rien payer. Le colloque était prévu depuis le mois de mai passé. A cette date précise, on avait commencé à envoyer l’information sur le colloque depuis le mois de juin. Si votre idée consiste à faire un rapprochement avec les élections, je dirai que cela n’a rien à voir. En réalité ce sont les élections qui ne savaient pas quand elles devaient se tenir.
En tant que directeur du CNPLET qu’attendez-vous de ce genre de rencontres et colloques ?
Ces colloques, nous rapprochent en tant qu’institution de recherches avec des chercheurs en tamazight partout sur la planète. Là où ils sont, on aimerait bien les contacter et réfléchir ensemble et en même temps, susciter la réflexion sur nos problèmes, donc ceux de l’enseignement de tamazight. Aujourd’hui il n’y a pas une prise en charge scientifique de cet enseignement. Je ne sais pas si c’est spécifique à tamazight, je pense que c’est exactement la même chose pour la langue arabe et les autres langues. Pour l’anglais et le français, heureusement, elles ont des chances d’appartenir aux pays qui réfléchissent et qui sont bien organisés. Donc la réflexion se fait et on l’importe automatiquement et c’est tant mieux. Pour les langues arabe et tamazight, il n’y a malheureusement pas de traditions de réflexions sur les problèmes de cet enseignement et de cette pédagogie. C’est pour cette raison, donc que nous essayons en tant qu’institution de veiller à cela et ce, malgré nos très maigre moyens de nous brancher précisément sur une réflexion sérieuse sur cet enseignement. On a besoin de le moderniser et de le rendre attractif et on a besoin que les problèmes liés à cette langue soient réglés afin qu’elle puisse avoir une image plus positive auprès des locuteurs du berbère et aussi, des autres locuteurs algériens et maghrébins.
Es-ce que les conclusions de ce genre de colloques sont prises en considération par les institutions de l’Etat, notamment le ministère de l’Education nationale ?
Je crois que les institutions de l’Etat ont créé cette institution de recherches, en principe pour précisément faire ce genre de travail. Ça, nous on ne peut pas le savoir. Ce que nous savons, par contre c’est que nous sommes une institution de recherche, nous faisons de la recherche scientifique, nous publions nos travaux, une chose extrêmement rare dans ce pays. Avec seulement quelques personnes au niveau du Centre de tamazight que je dirige, nous avons organisés un colloque et nous avons publié les actes dans la même année.
Donc les actes du colloque précédent ont été éditée à la fin juin 2007, c’est-à-dire, sept mois après sa tenue. C’est une grande première et nous distribuons gratuitement, d’ailleurs, nos réflexions et les actes des colloques à toutes les instances de l’Etat, qui sont d’une manière ou d’une autre impliquées dans la prise des décisions sur les langues et sur la culture d’une manière générale et parce que nous avons des sponsors.
Selon vous quelle est la situation de l’enseignement de tamazight en Algérie ?
La situation de l’enseignement de tamazight en Algérie reste aléatoire malgré quelques avancées notables, malheureusement ces avancées ne procèdent pas, c’est-à-dire, elles ne sont pas nées d’une réflexion d’ensemble. C’est ça qui est malheureux. Donc elles sont des avancées erratiques ou spontanées. Il y a quelques avancées, elles sont très faibles, mais elles sont bonnes. Sinon, d’une manière générale, l’enseignement est mal pris en charge. Il est mal pris en charge au niveau de l’analyse scientifique des profils des enseignants qui interviennent, de même que l’analyse des profils des élèves qui suivent les cours et il est mal pris en charge au niveau des contenus et des méthodes à partir desquelles on fait les manuels et à partir desquelles est réalisée, finalement la fiche du cours de l’enseignant. Donc il y a pas mal de choses, qu’il est nécessaires de revoir et il y a aussi le problème de l’unification des méthodes en Algérie. Il y a les lacunes qui sont liées à la normalisation de la langue nationale tamazight. L’ensemble de ces paramètres font que l’enseignement est loin d’être au beau fixe. On a besoin de réfléchir, de le repenser, de le critiquer y compris dans sa composante humaine.
Sur le plan politique y a-t-il une volonté d’accompagnement afin de permettre l’épanouissement de cet enseignement ?
Je crois que la politique est maintenant hors jeu, à partir du moment où il y a une instance de recherche dans le domaine de l’enseignement, de la pédagogie et, en même temps de la normalisation de tamazight qui est ce centre (CNPLET) et que l’Etat a décidé de présenter un décret de création d’une académie algérienne de tamazight, qui, dans son acronyme serait dite « Aâlem ». Donc, Aâlem, sachez, savoir et c’est peut-être ça. C’est comme ça que je le lis, mais je blague un peu ! si on a deux grandes instances de recherches et de normalisation, cela signifie que le politique doit, maintenant, absolument céder le pas devant la recherche et la science et que tamazight devienne un champ d’études et d’analyses comme n’importe quel autre champ, par exemple la langue arabe, la langue espagnole… Il faut laisser ça aux scientifiques et aux pédagogues. Le politique a arraché et, je me permet d’utiliser le mot, il a réussi à arracher ce qu’il fallait arracher. Donc des instances scientifiques spécialisées dans le domaine et qui peuvent, évidemment, du mieux qu’elles peuvent améliorer cette prise en charge, parce qu’il n’y a aucun enseignement qui débute et qui s’améliore du jour au lendemain. Vous savez, je vous étonnerez si vous dosez, par exemple, que pour la langue arabe scolaire, celle enseignée à l’école, il y a de très graves problèmes dans la prise en charge de cette langue. Nous travaillons dans cette langue avec les données grammaticales et lexicales du 8e et du 9e siècle de l’ère chrétienne. Ce qui est une véritable catastrophe. Au niveau du contenu pédagogique, on est dans des contenus conservateurs et qui reprennent les clivages dans les sphères arabo-musulmanes des 9e et 10e siècles. Cette année, il y a eu, par exemple des débats sur la notion « El Khawaridj ». Pour nos compatriotes et concitoyens mozabites, le mot Khawaridj a été inventé par les Sunnites. C’est-à-dire, un clan politique contre un autre. Donc, l’Etat algérien n’a pas à avoir à opter au profit des Sunnites ou des Ibadhites. Ce n’est pas son rôle, l’Etat algérien est l’Etat de tout le monde. Les Ibadhites, sont des Algériens, d’abord avant tout et ensuite, ils sont Ibadhites, ils ont le droit d’être appelés comme ils préfèrent être appelés. Ils veulent être Mozabites, il veulent être Ibadhites mais pas nécessairement prendre l’appellation polémique quasiment insultante, donc de l’attitude du clan de Mouâwiya Ben Abi Sofiane. Vous voyez bien qu’on est pas véritablement loin de ces problèmes y compris, par rapport à la langue arabe. En grammaire arabe aujourd’hui, des choses qui reviennent à Sibaoui, c’est un peu exagéré. Sibaoui a vécu aux deuxième et troisième siècles de l’Hégire. C’est-à-dire, les huitième et neuvième siècles de l’ère chrétienne. C’est très loin ça. On est obligé de moderniser la grammaire arabe aujourd’hui et lui donner un contenu pédagogique moderne afin que l’arabe ne soit pas déprécier, dévaloriser par l’apprenant, eu égard à la langue française ou anglaise. Il faut faire la même chose, la même procédure avec tamazight. Il faut qu’il y ai des contenus modernes, des méthodes modernes et des méthodes qui ne soient pas inspirés de l’idéologie. Il faut qu’elle soient des méthodes inspirées de la science et de la réflexion scientifique.
On évoque souvent le problème de la graphie pour transcrire tamazight, entre les caractères latins, arabes et le néo-tifinagh, qu’en pensez-vous en tant que spécialiste en la matière ?
Vous avez déjà, peut-être, entendus, depuis ce matin, vous avez vu notre ami venu d’Australie (Robert-André Savage) et vous avez vus que quand lui-même a projeté par data-show ses données, il y avait trois transcriptions. Il avait fondamentalement une transcription en tifinagh des Touaregs et ce n’est pas le néo-tifinagh, il a, aussi, transcrit en caractères arabes. On a bien compris, à travers cette étude de la sylabéfication que, précisément, encore une fois, je le dis et je le pense véritablement au niveau structurel, donc au niveau de la linguistique interne, le caractère arabe à une fonctionnalité absolument fabuleuse, parce que précisément, il ne note pas beaucoup les voyelles et c’est tant mieux. Parce que, précisément dans la syllabe berbère de manière générale et là, c’est un peu trop général ce que je dis, la voyelle n’est pas si importante que ça. Maintenant, la question de la graphie est totalement idéologique, elle n’est pas véritablement scientifique. La décision en la matière est une décision de type politique et symbolique, elle n’est pas une décision purement scientifique. Je rappelle que les institutions scientifiques réfléchissent avec les méthodes de la science, peuvent analyser les scénarios. Dire par exemple, quels sont les avantages de la graphie arabe et ses inconvénients. Quels sont les avantages et les inconvénients de la graphie latine… elles peuvent même proposer des améliorations, etc. Mais la décision en la matière leur échappe. Ce n’est pas à eux de décider. Ça, c’est une décision de type politique et de type sociétale. Ça renvoie à l’image que la société voudrait se donner. Et bien évidemment, certaines graphies, permettraient — j’ai fais déjà une étude en 1990 sur cette question — une meilleure insertion, une meilleure acceptation de tamazight par les locuteurs maghrébins, qui sont à plus de 90% arabophones. Ils ne sont pas francophones, moi je suis francophone, la langue française est un outil de modernisation de la pensée et de la vie sociale, c’est une langue qui est absolument nécessaire pour les pays du Maghreb afin de faire une jonction avec la modernité mondiale et la mondialisation. Les autres langues, n’ont malheureusement pas ces moyens, par exemple la langue arabe, n’a pas, aujourd’hui les moyens de prendre en charge un quelconque savoir. Il ne se produit pas de savoir en langue arabe, il ne se produit pas de savoir sur la langue arabe en langue arabe, donc si vous avez envie de voir ce qui se passe en grammaire arabe moderne, il faut aller en Allemagne, en Angleterre, aux USA, en Russie, peut-être en Chine ou en France… mais pas dans les pays arabes, vous ne trouverez rien. Voilà, un peu les paradoxes et la chose dans sa complexité.
Propos recueillis par Mohamed Mouloudj