“On n’a pas le droit de dilapider une expérience de plusieurs années en caractères latins”

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La Dépêche de Kabylie : Un projet de loi est déposé à l’APN demanpour la transcription de tamazight en caractères arabes, que pensez-vous en tant qu’en spécialiste de la question ?

Dr Lounaouci : D’abord, hier, j’ai discuté avec le ministre de l’Education nationale, et apparemment ce n’est pas vraiment le cas. Il y a un texte qui a été déposé et il y a eu un certain nombre de parlementaires peut être nombreux pour imposer le caractère arabe. Le ministre ne veut pas, apparemment, m’a-t-il dit hier — imposer de caractère arabe pour tamazight. Et si les parlementaires l’imposaient, il retirerait sa loi. Donc ce n’est pas du tout ce qu’on avait compris au début. Le ministre, lui-même ne veut aller vers un caractère obligatoire, il veut attendre qu’il y est plutôt un consensus quelques parts pour expliciter sa pensée. Il souhaiterait qu’un caractère soit choisi, non pas par la force de l’autorité mais par l’acceptation, évidemment, non exprimée.

Sur le terrain de la pratique, quelle est la graphie adéquate pour la transcrire ?

Non, non, il faut être sérieux, à mon avis, des débats idéologiques, qu’il faut laisser de côté. Je trouve qu’on n’a pas le droit de dilapider une expérience de douze années en caractères latins, sans compter ce qui s’était fait avant, c’est un problème moral qui s’est posé à moi, ce n’est même plus un problème idéologique. Effacer tout cela d’un seul trait, faire comme si rien n’avait existé, ne serait-ce qu’au niveau moral. Tous ces jeunes, qui ont été habitués, faut-il les désalphabitiser pour les réalphabitiser et il y’en a beaucoup, et puis même sur le plan technique, le caractère latin a montré son efficacité de par le monde. A tel point que même pour la langue arabe, d’éminents chercheurs arabes voudraient latiniser l’arabe, je cite Taha Hasen, lequel a demandé la latinisation de l’arabe. Lui-même disait que dans toutes les langues on écrit pour apprendre la langue mais en arabe, il faut apprendre la langue avant de l’écrire. Je crois que c’est une réalité, il faut être sérieux, nous sommes en Algérie, l’idéologique prime, malheureusement sur le scientifique. Les politiques, pas tous heureusement, ont décidé qu’il faut garder le caractère arabe, mais ceux dépendent de ce caractère sont exactement les mêmes qui disaient que le berbère n’existe pas dans le pays. Aujourd’hui, la pression a fait qu’ils acceptent le fait que tamazight existe, il posent encore un autre obstacle qui celui du caractère arabe et l’essentiel pour eux est de retarder son développement.

Vous avez sûrement participé à beaucoup de colloques. Les conclusions de ces mêmes colloques ne sont pas prises en compte dans l’enseignement du berbère, pourquoi ?

C’est toujours la même chose. Je pense que la pression politique existe toujours. Elles ne sont, simplement, pas appliquées. Parfois, même les recommandations ne paraissent pas dans les actes de colloques. Un colloque se termine par des recommandations, effectivement, j’en ai participé à beaucoup et souvent on reprend les interventions, on oublie de publier les recommandations, parce qu’elles ne vont pas dans le sens de ce qui est voulu par les autorités politiques.

Donc la volonté de casser existe toujours ?

Il y a au moins une volonté d’obscurcir les idées.

Un dernier mot ?

De toute manière, les problèmes de langues, ce sont des problèmes à solutions difficiles dans tous les pays, il ne faut pas croire que cela ne se passe rien qu’en Algérie. Les efforts sont un travail de longue haleine pour que chaque fois qu’il y ait des problèmes linguistiques qui se soulèvent, j’ai travaillé personnellement sur la langue de l’Espagne — j’ai rencontré des militants catalanistes de l’époque de Franco et seul l’espagnol était accepté. J’ai rencontré des Basquistes du Mouvement culturel basque et ceux du Mouvement culturel catalan qui activaient à l’époque de Franco, on a l’impression, d’ailleurs cela était l’objet de mon DEUA, que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Donc il y a une minorité dominée, une réaction des dominés et une pression qui s’est faite sur le pouvoir. Il y a un moment historique où le pouvoir commence à céder, mais par petits morceaux et puis il y a un moment où il est obligé de tout céder, mais entre le moment où il cède un peu et celui où il cède totalement, la distance historique est très longue. Nous, les Berbères, on n’échappera pas à cette distance historique.

Propos recueillis par M. Mouloudj

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