La Dépêche de Kabylie : Vous dites que vous n’êtes pas nostalgique, pourtant il faut vraiment une bonne dose de nostalgie pour replonger dans ce passé qui sert de matière première à toute entreprise d’écriture…
Hamid Grine : Je peux dire que j’ai la nostalgie de l’instant. Je n’ai pas la nostalgie de ce qui n’est plus. Je parlerai plutôt de souvenirs. Hier, par exemple, le souvenir de ma regrettée mère m’a traversé l’esprit au moment où je travaillais sur mon nouveau roman. J’étais en train d’écrire quand l’image de ma mère est venue et je me suis souvenu d’un événement assez original que j’ai vécu quand j’avais quatorze ans.
Vos romans ne sont donc pas la résultante de la nostalgie ?
Mes romans sont le produit de mes souvenirs et non point de la nostalgie. L’écriture consiste à transformer tout un vécu en roman.
Certains romanciers écrivent ce qu’ils auraient souhaité vivre n’étant pas parvenu à le faire. Ce n’est donc pas votre cas ?
Effectivement, et il y a parmi eux des écrivains immenses comme Marcel Proust par exemple qui était renfermé sur lui-même. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir un grand écrivain. Je pourrais aussi citer Montherlant. Dans un livre, ce n’est jamais tout à fait de la fiction. Un écrivain n’est jamais entièrement sincère que dans ses écrits. Même si Malraux estime qu’ «on est sincère dans ce qu’on cache», personnellement j’ai une autre vision. Revenons aux souvenirs, avec ces derniers, on essaie de se créer une ambiance magique. Même si l’époque de notre enfance et de notre jeunesse n’avait rien de réellement magique.
Vous lisez les livres philosophiques plutôt que les romans. A quoi est due cette préférence ?
Je préfère lire des livres qui me nourrissent et qui me forment. Je lis donc moins les romans. J’aime plus les livres qui nous aident à vivre, à acquérir la maîtrise de soi qui est une qualité primordiale dans la vie.
L’écriture semble être devenue systématique chez vous puisque vous éditez pratiquement un livre chaque année…
Non. Ce sont des livres anciens. Par exemple, “La nuit du Henné” a été écrit il y a trois ans.
Parlez-nous de votre prochain roman…
Il s’agit du Café de Gide. Vous savez qu’André Gide s’est rendu six fois à Biskra. Son meilleur livre : Les nourritures terrestres a été rédigé à Biskra. Ce beau livre lui a été inspiré par le jardin Landon qui se trouve dans cette ville. Il s’agit d’un roman fictif dont André Gide est le personnage principal. Un autre personnage est un ami de l’écrivain l’ayant connu en 1903. En réalité, André Gide n’est qu’un prétexte afin de revenir sur Biskra de mon enfance.
Vous arrive-il d’avoir de l’inspiration quand vous êtes au bureau ? Dans ce cas, vous isolez-vous pour écrire ?
Il m’arrive d’avoir des idées que je fais vite de consigner pour ne pas les perdre. En arrivant chez moi, je me mets à écrire généralement après 22 h.
Ecrivez-vous pour le plaisir ?
L’écriture est un vrai plaisir. En même temps, elle constitue un calmant. Enfin, l’écriture est une souffrance. Finalement, je pense que l’écriture, aussi bien que la lecture, sont une nécessité dans la vie. Vivre sans lire ni écrire est une tragédie.
Lorsque vous écrivez vos romans, vous arrive-t-il de vous censurer pour une raison quelconque ?
Quand j’écris, je pense à ma fille et à mon fils. Je n’ai pas envie de les choquer. Je pense aussi aux miens, c’est-à-dire aux lecteurs algériens.
Que pensez-vous de la situation du livre et de la lecture dans notre pays ?
Il faudrait que l’Etat instaure une politique du livre sans laquelle les choses ne pourraient pas aller mieux. Les talents existent chez nous mais ils sont livrés à eux-mêmes. Il faudrait un budget pour la promotion du livre.
Entretien réalisé par Aomar Mohellebi