Par intermittence, des tentatives de se soustraire à l’injonction des étudiants se heurtent au franc parler des porte-voix de la communauté estudiantine. C’est après cela que les plus récalcitrants se rétractent. Mardi 11 décembre, le recteur Djoudi Merabet réussit l’exploit de se retrouver à l’intérieur du campus. L’on chuchotait qu’il se serait levé tôt. L’on n’en saura pas plus. Au milieu des étudiants se dresse une loge où, cinq agents de sécurité se murent. Vers 8h 30, un homme, d’une quarantaine d’années environ, presse le pas et réussit à se frayer un chemin, mais sans parvenir à ses fins. Les étudiants accourent derrière lui et le dissuadent. Ce dernier s’avère être un inspecteur de police. Mission? Le porte-flingue de répondre qu’il est là pour voir le recteur. C’est à ce moment là qu’on saura que le recteur est bel et bien à l’intérieur. Serait-il en pleurs ? Lui qui avait procédé samedi matin 9 décembre au sciage des portails et à une altercation avec les étudiants. Pire encore, il aurait même percuté des étudiants avec sa luxueuse voiture.
Il s’est exposé de la sorte à l’affront. C’est la réponse qu’apportent la désespérance et le manque de clairvoyance, estime les étudiants. Ceux-ci soulignent à l’unisson l’inconséquence de » Monsieur le recteur « . Dès son retour du Canada où il a séjourné dans le cadre d’une mission de charme en direction des universitaires algériens expatriés, il va faire du » rentre-dedans » à ceux d’ici. Un geste de portée symbolique désastreuse. » Il fait chiquement mine de draguer des universitaires exilés pour enfin révéler sa vraie nature avec les étudiants « indigènes « , tempête un fougueux membre de la coordination universitaire.
8h 40, une procession s’ébranle en direction d’Aboudaou sous des torrents de pluie. L’on nous confie que la cohorte d’étudiants est chargée d’accomplir une mission. Laquelle mission, consiste à bloquer la RN 09 qui relie Bgayet aux wilaya de l’Est.
A un jet de pierre des grilles sciées du portail du campus de Targa Ouzemmour se trouve la cité universitaire du même nom. La route qui longe cette dernière se trouve dans un état navrant. Les traces des dernières pluies diluviennes qui se sont abattues sur la ville de Béjaïa témoignent encore de l’ampleur des dégâts occasionnés, tant à la chaussée qui se trouve sur des dizaines de mètres crevassée, qu’au niveau des trottoirs défoncés. Prendre le pouls des six résidences universitaires, renseigne sur la situation qui ronge les résidents. A Targua Ouzzemour, les chambres donnent l’aspect de grottes puantes où, s’entassent, parfois, une dizaine d’étudiants. » Comment peut-on préparer son mémoire de fin d’études dans des conditions pareilles ? « , s’interroge un étudiant de 5e année. Au resto de la cité qui avait été, rappelons-le, saccagé par ces mêmes étudiants, l’attente s’éternise dans une queue qui étend des tentacules dans toutes les directions avant d’avoir un piteux plat qui donne la nausée dès le premier regard.
Ces jours-ci la place est aux repas froids. A la cité Pépinière, c’est l’oued Seghir et ses odeurs pestilentielles qui souhaitent la bienvenue. Dans l’enceinte des deux cités, les étudiants sont en vrai-faux congé.
D’ailleurs, ce jour-là la plupart d’entre eux ont préféré rallier les trois piquets de grève. Dans les deux cités, à savoir la cité 1 000 Lits et l’autre baptisée 17 Octobre on sert aux étudiants depuis belle lurette du pain rassis et des boites de thon. De quoi exacerber davantage leur colère. Sur ce qui a trait à la problématique récurrente de l’hébergement, l’on fait état de plus de 3000 nouveaux bacheliers qui ne trouvent toujours pas où passer la nuit. Ils consacrent ainsi leur temps à faire d’incessantes navettes, se désole-t-on. D’où, l’étiquette qui colle au dos de la directrice des œuvres universitaires, déclarée, à maintes fois, par les étudiants persona non grata. » Elle sera sacrifiée sur la potence dressée par les étudiants », jure-t-on. A vrai dire, les capacités d’accueil des six résidences sont plus que saturées, en raison d’une inouïe erreur de prévision de la DOU. « Cela est dû à la gestion chaotique de la première responsable des œuvres universitaires « , estime-t-on. Sur ce qui a trait à la qualité des enseignements, le collectif des étudiants fera remarquer que le nouveau système de l’enseignement du supérieur est un « véritable fiasco. « Dans cet ordre d’idées, les étudiants évoquent le nombre plus qu’exagé d’exclus. De leur avis le système LMD, importé et imposé à l’université algérienne, ne peut donner de résultats positifs compte tenu du manque drastique de moyens pédagogiques qui fait défaut à l’université algérienne. Pourquoi alors l’adopter dans la hâte et sans aucun préavis ? S’interroge-t-on. Pour rappel, ledit système est adopté par une trentaine d’universités et touche 19 domaines de formation.
La situation qui ronge la communauté estudiantine de Béjaïa donnait alors naissance à une série d’actions de contestation qu’elle avait apporté à la rue à quatre reprises avec notamment, deux marches assorties de sit-in et le blocage de la RN09 à deux reprises. Les étudiants se disent déterminés à faire aboutir leur plateforme de revendications. Les attentats d’Alger sont l’occasion de changer de sujet. Dans la soirée du même jour les étudiants organisent une grandiose marche, laquelle, s’est déversée du campus de Targua Ouzemour en direction du siège de la wilaya. Fait remarquable, la marche était silencieuse avec au bout des mains des bougies. Une nette condamnation des actes terroristes. S’agissant de la réaction des pouvoirs publics, le wali de Béjaïa finit, après avoir longtemps joué l’autruche, par déclarer en direct sur les ondes de Radio Soummam son entière disponibilité à prendre langue avec les contestataires quand ils veulent et où ils veulent, tout en mettant l’accent sur le caractère de la région qui est, dit-il, » à l’avant-garde de la démocratie et de la modernité. »
Pour sa part, le président de l’Assemblée populaire de wilaya a qualifié dans une déclaration rendue publique, le mouvement des étudiants d’un » autre chapitre du combat de l’Algérie pour la liberté et le bonheur. » Le P/APW écrit encore » qu’entasser les étudiants dans des dortoirs, leur servir des bourses honteuses et les affamer biologiquement et intellectuellement c’est tuer l’avenir du pays. » Le recteur de l’université de Béjaïa a appelé pour sa part, les étudiants au dialogue. Les enseignants, section CNES de Béjaïa, estiment que » les pouvoirs publics privilégient le pourrissement en lieu et place de l’ouverture de négociations sérieuses autour des revendications socio pédagogiques contenues dans la plateforme de revendication. » Tout en qualifiant la démarche des responsables de » véritable mépris à l’égard des étudiants » En dépit des appels du wali et du recteur à même de disséquer la plateforme de revendications, à l’université de Béjaïa c’est toujours le statu quo. Pourquoi?
C’est parce que les étudiants exigent la présence de toutes les parties autour de la table des négociations, à savoir le directeur général de l’Office national des œuvres universitaires, un représentant du ministère de tutelle, le recteur de l’université, la directrice des œuvres universitaires de Béjaïa et le premier magistrat de la wilaya.
» C’est en présence des quatre parties qu’on entamera le dialogue » lâche sèchement un membre du collectif des étudiants. Et c’est cette exigence qu’ils ont enregistré, mercredi, à travers un courrier déposé à la wilaya.
Dalil Saïche
