Seulement, nous serions des ingrats si l’on oublie tous ceux qui ont consacré toute leur vie au combat identitaire et la culture et il est inutile de les citer tous… Mais la jeunesse actuelle doit savoir qu’il fut un temps où tout ce qui avait un rapport avec la culture berbère était considéré par le pouvoir comme étant… subversif. A l’occasion donc du prochain Yennayer, retenons que par deux fois le mois de janvier a été fatal pour notre culture puisque le 1er janvier 2002 est la date du décès de Muhend Arav Bessaoud, membre fondateur de l’Académie berbère et le 3 janvier 2005 celle de la disparition de Brahim Tzri, qui a fait partie de la génération des musicaux et chanteurs qui ont contribué à la révolution de la musique et la chanson kabyle et à leur reconnaissance à l’échelle planétaire.
Muhend Arav Bessaoud (1924 – 2002)
Celui à qui la Kabylie a réservé un accueil à l’image de son combat pour l’indépendance de l’Algérie, puis pour la cause berbère un certain 1er novembre 1997 après un exil qui a duré 32 ans, nous a quittés alors que son combat est passé à l’étape de la concrétisation. Muhend Arav Bessaoud est né le 24 décembre 1924 à Taguemount Ledjdid (les Ouadhias)… Son adhésion au mouvement nationaliste fut précoce puisqu’il fut militant du PPA. Dès 1954, il rejoint le FLN et fut officier de l’ALN jusqu’à l’indépendance. En 1963, il publia un livre intitulé Heureux les martyrs qui n’ont rien vu lequel lui vaudra une condamnation à mort, annoncée par Benbella pour y avoir raconté les circonstances de la mort de Amirouche et de Abane Ramdane tout en divulguant des vérités sur les agissements de Boussouf et de Boumediène durant la guerre de Libération. “Dda Muh” a également participé à l’insurrection du FFS de 1963 à 1965 avant de s’exiler à cause de la répression sauvage qui s’était abattue sur les militants opposés au régime de l’époque. Son appartenance au FFS ne durera pas puisque dans son second livre intitulé Le FFS, espoir et trahison, dédié aux femmes violées par l’armée de Boumediène et à tous “les compagnons” ayant refusé de s’y allier, il critique violemment Aït Ahmed en allant jusqu’à à lui imputer l’échec de la rébellion de 1963. Le second livre a été publié en 1966. Puis vint “Le parcours”, connu de tous : celui de “Dda Muh” qui n’a plus jamais été partisan et qui a consacré tout le reste de sa vie à la cause berbère. C’est ainsi qu’en 1966, avec Taos Amrouche, Ama Narous, Saïd Hanouz et bien d’autres, il fonda ce qui deviendra en 1969 l’Académie berbère. Muhend Arav Bessaoud a toujours déclaré, de son vivant, que l’Académie Berbère ne serait jamais ce qu’elle est aujourd’hui sans le grand ami des Berbères, Jacques Benêt. Justement, aujourd’hui il n’y a pas que l’Académie berbère mais beaucoup d’autres organisations à l’instar du CMA (Congrès mondial amazigh) et la majorité des partis politiques algériens reconnaissent la légitimité de la revendication culturelle, y compris certains qui ont toujours été réticents. Citons par exemple les militants du… FLN de Kabylie ! Seul le MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie) est taxé de mouvement raciste et séparatiste alors qu’il ne propose qu’une alternative pour la Kabylie, à savoir un statut de large autonomie, ce qui existe dans plusieurs pays du monde, à l’instar du Québec et de la Catalogne. En tout cas, le combat pour lequel Muhend Arab Bessaoud a consacré toute sa vie est passé à l’étape de la concrétisation et il est de notre devoir de ne jamais oublier “Dda Muh” qui a dessiné le drapeau berbère en 1967 et qui a été adopté avec fierté.
Brahim Izri (1954 – 2005)
Né en 1954, le 12 janvier correspondant au premier jour de Yennayer, à Ath Lahcen (Béni-Yenni), Brahim Izri a évolué dans un milieu musical puisque son grand-père El Hadj Belkacem Izri l’était lui aussi et dirigeait une Zaouia qui existe à ce jour : La Zaouia de Sidi Belkacem à Beni Yenni. C’est au lycée que Brahim Izri fonda le groupe Igudar avant d’accompagner à la guitare Idir (Ils sont issus du même village) au milieu des années 70. Ensuite, il embrassa une carrière en solo. Son répertoire, unique en son genre, est très riche : kabyle moderne universel, chaâbi et folklore modernisé en plus des reprises très réussies (Slimane Azem, El Hasnaoui, Aït Menguellet), sans oublier les extraits du répertoire de son grand-père. Brahim Izri ne militait pas uniquement pour la cause identitaire mais pour toutes les causes justes, notamment l’émancipation des femmes. En effet, il a lutté de façon active pour l’abrogation du code de la famille adopté en 1984. Même évoluant en solo, Brahim collaborait de temps à autre avec Idir. En fait, c’est lui qui a écrit et composé Cteduyi, il a participé à la composition de Hay hay a mumi, chanté sur fond musical dans Lmut, et surtout, c’est lui qui a proposé Tizi Ouzou (San Francisco de Maxime Le Forestier) pour l’album d’Idir Identités. Tizi Ouzou est chantée tour à tour par Brahim Izri, Idir et Maxime Le Forestier en… kabyle !
Les titres de Brahim Izri, qui ont eu un succès retentissant, ne se comptent pas sur les bouts des doigts.
Citons quand même quelques uns : Dacuyi, Baba Behri, “Ayajuwaq”… Toutefois, la génération de chanteurs actuels ne semblent pas se référer à Brahim Izri, Idir, Ferhat Mehenni, Mennad, Inasliyen, Meksa… Pire encore, le groupe Tagrawla a des difficultés pour trouver un éditeur pour son dernier album.
Une pensée pour “eux” a l’occasion de Yennayer
Lorsque nous fêterons, dans quelques jours, Yennayer 2958, ayons au moins une pensée pour Muhend Arav Bessaoud et Brahim Izri, disparus tous deux en janvier, sans toutefois oublier tous les autres. Ils sont très nombreux et méritent tous plus qu’une pensée et de simples hommages.
Kamel Souami