Timide présence!

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Plus présent dans la vie quotidienne que dans la vie intellectuelle, le sexe demeure l’un des tabous les plus inviolables en Algérie. Considéré comme un sujet qu’il vaut mieux éviter vu le poids des traditions et l’intransigeance de la religion, la sexualité demeure néanmoins le non-dit le plus courtisé en littérature.

De nature récalcitrante face aux interdits et aux muselières, l’écrivain se penche assidument sur les phénomènes bannis par l’ordre établi et tente de soulever les questions épineuses et hypocritement inhibées dans une société donnée.

La sexualité, étant ce qu’elle est dans la mentalité algérienne, devrait donc susciter l’engouement des écrivains et nourrir leur engagement supposé à sortir de l’ombre et de la paille les fantômes redoutés et, néanmoins, ignorés de la conscience populaire. Ce n’est, hélas !, pas toujours le cas chez nous. En effet, comme dans la rue et les gouvernements, la tendance traditionnelle-religieuse prend de plus en plus de l’ampleur et atteint même les maisons d’édition et les écrivains.

Pour les premiers, l’édition étant un commerce au service du consommateur, ils ne pourraient risquer leur réputation et leur « business » en crachant au lectorat le portrait détaillé de leur libido enterrée six pieds sous conscience! Pour les seconds, parler de sexe leur vaudrait si ce n’est l’hostilité générale, du moins un public restreint et, lui aussi, marginalisé… Les écrivains qui osent et crient ce qui leur démangent les neurones et la main sont souvent taxés de provocateurs et d’hérétiques même si la reconnaissance officielle fait croire au contraire.

Le sexe est publiquement considéré comme une atteinte à la morale si ce n’est à l’ordre public. En parler dans une œuvre quelconque serait un acte de fanfaronnade notoire qui, même toléré, mettra son auteur dans la case des écrivains maudits à l’instar des « trouble-fêtes » de jadis tels: Le Marquis de Sade, Oscar Wilde, Henri Miller, les écrivains de la « Bitt Generation », etc.

La pseudo-compréhension et ouverture d’esprit que connaît le mouvement littéraire algérien ne sont certainement pas annonciatrices d’une ère de liberté d’expression ou d’un « Mai 68 » bis.

Les écrivains s’étant promis de mener ce combat contre le non-dit et le « Soi » refoulé se comptent malheureusement sur les doigts de la main. Amine Zaoui et Malika Mokkaddam sont les plus remarquables. Car il est, avant tout question, de parler de sexe pour défendre la liberté de chacun, et précisément les femmes, de vivre leur sexualité « normalement », autrement dit de refuser tout cloisonnement traditionnel ou religieux de l’épanouissement sexuel dû à tout être humain.

Qu’il soit considéré comme sale, immoral et sujet à censure, le sexe n’en demeure pas moins intéressant sur le plan esthétique. En effet, à l’aspect militant et combatif des écrivains dits « dépravés et obscènes » s’ajoute la valeur esthétique qui octroie au roman et au poème une nuance à la fois pourprée d’amour et charbonnée à l’audace et l’ardeur.

Ecrire en Algérie est, ou devrait être, une arme d’opposition contre tout ce qui est mensonger. Ce devrait être surtout une force d’expression et de persuasion accréditée et reconnue et non une voix faible et presqu’inaudible que seuls les initiés et les oreilles sensibles peuvent entendre. L’écrivain est avant tout un humaniste qui gueule et vomit les vérités indésirables, qui brandit face à la société ce dont elle a besoin pour atteindre la véritable phase du progrès. Toute liberté n’est que chimère si elle n’inclut pas celle de faire de son corps ce que bon lui semble, d’assumer sa sexualité comme étant une composante naturelle de l’organisme et de la psychologie humaine. Le sexe devrait donc être présent dans l’œuvre littéraire non pas simplement comme un élément attrayant et « romantique » mais aussi comme un thème qui a son poids et son influence sur la construction et le contenu.

Ceci dit, c’est aux femmes écrivains de mener le combat car, tout bien pesé, le problème essentiel de la société algérienne avec la sexualité est avant tout la femme! Malika Mokkaddam tient le flambeau pour le moment mais l’on a besoin d’une profusion d’audacieuses et de « révolutionnaires » et non seulement de « midinettes » qui parlent d’histoires d’amour pudiques qui finissent par un mariage idéal dans le respect des normes et des traditions! Une romancière qui veut préserver et maintenir l’ordre établi n’est qu’un mouton de plus dans un troupeau perdu qui marche, yeux fermés, vers le précipice.

Inhibez le sexe et l’amour libre et notre littérature deviendra une statuette minuscule et de mauvais gout dans le vaste musée de la pensée universelle. Parlez-en et l’œuvre aura au moins le mérite de tenter de détruire les vieux masques délabrés d’une société victime de ses préjugés et de ses pudeurs hypocrites.

Sarah Haidar

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