Le Printemps berbère lui donnait du vent en poupe. Il le consacrera désormais comme l’étendard de la revendication du peuple dont il est issu. Aux côtés des Ferhat imazighen imula, Ait Menguellet, Idir et tant d’autres, Lounès, en brave militant, n’a pas cédé devant le malheur qui frappait son peuple. Dès lors, il redoublait d’engagement pour la vérité. Ces poèmes légués à l’éternité par le fils prodige du Djurdjura sont là pour en témoigner. Son verbe tranché, ses convictions profonde nous replongent dans une dignité et bravoure qui rendent tout possible car elle supprime la justice qui les gêne et l’injustice qui les englouti. Ces poèmes-témoins d’une époque qui nous suit toujours et dont on tire nos réconforts est dressée tel un tableau disséquant nos chutes, nos lâchetés, nos courages et nos gloires. Ils sont une suite d’images » historiques « , qui rappellent à tout moment nos difficultés et nos espoirs. Ils rappellent aussi nos engagements et nos erreurs. De sa première chanson, Ay Izem Anda Telli-d ?, interprétée avec Idir, Lounès, en jeune indomptable, s’inscrivait déjà dans la lignée des révoltés. Avec une enfance des plus frivoles, l’unique fils d’un immigré montrait aussitôt ses penchants à une liberté longtemps bafouée. Il a vécu dans les fracas des armes son enfance à Tawrirt n-Mussa. Assurément, ces images façonnèrent pour longtemps son imaginaire d’insoumis. D’ailleurs, des dizaines de chansons ont été composées pour décrire les affres vécus durant la guerre par son peuple.
Il savait ce qu’il voulait. Il le savait et il avait le courage de le dire. Il l’avait dit et il avait le courage de le faire. Il savait que la Révolution de novembre était déviée de ses fins. Il n’a pas omis de le clamer. Il savait que les hommes qui ont fait la Guerre ont été liquidés pour tuer leur Algérie et installer une autre. Il le disait sans ambages. En des termes clairs et précis, il fustigeait la dictature imposée avec les armes. Avec son entrée fracassante sur la scène de la nouvelle chanson kabyle, Lounès, en digne fils des Amazighs, s’engageait avec ses paires contre le déni de son identité. Puisant d’un répertoire musical consacré jadis aux chants religieux, il fera de ces musiques un support indéniable, brisant les silences. Sa rébellion réside précisément dans ce courage de » froisser » un ordre maintenu des siècles durant au service d’un conformisme religieux désorienté et d’un nihilisme identitaire déficitaire. Au delà de sa résolution et sa détermination à apporter sa contribution au combat de la génération d’après-guerre, Lounes a eu le courage de comprendre sa propre vie. Elle lui a » noirci » les jours, il la chanta telle quelle. La même vie lui ôta toute descendance, il aimait cette vie et il regardait la mort d’un regard tranquille.
Après avoir réussi à se faire une image parmi ses milliers de jeunes Kabyles, Lounès est resté attaché à ses profondes convictions. Il a défendu durant toute sa vie ces jeunes, leurs points de vue, leur raison d’être, et en somme ils s’exprimaient en lui.
Matoub ne sera pas étranger aux événements d’Octobre 1988. Ses engagements antérieurs le mènent à prendre position avec les autres militants de la mouvance démocratique. Son nom sera inscrit dans les annales de ce mouvement qui a consacré un pluralisme politique, même biaisé.
Il sera grièvement blessé par cinq balles dans un barrage de gendarmerie à Michelet parce qu’il distribuait des tracts appelant la population à la vigilance et au calme. Une autre période ténébreuse commence dans sa sombre vie. Plus de cinq ans de souffrance passaient dans les différents hôpitaux parisiens et algériens. Il s’en sort complètement démuni de ses capacités physique mais sans pour autant atteindre sa force de révolte.
Le 25 septembre 1994, après quelques semaines seulement du début du » boycott scolaire » engagé par la Kabylie pour ses droits culturels et linguistiques, » la voix du peuple » fut enlevé et détenu pendant deux semaines par un groupe armé. Il sera libéré le 10 octobre suite au mouvement de solidarité et de mobilisation de toute sa région, la Kabylie.
Après ce terrible épisode, il se rend en France où il publia quelques mois après son livre intitulé le Rebelle. Dans ce livre, Lounès raconte le cauchemar vécu avec ses ravisseurs. Deux galas, le 28 janvier 1995, secouèrent la scène parisienne, le Zénith.
Même avec la menace terroriste qui pesait sur sa personne, Lounès n’avait pas baissé les bras. Il continuait son combat sans relâche.
Quatre ans plus tard, le 25 juin 1998, alors qu’il revenait— accompagné de sa famille—de Tizi Ouzou, il sera assassiné au lieu dit Talla Bunane par des hommes armés. Le lâche assassinat sera attribué au GIA, mais le mystère reste entier sur cette triste histoire qui a endeuillé toute la Kabylie. En réalité, ceux qui ont osé l’assassiner ont visé le combat de cette région et son engagement contre l’islamisme barbare et le régime scélérat. Par cet assassinat, les ennemis de la Kabylie ont tué une voix provocante. Une voix qui les dérangeait, elle dérangeait même certains cercles de » dits démocrates « .
Son assassinat s’inscrit dans le triste registre des liquidations physiques. Son image hantera à jamais ses criminels. Ils entendront à chaque coin de rue, sur chaque place publique sa voix brûlante et rocailleuse. Il lui ont ôté la vie pour lui donner celle de l’éternité.
Sans faire parler les morts, s’il était encore vivant il aurait indubitablement opté pour une famille politique, celle qui avance : la Kabylie battante !
Amkan-is zeddig !
Mohamed Mouloudj