»BRTV est une chaine au service de la langue berbère »

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Mohamed Saadi est un homme très discret. C’est à peine d’ailleurs si certains “avisés” en Algérie savent qu’il est le créateur et propriétaire de Berbère TV. Sans son concours, La Colline oubliée, le film, n’aurait sans doute jamais vu le jour à la date où il est sorti. Bouguermouh lui a témoigné d’ailleurs sa reconnaissance ouvertement sur les colonnes du journal français le Monde.

Dans son cabinet d’expert comptable parisien, il compte des clients de renom meublant la place du showbiz français. Il est dans le  » Who’s who  » français de 2008,  » le dictionnaire biographique de ceux qui comptent en France », pour reprendre cette expression de Google. Mais le succès ne lui est jamais monté à la tête. Il a reçu notre reporter dans ses bureaux des Champs-Elysées pour lui parler comme il ne l’a jamais fait. Il évoque son parcours militant pour la cause berbère, les détails de la création de Berbère TV, l’actualité de la chaîne, sa mise en clair dès avril prochain durant la tranche horaire de nuit, le lancement de deux autres chaînes berbères en septembre, d’autres projets, son attachement à ses racines, et plein d’autres sujets…

La dépêche de Kabylie : M. Saadi, le monde amazigh reconnaît votre engagement dans le combat culturel berbère. Vous passez aussi pour une grande personnalité dans le milieu du show biz parisien où vous jouissez d’une grande notoriété. En témoignent pour vous vos bureaux attenants à la plus célèbre avenue de France si ce n’est du monde, les Champs-Elysées, et vos relations. Mais, vu de là-bas, vous restez un mystère pour vos concitoyens les Kabyles…

Mohammed Saadi : Ils connaissent Berbère TV (BRTV), c’est le plus important.

C’est de la modestie ?

Vous savez, c’est comme quelqu’un qui fait de la musique, un musicien, un chanteur, ce qu’on retient de lui, c’est ce qu’il nous donne. Parfois on est loin de lui, on ne voit pas sa tête mais sa musique nous accompagne. D’ailleurs parfois même après leur disparition, leur musique est toujours là à nous bercer. C ’est la même chose pour les écrivains… Donc si vous voulez, dans mon cas, Berbère TV parle pour moi.

Mais sinon, vous êtes bien parti de quelque part…

Historiquement, on est originaire des Ouadhias. Ma famille a été expulsée en 1870, on a même retrouvé les documents dans les archives de l’armée française ici en France.

La raison, c’est qu’à ce moment-là, ma famille avait pris faits et causes pour l’arrivée de Cheikh El Mokrani.

On a été donc exproprié, nos terres sont à l’entrée des Ouadhias. Moi, je suis né à Alger, mon père et mon grand-père paternel aussi d’ailleurs. Donc si vous voulez, on est Algérois depuis un bon bout de temps.

Mais ça n’a rien enlevé à mon attachement à la Kabylie. Je me rappelle, quand j’étais enfant, mon père nous amenait avec mes frères là-bas, et je me souviens toujours de cette émotion que j’avais à chaque fois qu’on traversait les Issers, et surtout quand on arrivait à l’entrée de Tizi Ouzou pour bifurquer à droite, en nous enfonçant dans ce défilé de paysage qui nous amenait vers le Djurdjura. Je vivais quelque chose d’impressionnant au fond de moi.

Et là je me dis aussi loin que je peux remonter le temps, je sais d’où je viens, et je n’ai pas perdu de vue d’où je suis parti. Mes racines sont une partie intégrante de moi dont je ne pourrais me défaire là ou je suis. C’est une dimension très affective ancrée en mon intérieur.

Vous êtes aujourd’hui à la tête d’un grand cabinet d’experts comptables implanté au cœur des Chanps-Elysées, vous habitez en plein centre de Paris, propriétaire de l’unique chaîne de télévision berbère au monde. On peut dire que vous avez fait bien du chemin dans votre vie professionnelle. Si on revenait un peu sur vos débuts ?

J’ai fait mes études à Alger. J’ai fait les finances. Au fait, j’ai toujours voulu devenir expert comptable, même si au départ j’étais également fasciné par les plans, l’architecture, le génie civil.

J’ai acquis cette passion pour les finances en allant périodiquement à l’entreprise de mon frère qui avait une grande affaire en Algérie. J’ai été frappé par l’indépendance que pouvait avoir ce secteur vis-à-vis de l’entreprise.

Voilà, tout et parti de là, et par la suite j’ai préparé mes diplômes à partir d’Alger par correspondance dans un institut français.

J’ai débarqué en France à la veille des examens. J’avais tout fait pour réussir, et c’est donc comme ça que je suis arrivé ici avec ces titres qui me permettait d’accéder à l’itinéraire d’expert comptable. J’ai entamé ma carrière en France en 1981.

Ce fut un chemin sinueux. Difficile d’arriver là où vous êtes ?

Je n’ai pas vraiment rencontré d’obstacles devant moi. Aujourd’hui quand je réalise ce que je vis : J’ai mes bureaux aux Champs-Elysées, je suis à deux pas du Fouquets (Le célèbre restaurant où Sarkozy a fêté sa victoire), il y a deux minutes j’ai eu une célébrité française au bout du fil…là je me dis, j’ai eu de la chance dans ma vie. Je ne peux aussi que remercier ce pays, la France, qui m’a accueilli, et qui me permet d’être là, de m’avoir assuré les conditions qui m’ont permis de m’épanouir. J’ai ouvert ce cabinet en juillet 1989. Avant de m’installer à mon compte, j’ai été dans un autre cabinet parisien important.

A ce moment-là, on m’avait déjà proposé de prendre la présidence du cabinet. M. Berger pour le citer allait partir à la retraite, et il m’avait fait la proposition de prendre 51 % du cabinet. J’ai été très touché par la confiance qu’il voulait mettre en moi, c’était pour moi une chance inouïe qu’il voulait me confiait malgré qu’il y avait sur place d’autres éléments plus anciens. Peut-être qu’il avait vu que j’étais entreprenant, et performant. C’était une proposition alléchante pour moi mais au bout d’une réflexion de six mois, j’ai dû pour raisons personnelles, parce qu’en fait, je voulais concrétiser mon projet personnel. Et puis ce n’était pas aussi facile de reprendre un cabinet de cette taille. A partir de là j’ai commencé mon cheminement à la base.

A voir la place que vous occupez aujourd’hui, on ne peut que dire que vous êtes arrivé à bon port, et quel port ! Les Champs-Elysées avec toutes ces stars mondiales dans votre entourage immédiat…

Cet entourage est dû au fait que je me suis spécialisé du monde artistique. J’ai développé ce cabinet autour d’un certain nombre d’axes, et de métiers que sont la musique, le cinéma, le spectacle, la mode, la télévision… Nous sommes quelque trente-cinq collaborateurs dans ce cabinet, l’un des premiers en France dans ce secteur, nous avons une bonne renommée et réputation sur la place de Paris. Ce qui fait qu’on a la confiance de certains grands noms qui nous confient leurs dossiers.

Vous voulez citer quelques noms ?

Sans les citer, je peux juste vous dire que le monde a l’opportunité de les voir en regardant TF1, France 2, France 3, Canal +. Nos clients sont aussi des éléments de l’équipe de France de football. Sur les plateaux de samedi ou dimanche soir de TF1 ou France 2, autour de la table, il y a toujours des clients de notre cabinet, qu’ils soient présentateurs, producteurs, des artistes invités…

C’est ce milieu que vous côtoyez aujourd’hui, et votre attachement à vos origines kabyles qui vous ont poussé à créer Berbère Télévision ?

Ce qui m’a amené à créer Berbère TV, c’est la même émotion que je ressentais quand je me rendais en Kabylie à l’âge de sept, huit ans. Le projet, moi je le qualifie de miracle qui s’est réalisé. ça me tenait à cœur de concrétiser des défis comme ça, de haute facture pour donner une autre dimension à notre culture. C’est dans cet esprit que, précédemment, j’avais coproduit et distribué le film La colline oubliée ici en France. Et c’est à ce moment-là que j’ai eu l’occasion de réaliser l’engouement des gens pourde leur culture. C’est vrai que je m’y attendais un petit peu car c’est une œuvre avant tout de Mouloud Mammeri. Mais l’élan que ça avait drainé était extraordinaire. Tout le monde s’était mobilisé pour porter ce film. Je citerais l’apport de mon frère Mustapha, et celui du large mouvement associatif qui s’est uni pour rendre l’hommage qu’il fallait à Mammeri pour ce qu’il a apporté à la culture berbère des décennies durant. L’émotion dans les salles de projections était intense, et sincère. Donc la question à laquelle il fallait donner une réponse c’était comment continuer sur cet élan, et résorber cette frustration née de notre grande soif d’affirmer notre identité kabyle. A un moment donné j’ai été voir Mohia pour chercher un moyen de servir ce merveilleux public. Malheureusement, on n’a pas pu concrétiser grand-chose pour des tas de raisons. L’idée de la télévision m’est venue après. C’était au mois d’octobre 1998. Un jour pendant les vacances de la Toussaint, mon fils qui a aujourd’hui quatorze ans m’avait demandé tout bêtement pourquoi il n’y a pas de dessins animés en kabyle ? Je me rappelle, c’était le matin, et alors qu’on s’apprêtait à partir, lui, il était là, assis dans le salon à voir des programmes pour enfants sur TF1. Cette phrase a cristallisé ce défi dans ma tête. Car, au fond, elle faisait tout simplement éclater au grand jour la frustration subie par nos enfants, nos mères, et grand-mères qui ne connaissent aucune autre langue. Et j’étais bien conscient de ce manque, car je n’ai jamais coupé les ponts avec la Kabylie. Je m’y suis toujours rendu de manière régulière même pendant les années les plus sombres. Et je me rappelle de cette fois, alors qu’on étaient en route avec ma mère, et mon frère, je n’ai rien pu faire pour elle au moment où elle me demandait de mettre la radio kabyle. Parce que tout simplement la chaîne n’émettait pas encore en continue. Donc, avec la phrase de Yacine, c’est toute cette souffrance en silence d’un peuple qui est remontée à la surface. Donc si vous voulez cette phrase a été quelque part le facteur déclenchent qui m’a poussé à assumer ma responsabilité envers cette culture en tant qu’individu. Immédiatement j’ai été acheter une trentaine de bouquins au boulevard Saint-Germain pour voir comment faire. C’est avec ces livres dans la malle de la voiture que nous sommes partis en vacances. ça a duré plusieurs mois, j’ai traversé des hauts et des bas, je suis allé un peu partout, en Hollande, en Allemagne, et ce n’était pas du tout évident d’y arriver avec tout ce que j’ai vu. Cela paraissait quelque chose d’impossible à réaliser. C’était quasiment une entreprise hors d’atteinte. Mais est-ce qu’il fallait pour autant baisser les bras ? Ma conviction m’a toujours dit non. Et le sacrifice a fini par être payant en décembre 1999. C’est à ce moment-là que Berbère Télévision a été créée.

La chaîne a démarré modestement. Aujourd’hui, elle émet H/24. Une grande performance en soi en peu de temps. Vous êtes satisfait de ce qui a été accompli ?

A voir d’où on est parti, globalement on ne peut que se réjouir aujourd’hui mais de nature, l’être humain restera toujours cet éternel insatisfait. Mais le problème c’est que dans ce genre de projets parfois, on arrive à des situations qui vous dépassent. Car créer une télé, c’est synonyme d’engagements pris à l’égard de gens que vous ne connaissez pas, et qui tiennent en vous. Et là vous n’avez pas le droit ni à l’échec, encore moins à vous arrêter, et revenir en arrière. Quand je pense encore à cette déclaration dans le journal Le Monde  » :  » Même au plus profond de mes rêves, jamais je n’aurai pensé voir une chaîne de télévision naître… Ce n’est pas possible de voir Berbère TV s’arrêter. Ce n’est pas une simple chaîne musicale, ce n’est pas une chaîne comme une autre. ça aurait été ramener les gens trente ans en arrière. Car il s’agit à travers Berbère Télévision d’une langue, d’une culture qui s’est affirmée à la face du monde, c’est un symbole, un grand élan, ce n’est pas rien une chaîne berbère sur satellite. Cela véhicule notre détermination à tenir à notre langue. Maintenant telle qu’elle est, Berbère TV reste un bébé qui a besoin d’être accompagné, et à qui on doit tracer un chemin, le plus loin possible. Ce fut une entreprise difficile à mener à bout mais humainement, elle fut une expérience qui m’a apporté une richesse infinie à l’intérieur. Je vois toujours une tendresse singulière aux gens qui me serrent la main en réalisant qui je suis. Et ça, ça vaut toutes les richesses du monde. C’est pour moi une récompense éternelle. Et c’est pour cela que la chaîne doit durer. Heureusement pour moi, j’ai une formation qui se prête à ce domaine : Je sais ce que c’est travailler à long terme, investir, mais en même temps j’ai besoin de l’apport de la population, tout au moins celle qui se reconnaît en cette chaîne, pour m’aider à la porter, et continuer à faire vivre ce projet qui nous tient tous à coeur.

Etes-vous conscient des attentes des téléspectateurs, notamment kabyles qui attendent une amélioration des programmes avec une grille plus riche, et régulière ? Aussi leur espoir est grand de voir la chaîne un jour en clair…

Mais je trouve leurs attentes légitimes, c’est normal. Chacun aspire toujours, chaque jour que Dieu fait, à ce que demain soit meilleur qu’aujourd’hui. Et comme, en plus ils ont de l’affection pour cette chaîne, ils veulent qu’elle progresse aussi. Sauf qu’il y a des contraintes, et ce contenu qui doit être amélioré coûte excessivement cher, le satellite autant. La chaîne dispose d’un budget qui est ce qu’il est, et dans le manque, on est contraint de le dédier au plus urgent. La chaîne est maintenue sur satellite, elle est présente sur les réseaux câblés… Une chaîne de télé pour qu’elle puisse vivre, soit elle est étatique, donc alimentée par l’Etat, ou elle est indépendante, donc alimentée par les ressources publicitaires. Et dans notre cas, l’accès à la publicité est plus difficile vu son caractère culturel malgré l’importance de son audience que ce soit ici en France ou en Algérie.

A l’occasion j’en profite pour remercier les annonceurs qui nous accompagnent. Cela dit l’apport de la population est primordial pour soutenir cette indépendance de la chaîne, et c’est pour cela qu’on est contraint de la faire passer par le mode du cryptage. Mais sinon, moi je ne demande qu’à l’améliorer davantage, avec de nouveaux programmes de sports, de reportages, de films…, et à la mettre en clair aussi. Sauf que pour cela, il faut des revenus donc beaucoup de publicité. Et au jour d’aujourd’hui, je pense que le téléspectateur s’est rendu compte qu’il n’y a pas de flashs publicitaires, assez importants du moins, qui nous assureraient cette amélioration voulue de tous.

Si ce n’est pas trop indiscret, à combien revient le signal sur le satellite ?

Sur le plan financier, on peut dire que la chaîne est en équilibre. Le chiffre tourne autour de deux millions cinq cents à trois millions d’euros mais ce n’est pas ça qui est important. Ce qui est important c’est que la chaîne a aujourd’hui ses revenus par la publicité partiellement, et par ses abonnés en France. En Algérie ou de manière générale, en Afrique du Nord, le nombre d’abonnés est presque réduit à zéro. Là-bas, à l’instar de toutes les chaînes d’ailleurs, Berbère TV est piratée depuis maintenant plusieurs années. Nous n’avons pas de cartes en Afrique du Nord ou très, très peu. ça, il faut le savoir. On ne s’en plaint pas parce que cela nous permet d’avoir une plus large audience. Mais à partir du moment ou la chaîne est regardée par la population, et si cette dernière venait à faire l’effort de s’abonner, ça nous permettrait d’améliorer qualitativement les programmes.

Mais ils sont nombreux à chercher à s’acquérir la fameuse carte d’abonnement. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’est pas disponible chez l’électroménager du coin où l’on trouve normalement des cartes d’autres opérateurs. Disposez-vous d’un réseau de distribution ?

Oui, il existe un réseau de distribution. Sauf que lorsque les distributeurs voient que la chaîne est piratée, ils sont découragés. Ce qui fait qu’ils préfèrent arrêter l’importation de la carte. Et ça, ça crée un certain disfonctionnement dans le réseau de distribution. Et je comprends la réticence de ces distributeurs à s’approvisionner en cartes. Car ils ne sont pas surs de les commercialiser.

Quels sont vos objectifs ici en France ?

Nous visons à l’enraciner davantage dans les réseaux câblés. Et là on est disponibles à travers tous les réseaux existants. On vient même de signer un accord pour amener la chaîne jusqu’aux frontières allemandes. Elle sera aussi disponible en Belgique et au Luxembourg. Et aussi prochainement, du moins on l’espère en Hollande. Mais sinon, aujourd’hui, on couvre pratiquement tous les réseaux câblés, et ADSL ici en France, et on déborde même sur les pays limitrophes. ça n’a pas été facile d’en arriver là, car au départ quand j’allais voir par exemple Noons (Un réseau câblé), il y a trois, quatre ans, on me demandait combien on était en France ? Est-ce que vous avez des journaux qui paraissent ici ? Avez-vous un grand centre culturel à Paris ?… Ils ne réalisaient pas l’importance de la communauté berbère en France mais en fait, ils posaient des questions très pratiques pour nous situer sur le plan marketing. C’est ce qui les intéresse eux, le nombre numérique des potentiels abonnés à générer. Il a fallu convaincre.

Vous avez procédé récemment à l’extraction de la chaîne du bouquet TPS au sein duquel elle était intégrée précédemment. Voulez-vous nous expliquer les motivations d’une telle entreprise ?

D’abord il faut savoir que le bouquet TPS arrêtera sa diffusion au courant de cette année 2008. Canal Satellite qui est sur le 19°, donc Astra, a fusionné avec TPS. C’est bien sûr Canal qui a racheté TPS. Et de nos jours, ici en France, les intervenants de Canal sont en train de tourner toutes les paraboles des abonnées de TPS pour les amener vers la position Astra en prévision de l’arrêt définitif de TPS prévu très prochainement. Donc à ce moment-là, il ne restera qu’un seul grand opérateur de télévision sur le satellite en France qui s’appelle Canal Satellite.

Du moins selon les prévisions du moment, car il se peut qu’il y aura de nouveaux opérateurs qui verront le jour dans les prochains mois. C’est pour cela qu’à un moment, on ne devait que se poser la question sur la présence de Berbère TV dans le bouquet TPS. Donc d’un commun accord avec la direction de ce bouquet on a décidé d’arrêter la diffusion sur ce bouquet tout en restant sur le 13°. Et par la suite on a entamé des discussions avec Canal Satellite pour une future intégration.

Où en sont ces discussions aujourd’hui ?

Elles continuent d’avancer. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il faut un budget beaucoup plus conséquent pour diffuser à travers Canal Satellite. Ce qui veut dire qu’il faut penser à la fois, à la population qui est ici, et celle qui se trouve en Afrique du Nord. Si on va sur Canal Satellite, donc on risque de ne plus être sur le 13°.

Si on veut être sur les deux positions à savoir rester sur le 13°, et en même temps faire notre entrée sur Canal Satellite sur le 19° (Astra), il nous faudra assurer un effort budgétaire, et à ce moment-là, il faudra bien maîtriser les choses. Donc si vous voulez, nous sommes en train de réfléchir sur la meilleure manière d’entrée au courant de cette année sur Canal Satellite tout en maintenant notre actuelle position sur le 13°. Et j’espère qu’on va y arriver.

Avec le cryptage de la chaîne, pas mal de rumeurs ont suivies la frustration des fidèles de la chaîne qui ne savent plus ni qui encore quoi croire. ça et là, il a été laissé entendre que Berbère TV projetait de se mettre en clair durant la tranche horaire de nuit. Vous le confirmez ?

Vous savez, à partir du moment où la chaîne est piratée, elle est de fait en clair. Cela dit, c’est vrai que certains éprouvent certaines difficultés à y accéder. Maintenant, il est vrai aussi que notre souhait est de la mettre en claire à partir du mois d’avril de 19 h à 23 h. Auparavant il y a certaines données techniques qu’il faudra ajuster. La chaîne passera d’abord à un système de cryptage plus élevé, et à ce moment-là, il ne sera plus possible de la pirater. C’est à partir de là qu’on prévoit d’ouvrir la chaîne de 19 à 23 h.

Une mesure qui sera sans doute suivie d’une révision du réseau de distribution des cartes en Algérie, et peut-être même du prix…

Effectivement, on compte bien élargir le réseau de distribution déjà existant, et notre souci aussi est de rendre la carte d’abonnement accessible aux plus démunis.

Et pour les programmes ?

On y travaille aussi sérieusement, c’est surtout la fiction qui m’intéresse. C’est un volet qui nous permettra de narrer en son et images les vécus quotidiens de la population dans chaque domaine, qu’il soit culturel, social ou autres. ça nous permettra d’ouvrir des fenêtres, et encourager des écrivains, des comédiens…

Vous faites là une belle transition pour parler du domaine de l’édition. Vous nourrissez une passion particulière pour ce créneau ?

Je préfère plutôt parler de passion personnelle. J’ai toujours ressenti une passion pour le livre, et en plus de lire, j’en ai même déjà édité un, il y a à peu près cinq ans. Ce fut un plaisir que je me suis fait à moi-même mais qui a également rencontré un écho chez les lecteurs. J’ai toujours eu ce sentiment de la nécessité de développer cette activité de l’édition pour permettre un meilleur épanouissement à notre culture. ça reste, il est vrai, un secteur très difficile mais j’essaye d’apporter ma contribution du mieux que je peux. Et dans les projets très proches, on compte éditer au courant de cette année 2008 un livre traitant du  » Royaume de Koukou  » avec Thierry Deslot. L’histoire se passe au 16ème siècle en Kabylie, elle concerne un bout de l’histoire de l’Algérie qu’on rendra donc accessible à qui voudra la découvrir. Nous comptons aussi éditer plusieurs ouvrages sur les rois berbères d’ici à 2009. Nous avons aussi une coédition, fin prête, avec le journal français, L’Equipe, sur la prestigieuse équipe de football du FLN. C’est un projet qui tien particulièrement à cœur, une manière pour moi de rendre un vibrant hommage à cette équipe du FLN. On l’a réalisé avec le journaliste Michel N’Aït Challal. Le livre sortira en avril prochain à l’occasion du 50 e aniversaire du départ des joueurs de France pour aller rejoindre, d’abord à Genève, puis de rentrer en Tunisie, avec l’équipe du FLN. C’est quelque chose que j’avais en tête depuis très longtemps et ma rencontre avec Michel m’a permis de concrétiser l’hommage que je voulais rendre à ces hommes qui il y a 50 ans ont sacrifié leur carrière pour rejoindre l’équipe du FLN. Et là ma pensée va à Mekhloufi, et à eux tous qui ont été quelque part derrière le grand déclenchement de Novembre 54. Aussi la présence aujourd’hui sur les cimes du football français d’un certain Benzéma, un Kabyle d’origine, montre ce que doit être l’histoire entre les peuples : Une histoire de fraternité. Mon espoir est donc d’aller avec Michel prochainement en Algérie : A Alger, Béjaïa, Tizi-Ouzou, Constantine, Oran, Annaba, Sétif, et partout où ça sera possible à travers le pays pour présenter ce livre qui sera publié par les éditions Hachette. Au chapitre des publications, on aura aussi prochainement l’édition d’un livre sur la vie, et l’œuvre de Idir.

Justement, l’artiste a laissé entendre que vous partagez avec lui son projet d’une future tournée en Algérie…

Il y a aussi le rappeur Cénic qui vient de sortir de ce même bureau qui me propose de l’accompagner en avril prochain à Alger pour la présentation de son nouvel album. Maintenant pour revenir à Idir, c’est vrai que j’ai un grand attachement, et une affection très forte à la fois pour la personne humaine très sensible, et pour l’artiste de premier plan. C’est quelqu’un qui nous a ouvert bien des horizons, et a permis à notre culture d’atteindre l’universalité, et créer un espace de partage avec les autres. ça nous a fait connaître aux autres. D’un point de vue intellectuel, il incarne un regard avisé sur l’avenir, les évènements passés ou à venir. Il a apporté beaucoup à notre culture, et c’est important qu’il retrouve son pays. C’est le genre d’aspiration dont on ne peut qu’avoir envie de partager. Et nous espérons réunir toutes les conditions pour concrétiser cela. Le projet a besoin d’être mûri car Idir ne compte pas y aller pour un spectacle mais pour une tournée à travers toutes les régions d’Algérie. Notre souhait est d’y arriver le plus tôt possible. Mais c’est vrai que pour partager l’émotion, il faut déjà que l’esprit soit disponible, et serein.

Revenons à Berbère TV. La chaîne a-t-elle eu son accréditation en Algérie ?

Oui tout à fait, depuis un an maintenant. Grâce à M. Djiar, et le travail a été accompli avec les autorités. Et les choses se passent admirablement bien, et je me félicite de cela. Les échanges que nous partageons avec les autorités sont à accréditer de très bons rapports, et Berbère TV jouit d’un bon accueil à tous les niveaux de l’Etat algérien. D’ailleurs je compte bien présenter le livre sur l’équipe de football du FLN au ministre algérien de la Jeunesse et des Sports, car il s’agit de l’histoire de l’Algérie, et je souhaite que les autorités partagent avec nous cet évènement.

Berbère TV reste toutefois une chaîne de télévision de droit français. Plus profondément vous la considérez une chaîne algérienne française, ou plutôt une française algérienne ?

Disons que c’est une chaîne qui a pour vocation de créer, et nouer des liens entre les familles de là bas, et d’ici. C’est une chaîne qui pourra consolider les liens entre deux rives condamnées par l’histoire, et la géographie à cohabiter. C’est aussi une chaîne qui assure un environnement qui garantira un meilleur épanouissement aux familles installées ici en France. ça leur permet de sentir qu’ils vivent ici aussi chez eux. C’est une chaîne qui crée des liens et contribue à faire épanouir l’activité humanitaire.

A parler de l’humanitaire, vous en gardez certainement un bon souvenir de la vague de solidarité qui a été créée autour de Berbère TV à un certain moment crucial de sa vie, il y a de cela quelques années. Peut-être un commentaire sur le sujet ?

Effectivement, à un certain moment, la chaîne a fait face à de grandes difficultés. On n’avait pas prévu le piratage massif auquel elle a été confrontée. Dans mon esprit, l’opération devait être circonscrits à une certaine partie mais malheureusement ça n’a pas été le cas, et cela a induit la chaîne à de grandes difficultés financières. Et là je ne peux pas oublier cette réaction extraordinaire de la population qui s’est mobilisée pour soutenir la chaîne. Et à ce sujet j’ai une anecdote que je n’oublierai jamais de ma vie. Car le geste m’a vraiment aidé à tenir et à rebondir. C’est l’histoire d’une carte postale qui m’est parvenue d’une jeune fille du prénom de Karima, qui avait à l’époque 12 ans. C’est tout ce que je sais d’elle. Elle m’avait écrit qu’elle souffrait beaucoup d’avoir entendu des hommes dire sur la place publique de son village que  » Berbère TV allait disparaître « . Elle m’avait aussi écrit qu’elle ne pourrait pas tolérer que le son, et les images de certains présentateurs de la chaîne allaient disparaître de l’écran. Elle refusait d’accepter qu’il y ait cet échec. Elle raconte qu’elle a fait une chose extraordinaire pour aider comme elle pouvait. Elle demandait chaque jour à son père dix dinars pour acheter du Coca-Cola qu’elle n’achetait jamais en fait. Elle a réuni les dinars qu’elle avait pu prendre à son père, et elle les a mis dans l’enveloppe de la carte qu’elle nous a envoyée. C’est magique, extraordinaire, franchement, je ne trouve pas encore les mots pour qualifier un tel geste. Pour elle c’était sans doute le prix de la liberté à payer. C’est une carte qui me permet d’avoir à chaque fois une bonne raison pour tenir, et aller de l’avant. C’est plus qu’une signification pour moi. C’est le cordon ombilical qui m’a toujours nourri à chaque fois que j’en ai éprouvé le besoin. Berbère TV, c’est autant d’espoir qu’il faut continuer à nourrir. C’est ce que font nos abonnés. Nous les remercions pour la confiance qu’ils renouvellent à la chaîne à chaque fois.

Le présent se conjugue mieux pour Berbère TV. Une note d’un meilleur espoir pour clore cet entretien ?

Aujourd’hui, la chaîne se porte mieux grâce à son réseau de distribution ici en France, surtout les réseau câblés et ADSL. Nos abonnés nous permettent d’avoir des revenus réguliers et qui nous donnent l’opportunité d’intensifier la chaîne, et d’aller encore plus loin. A partir du mois de mars, elle sera sur Orange. Elle fera sa rentrée sur SFR aussi. Notre souhait aussi c’est qu’elle atteigne les Etats-Unis d’Amérique. Nous sommes en discussions. A côté de ça, on a prévu de se fixer des challenges, des montagnes à franchir : On est en train d’étudier la nécessité de nous adresser directement à la jeunesse, beaucoup plus directement à ceux qui sont en phase avec le présent. Il y a aussi cette nécessité de procéder à la segmentation de l’offre télévisuelle pour éviter qu’une partie de la population n’aille chercher ailleurs ce que vous ne lui donnez pas. C’est-à-dire qu’avec l’installation et le développement de la chaîne généraliste BRTV qui est devenue un vrai média au service du public, à côté d’elle, on prévoit le lancement, d’ici à septembre 2008, d’un bouquet composé de trois chaînes : Berbère TV, la chaîne 1ère, une autre chaîne pour enfants qui s’appellera Berbère jeunesse, et une troisième chaîne de musique celle-là. Ce bouquet sera dans un premier temps sur le réseau câblé, et par la suite sur le satellite.

Ça sera des chaînes qui émettront aussi en Berbère ?

Mais bien sûr. Car ce qu’il ne faut jamais oublier c’est que Berbère TV est une télévision au service de la langue berbère. Le vecteur principal pour lequel cette chaîne a été créée, c’est pour protéger, sauvegarder, et participer à la pérennité de cette langue. Il n’y a aucune autre intention derrière. C’est une chaîne éminemment culturelle. A côté de cela, nous pouvons faire du divertissement, de l’information, de l’amusement. Mais il faut toujours garder des contacts avec ses racines pour pouvoir se mouvoir équilibré dans le monde auquel nous appartenons. Quelqu’un qui vit une rupture avec ses racines ne pourra pas affronter l’avenir.

D.C.

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