Dans son panel d’épreuves comprenant plus d’une centaine de questions adressées à l’Algérie, l’Organisation mondiale du commerce met en bonne place la nécessité de la libéralisation du champ audiovisuel national pour que notre pays puisse prétendre à faire son entrée dans cette organisation qui se charge de faire sauter les verrous douaniers dans le cadre de la mondialisation des échanges. Les réponses de l’Algérie devraient être transmises avant le mois de juin prochain.
L’ancien ministre de l’Information, Hachemi Djiar, et le directeur général de l’ENRS, Azeddine Mihoubi, ont insisté, à la fin 2006, sur la nécessité d’accorder une importance accrue à la radio, un des plus vieux médias des temps modernes, remettant sur le tapis la nature et la valeur d’un moyen de communication qui a eu ses heures de gloire pendant plus d’un demi-siècle et qui continue à jouer un rôle primordial dans les pays occidentaux malgré la fascinante offensive des télévisions satellitaires et des technologies multimédia. Mieux, ces derniers assurent désormais, via la toile de l’Internet et du terminal numérique, la diffusion des chaînes de radio à travers toute la planète. Actuellement, même une catégorie de téléphones portables sont dotés de l’option radio, ce qui permet de miniaturiser le récepteur et de combiner plusieurs fonction utilitaires dans un même outil. C’est paradoxalement dans les pays du tiers-monde, à l’image de l’Algérie, que ce moyen d’information, de culture et de divertissement a perdu du terrain face à l’hégémonie de la télévision. L’expérience des radios régionales (El Hidhab, Mitidja, Soummam, El Bahia, Aurès,…) devrait, selon les autorités en charge de ce secteur, s’étendre pour toucher les 48 wilayas d’Algérie. En tout cas, les premiers bilans, en matière d’audimat et de soutien de proximité à la vie publique, sont encourageants, particulièrement pour Radio Soummam (Béjaïa) et Radio El Hidhab. (Sétif).
Les avatars d’un média monopole de l’Etat
Pour le cas de la Kabylie, la chaîne II, radio publique s’exprimant en kabyle, était soumise aux canons liberticides de la dictature et reproduisait le discours des maîtres de l’heure dans une mixture d’arabo-islamisme désuet, de socialisme de caserne et de langue de bois. Ceux qui, à l’intérieur de cette machine de propagande, ont résisté par leur intelligence, leur loyauté et leur engagement (Ben Mohamed, Oumaziz, Benhanafi, Hadjira,Boukhalfa,…), ont inscrit leurs noms en lettres d’or dans le sillage du réveil culturel en Kabylie. Le média le plus prégnant, la Télévision, était et demeure à mille lieues des préoccupations des populations.
A l’exception de Radio-Soummam, la fièvre des radios locales publiques n’a pas touché la Kabylie. Tizi Ouzou, Bouira et Boumerdès n’en disposent pas, alors que plus d’une dizaine de wilayas en sont dotées. Or, la ville de Tizi Ouzou dispose d’une ancienne infrastructure radio datant du début des années 60 et que le ministère de la Culture avait, il y a une dizaine d’année, projeté de réhabiliter. Un mirage de plus dans la grisaille nationale. L’année passée, le projet a été déterré par le ministère le temps d’une hallucination que les médias ont répercuté pendant quelques jours.
Par rapport à certains pays africains (comme le Sénégal) et maghrébins (le Maroc), l’Algérie est en retard dans le domaine de l’investissement de la Radio. La législation de notre pays-contrairement à la brèche qu’elle a ouverte dans le mode de la presse écrite-, reste encore frileuse à l’ouverture sur l’investissement privé dans l’audiovisuel et demeure prisonnière des schémas classiques d’une information monopolisée par le pouvoir politique en place.
Le monopole sur les médias audiovisuels est un honteux stigmate de la pensée unique et du jdanovisme culturel. Honteuse aussi est cette solution fatale à laquelle son réduits des Algériens séduits par l’investissement dans ce secteur- ou de brillants journalistes ayant été écrasés par la machine infernale de l’ENTV- de tenter leur chance sous d’autres cieux. Seule l’ouverture de ce secteur à l’initiative privée pourra faire connaître le génie du peuple et la culture authentique du pays tout en jetant les premiers jalons d’une véritable culture démocratique.
En France, le boom des radios libres- ainsi que la montée en flèche du mouvement associatif-qui a accompagné l’accession des socialistes au pouvoir en mai 1981 est considéré comme une véritable révolution dans un pays pourtant ouvert depuis les années 1940 à la radio privée..
Dans notre pays, les trois chaînes de radio, regroupées dans un organisme public, l’ENRS, constituent un héritage de l’ancienne antenne de l’ORTF de Radio Alger. Pendant la révolution armée, la radio “Saout El Arab” qui émettait à partir du Caire a joué un rôle majeur dans la sensibilisation et la mobilisation des Algériens face à la machine de propagande française. La voix de Aïssa Messaoudi qui y officiait magistralement reste toujours vivace dans les oreilles des Algériens qui ont vécu cette période cruciale de la vie de la Nation.
De même, avant l’apparition des grands moyens audiovisuels, la guerre psychologique que se livraient les blocs de l’Est et de l’Ouest était en grande partie soutenue par la guerre des ondes. “La Voix de l’Amérique” et la BBC ont eu une part de responsabilité non négligeable dans la destruction morale et psychologique du bloc socialiste. A l’échelle maghrébine, l’on se souvient du travail de sape auquel s’est livré Radio-Tanger (Maroc) en direction de l’Algérie lors de la montée des périls au Sahara Occidental. Des émissions spéciales étaient conçues en arabe, en français et en kabyle pour monter une “opposition” au régime de Boumediene. L’Algérie eut comme riposte une émission intitulée “Le Maghreb des peuples” diffusée par la radio Chaîne I. Radio Tanger, qui a évolué par le contenu et la technologie, a pris le nom de Médi 1. Cette radio, vient de se prolonger par sa propre chaîne de télévision transmise par le satellite Hotbird. Un autre exemple du pouvoir de la Radio dans certaines communautés est celui, récent puisqu’il survient en 1994, de la Radio des “Mille Collines” au Ruanda. Le racisme et l’esprit belliqueux que cette radio a nourris entre les communautés Hutus et Tutsis- et qui fut à l’origine de centaines de milliers de morts- dépasserait un appel au meurtre diffusé aujourd’hui par la Télévision
Et, chose que l’on ne doit pas oublier- mais que beaucoup de gens ignorent pourtant-, la floraison de l’actuelle chaîne de télévision “El Djazeera” est due principalement à l’expérience professionnelle – en communication et en management – de son staff qui a fait l’école de la radio BBC de Londres. Même l’ancienne coqueluche de l’ENTV, Khadidja Benguena, avant d’atterrir à
“El Djazeera”, avait d’abord affûté ses armes à la Radio suisse.
Média de proximité par excellence- en raison surtout de la commodité de manipulation de son récepteur qui garnit même les véhicules, la Radio rend des services inestimables à la communauté aussi bien dans la vie pratique de tous les jours (conseils juridiques, médicaux ; météo, état des routes, publicité utilitaire,…) que dans le domaine de la culture générale et de l’information. Au cours des inondations de Bab El Oued de novembre 2003, beaucoup d’automobilistes interrogés par la Radio ont reproché à… la Radio de ne pas avoir fait correctement son travail d’information pendant la fatidique matinée qui a vu des centaines de personnes ensevelies sous la boue. A ce moment-là, la radio El Behdja était allumée dans la plupart des véhicules personnels et même dans les bus de transport des travailleurs. Un conseil ou un avertissement sur l’état de la route de Frais Vallon aurait pu sauver des vies humaines.
Le transistor refuse de rentrer au musée
Pour une grande partie de la jeunesse de notre pays, happée par le courant des nouvelles technologies de l’information et de la communication la Radio relèverait d’un inventaire de musée au sens propre et au sens figuré : c’est-à-dire en tant qu’objet matériel et en tant que moyen de communication. Ce ne serait pas une révélation ahurissante lorsqu’on sait à quel point notre société, dans une infernale course à la consommation médiatique, a perdu les repères qui auraient permis un accès progressif et harmonieux aux différents moyens de communication. Tous les ingrédients d’une vaine boulimie médiatique, orientée vers les dernières technologies en la matière sont, sont réunis : une école déclassée même à l’échelle du Maghreb et un paysage audiovisuel monopolistique fermé à la création et en déphasage total avec la société et le monde moderne. L’acquisition frénétique et l’usage d’ailleurs très superficiel de ces moyens technologiques relèvent plutôt du snobisme et de l’apparat que d’un souci de saine instruction ou de noble divertissement. À ce niveau de réflexion, le contraste avec les pays avancés et même avec certains pays du tiers-monde est frappant : une part importante de la nouvelle technologie est mise au service de la radio pour en faciliter l’accès au plus grand nombre, en augmenter les performances techniques et l’aire de diffusion et, enfin, combiner les avantages de la radio avec les autres outils ou options technologiques.
Dans la plupart des pays européens, la radio continue à faire partie intégrante du paysage culturel, à animer la vie publique (économie, services, publicités, politique,…). L’audience des stations de radio ne cesse d’augmenter et la fidélité des auditeurs ne cesse de se confirmer. Pour preuve, la santé financière des stations privées est des plus stables, voire même florissantes pour certaines d’entre elles qui d’importantes recettes publicitaires. Ensuite, au-delà de la médiamétrie qui s’exprime en statistiques, d’autres signes ‘’extérieurs’’ de bonne santé et de stabilité de ces stations sont visibles à l’œil nu. Le port du récepteur radio par les voyageurs et travailleurs qui se déplacent dans les transports publics et par les automobilistes est un phénomène qui ne se dément pas. Il y a aussi, phénomène de société qui n’est pas touché par l’usure du temps, la participation du public aux émissions Radio. L’émission de Macha Béranger Confidences de nuit sur France Inter a duré 25 ans. Son interruption par la direction de la radio en septembre dernier a provoqué la tristesse et soulevé la colère de dizaines de milliers d’auditeurs qui ont tenu à s’exprimer sur Internet, dans les journaux et, bien sûr, à… la Radio. Depuis l’Appel du 18 juin 1940 lancé par le général de Gaulle sur les ondes de la BBC où il appelait à la résistance contre l’hitlérisme, et la diffusion “osée” par la station Europe 1 de la chanson Le Déserteur de Boris Vian au début des années 50 — alors qu’elle était frappée d’interdiction —, la classe intellectuelle européenne de l’après-guerre a fini par assimiler la Radio à un formidable moyen de libération.
Heures de gloire et nouvelles perspectives
Chez nous, dans la littérature algérienne des années 50, les informations de la Radio ont trouvé un terrain d’expression dans le Journal de Mouloud Feraoun (1955-1962). Beaucoup de témoignages, de faits et événements consignés dans ce livre ont eu pour source la Radio, en plus des nouvelles tirées dans la presse écrite et des événements que l’auteur a vécus ou auxquels il a assisté directement.
A l’époque, l’Algérie coloniale était rattachée, dans le domaine de la Radio, à la RTF, puis au nouvel organisme qui a pris le nom d’ORTF (Office de la radio et de la télévision françaises) avec des studios à Alger.
Malgré cette dépendance vis-à-vis de la Métropole et les pressions qui en résultèrent sur les activités des producteurs et hommes de culture algériens ayant eu affaire à ce média en plein essor, plusieurs émissions culturelles, chansons et pièces de théâtre faisant connaître la culture et la société algériennes étaient diffusées sur les ondes de la Radio. Bachtarzi, Mohamed Touri, Cheikh Nordine et d’autres artistes de grand nom se sont produits à cette époque dans les salons de la Radio et ont donné la pleine mesure de leur talent.
La romancière Taos Amrouche s’était fait connaître sur les ondes par ses émissions sur le patrimoine culturel et le statut de la femme. Son frère, Jean Amrouche, s’était imposé par ses émissions philosophiques et de critique littéraire en invitant dans les studios de la Radio des écrivains et penseurs célèbres comme Paul Claudel, François Mauriac et André Gide. L’enregistrement sur disques et la transcription de ces entretiens dans des revues comme la NRF constituent aujourd’hui des références littéraires indéniables pour ce qui est de la production littéraire du milieu du XXe siècle.
C’est aussi à cette période que des noms comme El Boudali Safir, spécialiste de la musique algérienne, se sont imposés par la Radio.
A l’Indépendance, l’Algérie a hérité des infrastructures coloniales qui comprenaient aussi des studios régionaux comme ceux de Radio Batna et Radio Tizi Ouzou, qui ne tardèrent pas à être fermés quelques années après dans le sillage de la nouvelle politique de la monopolisation de tous les pouvoirs par le Parti-Etat. Les trois chaînes de la Radio publique ont essayé tant bien que mal, sous l’empire de la pensée unique, de maintenir la flamme et la passion pour ce merveilleux moyen et ce, grâce à quelques animateurs amoureux des ondes et du travail de la Radio. Sur ce plan, le travail accompli par Leïla Boutaleb, Jean Sénac, Djamal Amrani, Cherif Kheddam, Cheikh Nordine, Benmohamed est d’une ampleur qui relève presque d’un défi lancé à la médiocrité et à la pensée unique.
Nonobstant un environnement peu favorable à la nouvelle éclosion de ce média fétiche, des signes d’optimisme commencent à poindre à l’horizon. D’abord par le nouvel intérêt que les auditeurs accordent à la radio- et particulièrement aux stations régionales- en sa qualité de premier média de proximité en Algérie.
Les appels téléphoniques des auditeurs et leur participation aux différentes émissions culturelles, ludiques et sociales en est une preuve.
En second lieu, par la nouvelle politique du département de l’Information qui tend à mailler, à court terme, le territoire national de Radios régionales. Reste cette frilosité des pouvoirs publics à ouvrir le pays à l’investissement privé dans le domaine de l’audiovisuel. La marche de la société vers le progrès et les exigences de la citoyenneté imposeront, tôt ou tard, leurs médias et leur culture dans une nouvelle optique managériale qui ne pourra souffrir ni entraves ni injonctions.
Amar Naït Messaoud