» Avril 80 est la matrice coucheuse de l’Algérie qui avance  »

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De l’Académie berbère à nos jours, Dda Said ne ménage aucun effort pour inscrire son combat dans la durée. Il a été de tous les combats et il promet de l’être jusqu’au dernier souffle de sa vie. Témoin et acteur, il nous relate dans cet entretien ses 40 ans de lutte, ses aspirations et le regard d’un militant engagé sur quatre décennies de lutte pour la reconnaissance de la langue et culture amazighes.

La Dépêche de Kabylie : Vous vous êtes engagés dans le combat identitaire depuis la fin des années 60, quel bilan tirez-vous de ces 40 ans de lutte ?

Dda Said Laïmechi : Je suis issu d’une famille révolutionnaire dont le père est tombé au champ d’honneur le 29 janvier 1960. Je n’ai fait que poursuivre son combat pour une Algérie libre, plurielle et digne de son identité plusieurs fois millénaires.

Je ne cesserai jamais de rendre hommage à l’Académie berbère (Agraw imazighen) qui avait imprégné à la jeunesse kabyle des années 70 la fierté d’appartenir à la race des hommes libres : Imazighen. Qu’on le veuille ou pas, elle est à l’origine de l’éveil identitaire qui a préludé le Printemps berbère de 1980.

De ces 40 ans de lutte incessante pour Tamazight et la démocratie, je tire trois enseignements, à savoir ; aucun peuple n’est dupe. Ceux qui instrumentalisent une cause juste à des fins qui ne sont pas les siennes finiront toujours par se discréditer et perdre leur fief naturel. Aucune revendication ne peut aboutir sans union. Un adage serbe disait, à ce propos;  » si tu ne veux pas avoir ton frère pour ami, tu auras ton ennemi pour un prince « . Par ailleurs, cet adage est à méditer. Enfin, on peut accorder tous les statuts du monde à une langue mais rien ne vaut un Etat qui la consacre comme la première langue d’enseignement, de travail et de communication…

Vous êtes témoin de tous les mouvements qu’a connus la Kabylie, voulez-vous nous relater succinctement ces mouvements ?

– Je suis témoin de tous les affres et dénis qu’a subis la Kabylie depuis l’Indépendance confisquée. La guerre du FFS entre 1963 et 1965, m’a infiniment marqué en tant qu’enfant de chahid. J’ai vu comment le régime de Ben Bella avait humilié les veuves de ceux qui ont libéré le pays. Sa haine des Kabyles et son animosité à leur égard sont indescriptibles. Je reste indigné et écœuré par la décision du Conseil scientifique de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, qui lui a décerné, et en cachette, le doctorat Honoris de causa. Cela constitue une énième insulte à la région. Elle dévoile le caractère raciste du pouvoir central à l’égard de notre peuple. La Kabylie qui a enfanté l’Algérie indépendante s’est retrouvée sous une nouvelle colonisation qui ne dit pas son nom.

De l’Académie berbère au MAK, j’ai participé à toutes les luttes kabyles visant à démocratiser l’Algérie et la réconcilier avec elle-même.

J’ai rejoint Agraw Imazighen dès le début des années 70, sous la terreur du régime de Boumediene. J’avais été plusieurs fois interpellé par les services de répression de l’époque. Ma première interpellation remonte à la Fête des cerises en 1974 à Larvâa Nat Yiraten, où une contestation populaire s’était enclenchée pour défendre l’honneur de la Kabylie qui avait vu ses artistes remplacés par des chanteurs arabophones. Ma deuxième interpellation remonte à l’année 1976, suite à ce qu’on appelait communément :  » l’affaire des poseurs de bombes « .

Ni la dictature du régime en place, ni les injustices sociales n’avaient pu altérer mon militantisme pour la cause amazighe d’où ma participation active aux événements du Printemps amazigh de 1980, qui est la matrice coucheuse de l’Algérie qui avance.

1984 fut l’année de la création de la 1ère association des enfants de chouhada de la wilaya III, dénommée : Tighri. Nous avions vaincu la peur pour honorer la mémoire de nos parents dont le sacrifice est trahi par les gouvernants. Notre objectif était de faire adhérer d’autres régions du pays au combat démocratique. Nous avion réussi à élargir notre mouvement aux wilayas d’Alger et celle de Chlef, où des associations similaires à la nôtre avaient été mises sur pieds sur la base de nos statuts. La réponse du régime en place était le mépris et l’interdit. Les autorités avaient refusé d’accuser réception du dépôt des dossiers de nos associations respectives.

Plusieurs de nos membres ont été arrêtés le 5 juillet 1985 pour avoir empêché les officiels de se rendre au carré des martyrs à M’douha.

Bien qu’ils soient souvent instrumentalisés par les pouvoirs successifs, notre mouvement avait permis aux enfants de chouhada de se constituer en force d’opposition qui avait participé à la création de la 1ère Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, (LADDH).

L’ouverture démocratique n’avait pas tenu ses promesses. La négation du fait amazigh par le régime de Chadli conjugué à son rejet par nos compatriotes arabophones a fait que le rêve démocratique s’est vite dissipé : c’était le retour à la case de départ. Cet état de fait nous avait fait prendre conscience de la nécessité de radicaliser le mouvement face à un pouvoir fragilisé par le terrorisme islamiste. C’est ainsi que Ferhat Mehenni, auquel je rends hommage au passage, avait lancé le boycott de l’année scolaire 1994-1995. Cette action unique dans l’Histoire de l’humanité avait eu le mérite de poser les jalons d’une reconnaissance officielle de la langue et identité amazighes. Nos enfants avaient sacrifié une année de leur scolarité pour réparer une injustice qui n’a que trop duré. L’histoire inscrira leurs noms en lettre d’or.

Le  » Printemps noir  » est venu pour nous révéler nos erreurs stratégiques. La Kabylie a été réprimée dans le sang au vu et au su de tous les Algériens. Cette indifférence et absence de solidarité nous ont éveillé sur l’impératif de changer de cap. Notre région est condamnée à prendre son destin en main à travers un statut spécifique. Cette idée qui a germé dans l’Académie berbère ne m’a pas laissé indifférent. J’ai rejoint le MAK dès sa création le 5 juin 2001. Mon engagement pour ce noble combat est en parfaite harmonie avec mes aspirations à un avenir kabyle digne des sacrifices des martyrs du  » Printemps noir  » qui font notre fierté.

Racontez-nous un peu la mobilisation et la solidarité exprimées avec les détenus et leurs familles pendant le mouvement ?

– A l’arrestation des membres fondateurs de la 1ère Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme en 1985, nous avions crée un comité de coordination composé du MCB, l’Association des enfants de chouhada  » Tighri  » et l’UMA de Tizi Ouzou (Union médicale algérienne). L’esprit de rassemblement avait pris le dessus devant nos divergences d’opinion. Nous avions fait preuve d’un grand sens de responsabilité au service de nos frères emprisonnés. Notre action s’articulait autour de 3 points :

-Sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale sur ces arrestations et la condition dans laquelle vivaient les détenus.

-On collectait de l’argent pour subvenir aux besoins de leurs familles et enfin notre action consistait à les soutenir psychologiquement avec notamment les visites aux prisons de Berouaguia, Ksar El Boukhari, Médéa puis Lambèse après le procès historique du 15 au 19 décembre 1985. Je me rappelle qu’Ameziane Mehenni (fils de Ferhat Imazighen Imoula) assassiné en 2004, nous accompagnait malgré son jeune âge. Il avait commencé à militer dès son enfance.  » Tel père, tel fils  » dirai-je. Je m’incline devant sa mémoire et je dirai aussi que nous devons perpétuer et honorer son combat.

Notre mobilisation avait dépassé les frontières de l’Algérie. A cet effet, j’avais été envoyé en France pour remettre au Comité de soutien aux détenus la revue :  » Spécial Tafsut  » et la liste de nos prisonniers politiques.

J’avais participé, aussi à la préparation du rassemblement qui avait eu lieu le 1er novembre 1985 à Paris à la place de  » Trocadéro « , afin d’alerter les instances et la communauté internationale en faveur de la libération de nos frères de combat.

A mon retour, j’ai été suspendu de mon travail avant d’être arrêté et condamné à trois mois de prison ferme en 1986. C’était le prix à payer pour mon engagement militant.

Plus d’un demi-siècle de lutte, tamazight a-t-elle aujourd’hui la place qui lui sied ?

Le Printemps noir a rattrapé ce qui a été raté durant le boycott scolaire à cause des luttes partisanes. Tamazight est reconnue comme langue nationale. Cependant, cette constitutionalisation n’est que de la poudre aux yeux. Le pouvoir s’est accaparé de l’amazighité pour mieux la juguler et la stériliser au profit de la langue arabe. Il a mis tous les moyens pour nous déraciner. L’arabisation bat son plein à travers l’école, les médias et les mosquées.  » Alger, capitale de la culture arabe « , les deux festivals arabo-africains de la danse à Tizi Ouzou, reflètent la volonté politique de Bouteflika et sa clientèle d’humilier les Amazighs en général et les Kabyles en particulier.

Face à un régime qui se nourrit du racisme anti-kabyle pour se perpétuer, aucune reconnaissance ne peut rendre justice à notre langue.

L’éradication de l’apartheid identitaire, linguistique et culturel passe impérativement par l’instauration d’un Etat régional kabyle qui servira d’exemple pour les autres Amazighs.

Propos recueillis par Mohamed Mouloudj

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