Quelques figures intellectuelles de la mouvance berbère

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Jean El Mouhouv Amrouche

Le génie précurseur

Il fait partie de ceux qui, avec sa sœur Taos, ont préparé le terrain à la prise de conscience berbère qui se produira d’une façon fulgurante dans les années 70 et 80. Né en 1906 à Ighil Ali (Béjaïa), il meurt le 16 avril 1962, soit près d’un mois après l’indépendance.

Écrivain francophone accompli, Jean Amrouche parle de ‘’monstres culturels’’ pour définir sa condition double d’héritier de la culture kabyle et d’intellectuel français, de religion chrétienne et de famille élargie musulmane, de créateur qui tient à la fois de l’art poétique berbère et de la littérature internationale, comme le rappelle l’analyste Daniela Merolla.

Mais, comme il l’avouera plus tard, il ne sait pleurer qu’en berbère. C’est la langue des intimes profondeurs et de l’insondable moi. C’est pourquoi il a eu une oreille attentive aux légendes, poésies et récits que lui a transmises, de façon naturelle et spontanée, sa mère, Fadhma Ath Mansour Amrouche. Sur ce plan, Jean El Mouhouv constituera le complément incontournable de sa sœur, Taous.

Ses ‘’Chants berbères de Kabylie’’ (1939) constitue l’une des premières entreprises de la réhabilitation de la culture orale. Il inspirera beaucoup d’autres écrivains pour rechercher à leur tour des pans de culture ensevelis sous la patine des siècles.

Ces Chants recueillis de sa mère matérialisent quelque part ce lien filial, affectueux avec la mère considérée comme un des maillons de la longue chaîne des aèdes de Kabylie. ‘’Je ne saurai pas dire le pouvoir d’ébranlement de sa voix, sa vertu d’incantation’’, dit-il à propos de Fadhma Ath Mansour. Il ajoute : ‘’Mais, avant que j’eusse distingué dans ces chants la voix d’un peuple d’ombres et de vivants, la voix d’une terre et d’un ciel, ils étaient pour moi le mode d’expression singulier, la langue personnelle de ma mère’’.

Poésie souvent anonyme, dite dans des circonstances particulières de la vie dure et austère des habitants de Kabylie, ces Chants ont pu trouver le creuset fertile dans la sensibilité et la plume de Jean El Mouhoub qui en a fait un bréviaire précieux en traduction française.

 » (Ma mère) chante à peine pour elle-même ; elle chante surtout pour endormir et raviver perpétuellement une douleur d’autant plus douce qu’elle est sans remède, intimement unie au rythme des gorgées de mort qu’elle aspire. C’est la voix de ma mère, me direz-vous, et il est naturel que j’en sois obsédé et qu’elle éveille en moi les échos assoupis de mon enfance, ou les interminables semaines durant lesquelles nous nous heurtions quotidiennement à l’absence, à l’exil, ou à la mort « , avoue Jean El Mouhoub.

En introduction à la réédition de ‘’Chants berbères de Kabylie’’ dans ses deux versions kabyle et française, Tassadit Yacine écrit :  » Publier donc la version originale de ces textes, c’est à coup sûr réaliser le vœu profond du poète, de celle qui les lui a dictés et, par-delà eux, celui des hommes et des femmes pour qui ces musiques et ces rythmes sonnent comme l’écho des voix profondes sans lesquelles ils ne seraient pas ce qu’ils sont ».

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