La sagesse et la perspicacité au service d’une cause

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Des premières chansons sociales, dont le texte est parfois pris de Si Mohand U M’hand, aux textes très élaborés d’inspiration philosophique, en passant par les chansons d’amour qui ont fait vibrer la jeunesse des années 70 et les poèmes d’engagement politique, un fil conducteur noue ses épissures tout au long de cette œuvre unique dans la poésie kabyle moderne. Faute de pouvoir le désigner autrement, ce fil sera désigné tout simplement ‘’la magie de l ‘’asefru’’. C’est le grand Jean El Mouhouv Amrouche qui donne une définition à la fois simple et chargée de sens de ce qu’est le poète. Il disait :  » Le poète est celui qui a le don d’asefru « . On sait ce que ce terme représente dans la culture kabyle : le verbe issefruy signifie à la fois expliquer, expliciter, rendre intelligible, dénouer l’énigme.

Les pièces poétiques d’Aït Menguellet deviennent de plus en plus élaborées par le recours à l’abstraction. Cette dernière met en scène les cas les plus généraux qui puissent se poser à l’homme où qu’il soit. Cette forme de paradigme d’accès à l’universalité n’exonère nullement le texte des repères et indices de l’algérianité et de la kabylité qui d’ailleurs lui servent de soubassement premier.

Après les poèmes qui disent le désenchantements et la désillusion qui ont succédé à la guerre de Libération (par exemple Amjahed, Ayagu), ‘’Amacahu’’ (1982), tout en continuant à développer cette thématique, amorce une aventure intellectuelle qui se poursuit avec un égal bonheur jusqu’à la dernière production ‘’Yennad Umghar’’(2005). Cela ne signifie guère que les œuvres telles que ‘’Al Musiw’’ ou ‘’Ayagu’’ aient manqué de pertinence ou de profondeur. Ces deux albums porteurs de sens et de puissance ont une place privilégiée dans l’histoire de la poésie kabyle du fait que le premier a précédé le soulèvement de la Kabylie en avril 1980- il en donne même les premiers signes et a joué un grand rôle dans l’éveil de la conscience politique et identitaire-, et le second a succédé à cet important événement et en il exprime les désenchantements et les espoirs.

Quatre ans après avril 1980, Aït Menguellet scrute d’un œil critique, acerbe, voire même pessimiste, les horizons des principales revendications de la Kabylie. Avec ‘’Ayaqbaïli’’, il exprime la grande désillusion de la population devant un mouvement qui, tout en ayant arraché le droit à l’expression publique de l’identité berbère, demeure aux yeux de tous inabouti.

Ayant pris de la clairvoyance et du monde désillusionné de Si Mohand U M’hand les éléments les plus saillants, s’étant inspiré de certains penseurs universels- comme Machiavel et Ibn Khaldoun- qui désignent pour nous les raisons et les mécanismes des troubles de l’humanité, du goût de domination et des motivation de la tyrannie des hommes, Aït Menguellet demeure néanmoins cet observateur averti qui fait de son village de montagne ce ‘’microcosme’’ à partir duquel il ‘’lit’’ les grands enjeux et les multiples défis qui se posent à l’homme.

Avec un esprit d’humilité et de modestie- que nous retrouvons chez tous ceux qui savent que, face au néant et devant la vanité du monde, nous ne savons rien-, il n’a pas eu toujours eu l’heur d’être compris. ‘’Si je me suis trompé de chemin, je ne suis, après tout, qu’un être humain ; peut-être ai-je mal soupesé’’, lance-t-il à un frère à qui il a voulu exprimer la responsabilité de tous dans une faillite générale.

Le verbe de Lounis Aït Menguellet peut légitimement être considéré comme celui d’un intellectuel d’un nouveau genre : à la sapience traditionnelle kabyle, il a ajouté et greffé l’apport de la culture universelle avec une harmonie qui élève le tout au rang de littérature originale. Et c’est à ce titre que ses pièces poétiques peuvent prétendre dignement à l’enseignement dans nos classes.

Depuis l’expression de la fougue amoureuse et les tabous entourant ce sujet au cours du début des années 70 jusqu’à la réflexion sur le sort de l’humanité et le sentiment de l’absurde dans son dernier album, en passant par la chanson sociale et politique, notre poète a voulu dire l’homme dans toute sa dimension, sa nudité, ses angoisses, ses illusions et ses espoirs.

A.N.M

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