Il aura suffit d’une interdiction d’une conférence, goutte qui fera déborder le vase, à l’illustre et infatigable militant qu’était Mouloud Mammeri pour que la mèche s’enflamme. S’ensuivirent, alors, de violentes manifestations en Kabylie auxquelles le pouvoir répondra par une répression féroce ; arrestations, détentions, matraquages après la violation des franchises universitaires au centre universitaire de Tizi-Ouzou qui, de nos jours, porte le nom de celui par qui le changement arriva. Il a inscrit son nom en lettre d’or sur le registre de l’histoire de l’Algérie contemporaine. A l’occasion du vingt-huitième anniversaire de ce que l’on a appelé le Printemps berbère, une halte s’impose d’elle-même : que reste t-il de cette date chargée de symboles pour les différents acteurs de l’époque? Qu’en est-il des générations d’après ? Qu’en savent-t-ils ? Écoutant les uns et les autres : acteurs, témoins et autres.
M. Menniche, collégien en 1980: Rien que d’évoquer la date du 20 Avril 80, son regard plonge dans les méandres de ses souvenirs ; il nous dira : « C’est… (Silence et soupir)…une première porte ouverte sur les libertés, les droits et à l’amazighité en Algérie. C’est comme le 1er-Nov-1954 qui fut le coup de starter pour le combat libérateur du pays, le 20 Avril 80 a libéré les langues et les énergies. C’est une étincelle qui a illuminé la culture, allumé la bougie des droits en Algérie. Il est resté une source intarissable, on ne doit ni l’occulter, ni l’oublier.» M. Djellaoui, enseignant à l’UMMTO : «A l’époque j’était lycéen, c’est une goutte qui a fait déborder le vase, concernant la revendication berbère, qui, depuis 1946 était posé au mouvement nationale…C’est la première pierre angulaire de la culture amazighe. Maintenant, c’est un autre combat sur le terrain pour la création, de la recherche scientifique et la prise en charge de la cause amazighe ; il faut que les institutions du pays lui ouvrent à elle et la consacrent au même titre que la culture arabe.» M. X. âgé d’environ une cinquantaine d’années, actuellement enseignant, accostés, lui et son confrère, déclare : « L’apparition de la date du 20 Avril 80 est une renaissance ; elle a fait bouger les choses, c’est l’explosion d’une envie enfouie depuis longtemps… tant de choses se sont passées depuis. Gardons espoir, même si le résultat est décevant et en deçà de l’espérance des années 80. »
D’a Mohend Ameziane, bibliothécaire à Hesnawa ( UMMTO) : «Ah! Le 20 Avril 80 ;…(visiblement ému, son regard se fige)…je porte encore une séquelle. On a été violentés, matraqués…Mais, les étudiants de l’époque étaient mûrs, courageux…Avec le temps, il y a eu une cassure. Le 20 Avril est la somme des efforts de tout un chacun, c’était comme une décharge de tonnerre qui est venue éclairer les esprits et allumer la lanterne de la culture amazigh longtemps occultée. Les tenants du pouvoir avait compris que c’était le début d’une nouvelle phase…Ils ont compris qu’ils ont échoué une grande bataille. De nos jours beaucoups ont trahis l’idéal pour lequel certains ont tout donné… Mais gardons espoir, tout comme était venue la date du 20 Avril 80, un autre rendez-vous se profile à l’horizon pour que l’accomplissement du combat pour les libertés, la véritable démocratie soit…Amine (Amen).”
Saïd Chemakh, (universitaire) : «Le 20 Avril 80 était le premier rendez-vous de l’affirmation des revendications populaires ; la culture amazighe, la liberté d’expression,… C’est l’échec de l’Etat qui n’a pas su répondre aux attentes du peuple. Certes, il y a eu des acquis mais, plus tard, à travers le Printemps noir, le pouvoir a casser les acquis du printemps berbère. Une frange a joué le jeu des cercles du pouvoir ; cela a desservi la cause amazighe, la Kabylie.
C’est im portant de le souligner, le Printemps berbère de 80 est d’essence pacifique ; on a su préserver cela durant 20 ans… On ne se bat pas pour mourir, c’est pour une vie et un avenir meilleur qu’on milite!!
Nos précédents interlocuteurs ont plus de la quarantaine, universitaire ou pas, à travers leurs propos, on sent une certaine conviction et croyance en un idéal, une animation en leur fond intérieur renseigne sur une dynamique, un élan, un désir de changement. Qu’en est-il des ceux qui sont plus jeunes ? Que savent-il à propos du Printemps berbère?
A l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-ouzou (UMMTO), les comités autonomes à travers le temps ont réussis à sauver un tant soit peu les meubles de l’usure et les vicissitudes du temps qui est passé, après vingt huit ans. Manal, étudiante en 3ème année informatique : « Quoi que je j’était toute petite en 1980, ma mère enseignante, m’en a parlé les années précédentes lorsque j’étais au lycée. Ce qui m’a permis de me documenter sur pas mal de thèmes par la suite, à l’université. Maintenant, à l’université, j’en discute avec mes camarades, j’assiste aux conférences; je comprend même les moindres enjeux, les intrigues politiques ! » Saïd, etudiant au département de langue et culture amazighe, « C’est le Printemps berbère, c’est la révolte contre le pouvoir ; c’est une journée symbolique de l’Amazighité,…
Malika, étudiante à Boumerdès; « Même si je ne n’ai pas beaucoup d’informations, je sais que des événements ont eu lieu en Kabylie,…je ne raterai les pas de cette année, j’ai envie de comprendre ce qui s’est passé dans une partie de mon pays, il y a de cela vingt ans » ; Nedjoua, sa camarade, enchaîne : « C’est en 1980, je sais que cela à eu lieu à Tizi-Ouzou, il paraît que les étudiants ont été massacrés par les CRS à l’UMMTO,… ». Zahia, étudiante en informatique gestion à Boumerdès : « L’état à envoyé des militaires massacrer les étudiants à Tizi-Ouzou ; (ce n’est pas le printemps noir ! Dira-t-elle à son copain qui lui enboite le pas, en faisant allusion au Printemps noir de 2001),…justement, on ne connaît pas vraiment ce que c’est que le printemps berbère. Une amie à elle revendique des conférences dans les régions arabophones pour expliquer aux jeunes c’est quoi les deux Printemps kabyles (berbère et noir »
Mahour, 22 ans ; « C’est le rappel du Printemps berbère, les Kabyles ont activé, il y’a eu des émeutes à Tizi-ouzou. » Sofiane, étudiant et militant d’une association à Boumerdès : « Grosso modo, je sais de quoi il s’agit, j’assiste aux conférences. Je lis les journaux. ça va comme, je me pose des questions… (Rire). Les jeunes dont l’âge est inferieur à trente ans ont tendance à ne pas saisir le pourquoi et le comment du Printemps berbère, cependant, ils ont envie de poser des questions dès qu’ils sont mis sur orbite sur ce thème.
Les jeunes issus des régions arabophones sont demandeurs d’explications, très curieux sur ce qui a trait à la culture amazighe. Le salon du livre qui se tient à Boumerdès, par exemple, a enregistré la visite de plusieurs étudiants qui ne comprennent rien à la langue de Mammeri et de Alliche. Ils reconnaissent Matoub, Takfarinas aux premières notes de musique d’une chanson pour la plupart.
Ahmed Kessi
