Les gavroches des temps modernes

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Cette phrase pleine de sens émane d’une petite fille ne dépassant pas dix ans qui nous accosta à l’entrée principale de l’hôpital Mustapha à la place du 1er Mai, le regard insistant. Que fait une petite fille de son âge ici alors que ses aînées sont sur les bancs de l’école? Non loin de là, un groupe de jeunes gens se partagent un morceau de pain rassis accompagné d’une bouteille de boisson gazeuse.je consulte ma montre,l’heure indique19 h 40. Les gens se précipitent chez eux,et chacun vaque à ses occupations,ignorant ces bambins qui leur collent aux pieds. Les séquelles de leur misère sont visibles sur leurs visages d’innocents,soudain un brin de tristesse envahit tout mon corps en apercevant au loin un homme accompagné de son petit enfant tout maigrichon. ô combien cette réalité qui s’offre à moi est dure à avaler dans un pays comme l’Algérie! Touché dans mon amour propre,je décide de m’adresser à cet individu afin de connaître les raisons qui l’ont poussé à se retrouver dans la rue, livré à lui-même avec un enfant à charge.

Les nuits sont rudes

La nuit ne tarda pas à livrer tous ses secrets. Nous nous approchons de l’homme en question tout en délivrant notre identité. Il semble détendu à côté de son bambin; les commerces du boulevard commencent à baisser leurs rideaux; Alger ressemble désormais à une ville morte.  » C’est comme ça tous les jours, dès 20h, les gens commencent à déserter les rues ». à notre question de savoir les raisons qui l’ont poussé à se retrouver SDF, l’homme nous répond avec un silence et un geste plein de sens. Nous n’en saurons pas plus. Quelques enseignes de magasins allumées donnent un peu de gaieté. Nous quittons la rue Hassiba en direction du front de mer au boulevard Amirouche. Dans les prémices de la nuit, des ombres errant dans la rue, des gamins. Que cherchent-ils ?

Le spectre de la nuit donne des frissons; ici, les agressions sont fréquentes et les nuits sont dures; des personnes dorment à même le sol sur des cartons de fortune. Nous abordons un jeune garçon qui se livre à nous volontiers: « C’est ma deuxième année ici; le jour je vends des bouteilles d’eau minérale aux voyageurs dans les stations de bus, la nuit on se retrouve moi et mes compagnons ici. On essaye de nous introduire à l’intérieur du port, de l’autre côté mais on arrive toujours à nous chopper. » Ces gamins sont tentés par une aventure outre-mer,de préférence l’Espagne puis l’Angleterre; leur moyenne d’âge ne dépasse pas les 14 ans  » Moi, mon but est d’errer la nuit et de trouver une faille afin d’embarquer à l’intérieur des bateaux de marchandises sans toutefois éveiller les soupçons des gardiens. » Autre lieu autre scénario, cette fois-ci nous nous rendons dans un cybercafé, rue Hassiba. Le propriétaire affiche des prix attractifs, 100 DA la nuit blanche de 00 h à 6 h du matin; à l’intérieur de cet immense endroit, des jeunes et des vieux et surtout des gamins de 12, 13 et 14 ans.  » Ils sont des habitués des lieux, ils se connectent ici pour jouer à des jeux vidéo presque quotidiennement, c’est leur seul loisir de la journée; le jour ils travaillent dur c’est moi-même qui leur ai appris. » Vous jouez à quoi ?  » Fifa football, moi je joue avec Barça et lui Real Madrid, c’est mon équipe favorite je gagne souvent « , nous confie Mehdi avec un air heureux. à notre question de savoir s’ils vont à l’école, les deux garçons répondent non avec la tête tout en se concentrant sur leur partie qui semble plus intéressante à leurs yeux que les bancs de l’école. Nous visitons l’autre partie du cyber; là deux ados sont en train de regarder un film. « C’est Spierman III, j’ai regardé les deux premiers épisodes et là c’est mon troisième; j’aime les films d’action, j’aimerais bien être comme lui, » nous dira Rahim, la quinzaine.

Retour dans le quartier (El-Qouas), l’homme et son fils sont toujours là, ils dorment à même le sol. Plus loin, un autre jeune homme dos au mur à côté d’un hammam, l’air absent cette fois c’est lui qui nous accoste, l’air shooté : “S’ils vous plait une pièce j’ai pas mangé depuis deux jours. Nous lui offrons une pièce tout en entamant la discussion: Pourquoi êtes vous dans la rue ?  » C’est la vie, que voulez-vous, j’ai fui mon village à l’est du pays depuis des années le temps où le terrorisme faisait rage et depuis j’ai vécu plusieurs aventures avant de me retrouver dans cet état, » nous dira-t-il le regard vide et hagard, l’homme paraît malade et affaibli, et il ne nous en dira pas plus. Nous le quittons avec un pincement au cœur.

Drogue, violence…

Les jeunes qui se shootent, à l’herbe, aux amphétamines et autres diluants c’est pas ce qui manque. C’est leur passe-temps favori pour oublier leur réalité amère, leur vie bafouée, un train train quotidien difficile à supporter. On aperçoit des jeunes qui sniffent de la colle, un poison aux conséquences désastreuses; ainsi, ils pourront immerger dans des paradis artificiels.

“Si jamais il y a un manque, des bagarres éclatent”, nous dira le propriétaire d’un fast-food, un des rares commerces à baisser le rideau à minuit.  » La drogue c’est leur seul refuge, leur accent n’est pas d’ici, ils sont souvent de l’ouest et de l’est du pays, l’argent amassé le jour est vite dépensé la nuit, je ne sais pas comment ils se le procurent, je leur ai demandé plusieurs fois mais sans résultat « . « D’autres sont exploités, la journée ils volent et la nuit l’argent est remis à leurs bourreaux contre une quantité de cannabis « , nous dira un habitant du quartier.

Ainsi, la ville d’Alger la nuit ressemble à une jungle où la loi du plus fort sévit, des gamins livrés à eux-mêmes, les uns fuguent, les autres sont victimes de la horde criminelle qui fuient leurs bourgades souvent orphelins de père et de mère, pensant trouver une vie meilleure une fois dans cette grande mégapole. Mais hélas, la réalité est tout autre, et ils ont vite fait de déchanter.

Hacene Merbouti

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