Où va l’école algérienne ?

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Le Baron Macaulay

Les notes ayant rendu possible la performance de 56 % de réussite au baccalauréat, cuvée 2008, reflètent-elles un niveau d’enseignement des lycéens qui puisse les insérer sans difficulté dans l’enseignement universitaire ? Ensuite, la question se pose sur le plan de la logistique, de l’intendance et des infrastructures qu’il faut mobiliser pour prendre en charge les nouveaux arrivants sur les campus. La tâche n’est pas de tout repos même si la gageure réside dans l’avenir qui sera réservé à toute cette population universitaire. L’Etat, depuis 2005, n’a pas lésiné sur les moyens. Tous les programmes de développement mis en place depuis cette date (Programmes sectoriels ordinaires, PSCE, programmes Hauts-Plateaux et Sud) comportent un chapitre important afférent au secteur de l’Education. A l’horizon 2009, l’Etat a mis des moyens financiers colossaux pour l’Éducation nationale. En effet, les sommes allouées à ce département sont des plus conséquentes pour le quinquennal qui commence à partir de 2006 et qui s’appuie sur le deuxième Plan présidentiel conçu en 2005 et sur le Programme complémentaire des Hauts-Plateaux adopté par le gouvernement en février 2006. Cela paraît un peu paradoxal au vu du climat peu serein régnant dans ce secteur. En effet, depuis plus de trois ans, il ne se passe pas un semestre sans que les établissements scolaires et les élèves ne soient pris en otage par le climat délétère généré par les revendications socioprofessionnelles du personnel enseignant. Il y a quatre ans de cela, la situation avait atteint un tel degré de gravité que la perspective d’une année blanche se profilait à l’horizon.

Après un semblant d’accalmie, la contestation- certes avec une intensité moindre- continuait sur fond de controverses homériques sur la représentativité syndicale, la gestion des œuvres sociales et le dossier des salaires des travailleurs de l’Éducation. Le Conseil des lycées d’Alger (CLA) évoluera pour devenir une organisation d’envergure nationale, la Fédération des travailleurs de l’Éducation (FNTE) traîne sa réputation d’organisation proche du syndicat officiel et le SATEF continue son avancée autonome dans les wilayas où il est représenté. Aussi bien le corps enseignant que l’opinion publique et les médias, personne n’arrive à comprendre la raideur du ministère de tutelle qui campait sur sa position de ne vouloir dialoguer qu’avec les organisation syndicales agréées. Le principe étant que, face à une situation de blocage qui remet en cause ou compromet la scolarité des enfants, aucune ‘’arrogance’’ ou formalisme juridique ne peuvent servir d’argument, d’autant plus que, sur certains points, le ministère de tutelle pouvait se prévaloir- comme pour les départements de l’Enseignement supérieur et de la Santé qui vivent eux aussi une agitation sociale et des remous cycliques- des “conditionnalités” liées au statut de la Fonction publique. Ce dernier étant applicable à partir de l’année 2007, restent maintenant les textes d’application et l’élaboration des statuts particuliers des différentes catégories de travailleurs de la Fonction publique. Djamal Kharchi, directeur général de la Fonction publique, assurait, dans une déclaration au journal Sawt El Ahrar du 2 juillet dernier, que dix statuts particuliers sont déjà fin prêts et les augmentations salariales y afférentes seront incessamment débloquées. Au-delà des chiffres annoncés à chaque rentrée scolaire par le ministère de l’Éducation–chiffres relatifs au nombre d’enfants scolarisés, aux manuels scolaires et aux quelques “réformes” annuelles touchant le volet pédagogique-, la véritable “arithmétique” se trouve sans doute dans les projets inscrits pour ce département ministériel dans le cadre du Plan de soutien à la croissance. En effet, ce sont pas moins de 200 milliards de dinars qui seront consacrés à ce méga-secteur (Éducation et Formation professionnelle), soit environ 12,4% du montant du Plan. On compte des projets portant sur la construction de 5 000 établissements primaires, 1 100 collèges (CEM) et 500 lycées et la réalisation de 1 098 cantines et 500 infrastructures sportives scolaires. Depuis les fameux programmes spéciaux de wilayas initiés par Boumediène au cours des années 70, ce sont certainement les réalisations les plus importantes dont va bénéficier le secteur de l’Éducation et de la Formation depuis l’Indépendance. Cependant, devant ces statistiques assommantes, des citoyens (parents d’élèves, éléments de l’élite nationale) se poseront certainement la question de savoir où va l’école algérienne, quelles sont les bases de la formation des cadres et des citoyens responsables de demain, et comment l’école doit-elle s’insérer dans les exigences et les besoins de la nouvelle société qui aspire à plus de liberté, de prospérité et d’ouverture démocratique ? Si l’argent du pétrole permet à nos gouvernants d’élaborer des projets gigantesques misant sur le quantitatif, qui pourra garantir la qualité et l’efficacité de l’enseignement dispensé par nos établissements ?

Une critériologie à redéfinir

Une première erreur qu’il y a lieu d’éviter est sans aucun doute de fonder la critériologie de la réussite de l’école sur le taux de réussite au bac. Dans une ambiance de médiocrité et de dilution des valeurs pédagogiques et morales, l’examen du bac ne constitue nullement une référence, d’autant plus que le déroulement de cette épreuve est souvent émaillée d’incidents divers.

En juin 2006, une aporie dans la discipline mathématique a été détectée en retard et l’information a vite fait le tour du pays et a même dépassé les frontières de l’Algérie. Nul besoin de s’appesantir sur les dérives comme celles du règne du ministre Benmohamed- liées aux fuites des épreuves du bac et autres manœuvres frauduleuses qui décrédibilisent aux yeux du monde un examen autrefois noble et sacré. Sur le plan réglementaire et de la décision politique, on ne sait ce que sont devenues les recommandations de la Commission Benzaghou chargée en 2001 par le président Bouteflika de proposer des réformes radicales dans le secteur de l’enseignement et de l’éducation. En tout cas, en raisonnant a contrario, on peut imaginer la hardiesse et le caractère révolutionnaire des réformes proposées au vu des réactions de l’aile conservatrice qui ont accompagné le travail de cette Commission. Parmi les bribes d’informations auxquelles a eu droit la presse, l’enseignement bilingue des sciences et des mathématiques n’est pas des moindres. Depuis l’ordonnance d’avril 1976 instituant l’École fondamentale, les contingents de bacheliers qui ont eu accès à l’université se sont débattus dans des problèmes inextricables du fait que la plupart des matières scientifiques dispensées à l’université le sont en français. Même dans les disciplines réputées arabisées (Droit, sciences humaines, histoire, géographie), les référence fondamentales sont rédigées en français ou en anglais. N’étant pas assez formés dans ces langues, les étudiants se trouvent complètement désemparés devant une réalité que ne peut compenser aucun sens ‘’patriotique’’. Les dernières mesures qui relèvent justement d’un patriotisme promulgué par ‘’décret’’ ont trait à la levée quotidienne des couleurs nationales, devenue une obligation par instruction du ministre de tutelle. Les parents d’élèves et tous ceux qui tiennent à l’avenir des écoliers d’aujourd’hui seraient plus rassurés si ce rituel était accompagné des vraies changements afférents au contenu pédagogique, à la didactique et au cadre psychologique dans lequel se déroule cet enseignement.

Eternelle mise à l’essai

L’enseignement primaire, moyen et secondaire continue à coltiner les lourdeurs de l’ancien système, et ce malgré quelques réaménagements qui s’apparentent plutôt à des replâtrages de façade. Le Pavlovisme que décriait, au début des années 90 dans un livre célèbre Mme Malika Griffou, pèse toujours d’un poids étouffant sur les rythmes et les rendements scolaires. Pis, certaines méthodes d’apprentissage s’avèrent carrément aberrantes à l’image de ces fameux ‘’projets’’ consistant à forcer les élèves à copier des sujets abscons à partir d’Internet, sujets qui ne sont même pas discutés ou vulgarisés en classe. Seul le gérant du cybercafé trouve son compte dans cette affaire. Dans un tel capharnaüm pédagogique et didactique, quel sera le rôle de l’Observatoire national de l’Éducation et de la Formation dont l’avant-projet de loi a été adopté par le Conseil du gouvernement du 18 juillet 2006 ? Quel rôle jouera-t-il dans la marche de l’école algérienne vers la réalisation des aspirations de la société en matière de la formation qualifiante- pour faire face aux défis de l’économie moderne et de la mondialisation- et de défense des valeurs de la citoyenneté et de la République ? N’est-ce pas monsieur Benbouzid qui, en remarquant l’absence de l’élément féminin dans une séance de sport, a sévèrement rappelé à l’ordre, le 23 mai 2006, le personnel et les élèves d’un technicum à Blida en ces termes : « L’Algérie n’est ni l’Iran ni l’Afghanistan. Nous sommes dans une république (…) Il est hors de question pour nous de revenir sur les erreurs du passé. Ce qui s’est produit en 1992 n’est plus tolérable de se reproduire ? » Devrions-nous accueillir ces professions de foi du ministre avec la foi du charbonnier ? En tout cas, ce sont les actes de la gestion future de nos écoles qui pourront conforter ou confondre le représentant du gouvernement, premier responsable de l’éducation dans notre pays. Cependant, sur certains dossiers, comme celui de l’école privée, il est difficile de suivre la démarche du ministère sans se poser la question essentielle : en cherchant à ‘’domestiquer’’ ce genre d’établissement, quel est réellement l’objectif visé ? Si des Algériens se sont résolus à envoyer leur progéniture dans ces établissements- en faisant de grands sacrifices sur le budget familial-, ce n’est certainement pas pour recevoir la même formation que celle dispensée par l’école publique.

Si cette dernière est à ce point “honnie” – et pourtant gratuitement assurée -, c’est qu’elle ne répond plus aux besoins d’émancipation et de réalisation sociale de la famille algérienne. On a maladroitement poussé la brutalité jusqu’à fermer certaines écoles privées au milieu de l’année scolaire. Le ministère ne s’est rétracté qu’après l’intervention du président Bouteflika. En tout cas, partout dans le monde, l’école ne constitue pas seulement un moyen de réalisation et d’ascension sociales, mais aussi un tremplin pour la formation aux valeurs de la citoyenneté et de la démocratie. Aucun logorrhée de chiffres ni de promesses mirifiques ne sauraient remplacer l’engagement des pouvoirs publics sur le terrain.

Amar Naït Messaoud

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