Quand la démocratie dévoyée et l’islam integriste se rejoignent

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Il est actuellement l’un des meilleurs écrivains en langue française. Il est belge. Jean-Claude Pirotte, né à Namur, signe un long poème en prose aux accents baudelairiens. Absent de Bagdad ( la Table ronde, 144p) administre de façon magistrale la preuve que les écrivains savent mieux que quiconque dire le monde, l’éclairer et en préserver les mystères. Sur les horreurs commises à Abou Ghraib, éditorialistes et reporters ont beaucoup glosé; la parole est maintenant aux poètes. Pirotte se glisse dans la tête d’un prisonnier. Un homme dont on ignore tout puisque lui-même ne sait plus qui il est, ravalé au rang d’animal par des geôliers qui ont abdiqué leur identité en acceptant de pratiquer la terreur au nom de la démocratie. Dans ce texte superbe, poétique et politique, Pirotte renvoie dos-à-dos les deux fondamentalismes qui, selon lui, déchirent la planète: l’islam intégriste et la démocratie dévoyée. Leur point commun? L’absence de doute.

Le monologue intérieur de ce figurant muet, humilié dans un cul-de-basse-fosse, est aussi le texte le plus autobiographique du grand Pirotte. En effet, nul mieux que lui ne pouvait dire ce que ressent un innocent lorsqu’on le précipite du jour au lendemain dans un cachot gardé par des imbéciles.

Jadis, Pirotte fut avocat. Condamné pour un crime qu’il n’avait pas commis, il prit la fuite. Cinq années de cavale. Il voyagea. En Turquie, il devint musulman, c’est-à-dire « celui qui s’est rendu à Allah ». Il découvrit Ibn Arabi et le soufisme. Lut beaucoup, écrivit plus encore. Jamais Pirotte n’a vraiment raconté ses années de vagabondage – l’autobiographie, très peu pour lui… Mais en chuchotant ce qui traverse l’esprit d’un homme arrêté au hasard, simplement parce qu’il se trouve à Bagdad, il signe, outre un texte majeur sur l’actualité, une confession en bonne et due forme.

Idir lounès

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