L’énigme est toujours entière et au train où vont les choses, il va être difficile de la percer. Saura-t-on un jour pourquoi on devrait manger plus et mieux durant un mois théoriquement tout dédié à l’abstinence et la sobriète ? Depuis le temps que tout le monde crie à la perversion avant d’aller résolument à “l’empiffrage” national le soir venu, la résignation, quasi consensuelle, a fini par prendre ses aises. Très pathétique, la “révolte” de ce citoyen dont j’ai découvert le retentissant cri d’indignation dans les colonnes d’un confrère. Il ne nous explique pas si vraiment ce serait mortel pour lui de rompre le jeûne avec autre chose que de belles dattes mais appelle, sans rire, à boycotter ce fruit “décongelé” que des spéculateurs sans scrupules proposent à quatre cents dinars le kilo. On s’en prend à la perversion qu’on peut et qu’on veut, en prenant le soin de toujours choisir celles qui ne coûtent rien ! Chez un autre confrère j’ai découvert le désarroi d’un groupe d’agents de sécurité employés par une “entreprise privée près de l’aéroport” à qui on vient de signifier le non-renouvellement de leur contrat de travail “à l’orée du mois de ramadhan”. On ne sait pas si ce sont les travailleurs eux-mêmes qui en ont usé comme argument ou s’il s’agit d’une remarque commentée du journaliste qui a rédigé l’information, mais on comprend à la lecture de l’article que le plus grave, pour ces braves employés, ce n’est pas tant de perdre leur poste mais le fait que ça survienne la veille du “mois sacré”. Pensée émue pour tous ceux qui, comme votre serviteur, ont retrouvé leur job au même moment. Comme pour la bouffe, d’autres ont décidé depuis des années maintenant, que les Algériens ont plus besoin de sécurité pendant ce mois que le reste de l’année où on s’en est accommodé. Depuis qu’on nous a convaincus qu’il y a de bons moments pour mourir déchiqueté par une bombe, criblé de balles ou passé au sabre, nous continuons sans broncher à avaler comme d’atroces formules destinées à enfoncer les assassins alors qu’elles ne font que les dédouaner sur l’essentiel. “Le contexte” relègue ainsi le crime au second plan quand il ne le fait pas oublier ou pire encore finit par introduire le doute sur sa nature et ses motivations. Énormités, toujours, retenons celle qui nous a été servie par le footballeur de la JSK, Adlène Bensaïd. Un périple inhumain attend son équipe qui se rendra dans quelques jours au Ghana pour y disputer un match de Coupe d’Afrique. Un voyage en trois escales, une chaleur insupportable, des conditions de séjour toujours spéciales en ces contrées, le tout en plein Ramadhan. “Mais ce n’est pas un problème”, pour ce joueur, “nous sommes habitués à jouer en observant le jeûne”. Pour une fois que quelqu’un nous dit que ramadhan n’est pas un problème, il faut applaudir. Sauf que le jeune Annabi oublie que cette fois ça ne se passera pas entre jeûneurs dont on a eu à apprécier le spectacle. Mais une couleuvre de plus ou de moins à avaler en ce mois, il n’y aura personne pour s’offusquer qu’on tente de nous convaincre que je jeûne sera une source de motivation susceptible d’être déterminante face à l’objective inégalité des chances.
S. L.