“C’est l’environnement qui pousse l’élite à quitter le pays”

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Entretien réalisé Par Amar Chekar

La Dépêche de Kabylie : Ahmed Lahri, célèbre animateur de l’émission «Sur le vif» de Canal Algérie, également présentateur de la revue de presse à la Radio nationale Chaîne 3, qu’en est-il de votre choix de parler beaucoup plus sur des sujets d’actualité et d’intérêt général, au delà de soi, qu’en est-il au juste de ce noble sentiment du dépassement de soi ?

Ahmed Lahri : J’estime effectivement que le plus important pour un lecteur de journal, c’est surtout de connaître les conditions dans lesquelles se prépare une émission et les thèmes choisis, et surtout l’impact des thèmes vis-à-vis des téléspectateurs. Cela dit, la vie privée de l’animateur ou du présentateur importe peu en fait, par rapport à l’importance du thème et l’importance d’une émission et de son impact bien évidemment sur la société. C’est pour cela que j’ai choisi de parler plus de mon travail professionnel que de ma vie privée, qui n’est en fait qu’une vie de citoyen normal et naturel, comme tous les autres citoyens conscients et sensibles dans et de leur environnement.

Peut-on inclure cette vision des choses, porté le dévouement à l’intérêt général dans un cadre de valorisation des compétences et des facteurs humains d’une façon globale ?

Je ne sais pas comment vous pouvez traduire cette façon de voir les choses. Personnellement, j’estime que lorsque l’on est un personnage public, on peut plaire comme on peut ne pas plaire, le plus important c’est surtout le travail que l’on présente aux téléspectateurs de manière générale, c’est à lui de juger de tout le travail que l’on fait pour eux. C’est à partir de là que je me concentre et m’investi dans mon travail.

le citoyen d’aujourd’hui, est convaincu de l’existence d’un minimum de liberté d’expression, tout de même il pense que l’on est libre de dire et de s’exprimer, mais très rares, et ce pour ne pas dire personne ceux qui nous écoutent, ou prennent en considération les doléances, en tant que professionnels des médias lourds, notamment la Télévision et la Radio nationale, qu’en est-il au juste à votre avis ?

Partant de mon expérience personnelle, notamment pour l’émission hebdomadaire “Sur le vif”, qui dure depuis trois ans. En tant qu’animateur et rédacteur en chef de l’émission, j’ai toujours eu le choix des thèmes. Je choisi même les thèmes, bien sûr en consultant mes collègues, rédacteur en chef, la direction de Canal Algérie, et en collaboration avec eux, on établit un listing ou une série de thèmes qu’on aborde durant le mois, des thèmes qui collent à l’actualité plus au moins, et c’est à partir de là qu’on établit nos contacts afin de réunir des spécialistes qui maîtrisent bien les différents domaines et qui peuvent intervenir d’une façon très pointue, on choisi généralement des thèmes touchant à la société, qui intéressent le large public et qui interpellent les pouvoirs publics, afin de faire des efforts envers tel ou tel secteur. Quant à la question de la liberté d’expression, j’assure que c’est des thèmes choisis par moi-même et la direction de Canal Algérie, où on a la liberté de ton qui permet de déceler les lacunes et critiquer les secteurs là où ça ne va pas, bien sûr, et quand il y a des choses qui sont bien, on se félicite et on s’en réjouit en les communiquant objectivement.

Canal Algérie se distingue généralement par la diffusion de programmes typiquement algériens, comment peut-on expliquer en fait cet attachement au patrimoine matériel et immatériel de l’Algérie profonde, alors que les citoyens en majorité sont parabolés, Peut-on dire qu’avec l’apport de cette chaîne satellitaire, il y a une réelle amélioration dans le champ audiovisuel algérien en faisant valoir la production nationale ?

Ecoutez, c’est tout à fait normal, mais aussi un devoir en tant que jeune Algérien, nous aimons notre pays, nous devons faire connaître et promouvoir notre identité nationale dans toutes ses dimensions et diversités, donc, c’est tout à fait normal que l’on favorise d’abord les pratiques et culture algériennes en premier lieu. A titre d’exemple, il n’y a pas un jour où l’on ne diffuse pas des reportages sur les coutumes et traditions de l’Algérie profonde des quatre coins du pays, comme par exemple les fêtes de mariages, les traditions culinaires et bien d’autres, juste après nos journaux télévisés. C’est aussi des thèmes d’actualité et problèmes sociaux du quotidien de l’Algérien essentiellement, tout en ayant un regard sur des questions d’actualités internationales comme par exemple, flambée des prix, le marché pétrolier, la crise alimentaire mondiale, le réveil du géant chinois et bien d’autres thématiques d’actualité nationale, africaine et internationale. Quant à la question de l’amélioration, mais bien sûr qu’il y a une amélioration, C’est quand même une chaîne en plus en attendant des chaînes privées qui vont booster le secteur de l’audiovisuel, mais je dit que Canal Algérie est une chaîne en plus, qui donne le choix aux téléspectateurs algériens déjà avec un programme supplémentaire diffèrent de la chaîne terrestre (ENTV), et surtout une langue différente pour ceux qui ne maîtrisent pas bien la langue arabe, c’est un acquis et un atout, du moment que ça les aide, bien sûr, à réceptionner les informations et les émissions qui traitent des sujets et des émissions qui les intéressent. Bien sûr pour la communité algérienne à l’étranger, c’est tout à fait évident que notre chaîne leur donne une bouffée d’oxygène et leur permet de garder un lien permanent avec leur pays d’origine.

Revenant à une question qui préoccupe souvent le cadre algérien dans son entreprise. En effet, la communication en entreprise est estimé à 70% comme facteur de réussite de l’entreprise ; malheureusement devant les défaillances au sein de l’entreprise elle-même, le cadre algérien se retrouve face à un dilemme, s’il dénonce, il risque son limogeage et autre marginalisation dont les exemples sont très nombreux, ou bien il se cantonne dans l’autocensure ce qui n’arrange pas les intérêts de l’entreprise, n’est-il pas temps d’ouvrir le débat sur ce paradoxe ?

…Il marque un temps de réflexion et répond, “vous parlez de quelle autocensure” ?

Des cadres et autres fonctionnaires de façon générale, lésés, ils subissent dans le silence. N’est-il pas temps d’ouvrir le débat pour libérer les esprits et les cœurs damnés ?

Bien, je suis pour que l’on facilite la tâche des fonctionnaires de manière générale, afin de leur permettre de s’exprimer librement. Je pense qu’on est dans un pays de liberté d’expression, c’est tout à fait normal que chacun s’exprime librement et parle des difficultés qu’il rencontre dans la vie quotidienne. Donc il est évident que l’on tolère la liberté d’expression chez certains agents de la Fonction publique.

Revenant à votre émission “Sur le vif”, qui est un espace de débat interactif et qui met en avant les valeurs managériales, intellectuelles, économiques, scientifiques et autres compétences nationales ou internationales, sur quelle bases et critères, procède-t-on aux choix des invités ?

Il est clair que pour n’importe quel thème, la première des choses, c’est l’invitation des pouvoirs publics, c’est à dire, le ministère concerné par le secteur débattu, j’invite, j’allais dire, la thèse et l’antithèse, donc il faudrait un contradicteur qui puisse apporter un point négatif, afin d’avancer dans le débat, cela dit, dans un débat, il faut toujours chercher le pour et le contre, d’où chacun avance ses arguments et preuves avec pertinence. Concernant le choix des invités, c’est en fonction des statuts, des écrits, on peut inviter un économiste qui s’est déjà intéressé à la question, un sociologue lorsqu’il s’agit d’un thème social, une association qui a œuvré dans tel ou tel secteur, un politicien qui s’intéresse à la question ou un député également qui s’exprimera au sein de l’Hémicycle, cela dit, tout dépend du thème que l’on aborde sur le plateau de l’émission, tout en essayant d’équilibrer les interventions, pour que le débat ne soit pas dirigé vers un sens unique.

Depuis belle lurette, l’on vit le phénomène de l’expatriation de l’élite nationale, tous secteurs confondus, dont les médias, pensez-vous que c’est le facteur matériel qui les pousse à quitter le pays, ou tout simplement, c’est l’environnement socio-professionnel,qui ne leur permet pas d’exercer dans un cadre favorable et valorisant ?

Dans n’importe quel domaine, si l’on n’est pas bien rémunéré, on peut se passer de la question matérielle, et se dire à la rigueur que ça va changer un jour et que tout ira mieux à l’avenir. D’autant plus vrai lorsque l’on fait son travail avec amour et surtout la patience d’exercer sa fonction convenablement. Par contre, si l’environnement est défaillant et non motivant, tout en travaillant dans un secteur, ou un quelconque médiocre vient donner des ordres et dire n’importe quoi, eh bien, il faut savoir que celui qui respecte son parcours intellectuel, ne peut pas tolérer l’intolérable. Donc, un cadre ou une compétence qui a sacrifié sa vie et fait des études pour atteindre un niveau de qualification supérieure et honorable, aspire surtout au progrès et au développement de son pays, tout en étant aussi conscient, que la motivation morale et salariale et très importante. Mais, concrètement, je pense que c’est plus le facteur environnement qui pousse le cadre et l’élite algériens à quitter le pays.

Revenant à la récente initiative de l’APN, qui a regroupé pas mal de cadres et d’élite algériens installés à l’étranger, dont vous-même, vous avez consacré une émission-débat sur la problématique, pensez-vous réellement qu’il s’agit d’un regain d’intérêt des pouvoirs publics envers cette frange qui constitue la base de développement durable dans tous les domaines ?

L’initiative en elle-même est une initiative intéressante, mais il ne suffit pas de parler seulement. C’est bien beau d’organiser des séminaires et d’inviter des gens de différents secteurs, mais tout ces problèmes on les connaît, aujourd’hui tout le monde connaît les problèmes de l’Algerie. Tout le monde connaît la problématique des intellectuels et des enseignants qui viennent enseigner ou s’investir en Algérie. Je ne peux vous donner que l’exemple de l’enseignant universitaire dont le salaire est vraiment dévalorisé. L’enseignant qui touche un salaire de 400 euros par rapport à celui son homologue tunisien ou marocain qui dépasse les 1 200 euros, c’est inadmissible. Cela dit, tant que l’on agit de la sorte, il ne faut pas espérer attirer les compétences algériennes installées à l’étranger et qui ont des salaires bien trop élevés pour venir se sacrifier pour deux sous, il est hors de question d’y penser. Donc, il faudrait d’abord revoir toutes ces stratégies, afin d’assurer la meilleure prise en charge pour ces enseignants et ces cadres, non seulement côté financier, mais aussi, il y a le côté prestation et modalités d’accueil, c’est ainsi qu’on peut les attirer.

La problématique de la violence dans les stades revient pratiquement chaque année, le sentiment de l’insécurité général, en plus d’autres fléaux sociologiques qui gangrènent la société au grand jour, pensez-vous que l’organisation des journées annuelles pour la sensibilisation contre telles ou telle question, suffisent à y remédier au lieu d’un travail de sensibilisation continu, notamment pour les mas médias ?

Personnellement, je pense qu’au delà des journées qu’on fixe à tort et à travers en parlant de telle ou telle journée précise pour un événement précis, le résultat serait beaucoup plus probant par un travail de sensibilisation à longueur d’année. Concernant la violence, le phénomène est une question très préoccupante. Personnellement, je n’ai pas eu encore l’occasion de traiter ce sujet dans mon émission, mais je compte le faire la saison prochaine. Ceci dit, c’est une question qui interpelle tout le monde. Effectivement la campagne doit être effectuée en premier lieu par les mas médias, afin d’essayer d’expliquer d’où provient le phénomène de la violence et comme a-t-il pu prendre cette ampleur inquiétante dans notre pays, et il n’y a pas que les stades en fait, mais c’est finalement partout que l’on sent le sentiment d’insécurité, on ne peux pas circuler librement en toute quiétude. Effectivement,ça serait bien qu’il y est des campagnes assez étendues des mass médias, afin d’endiguer ce phénomène et surtout d’essayer de savoir et de connaître l’origine de cette violence avec exactitude, et ce, avec l’avis des sociologues et autres chercheurs dans le domaine.

Le citoyen- de nos jours, pense que la presse privée est plus indépendante que les médias publics, tous organes confondus, qu’en pensez-vous ?

C’est vrai que ce n’est pas la même vision des choses. Cela dit, la presse publique a plus de responsabilité. Ceci dit, on ne peut pas donner n’importe quelle information avant de vérifier toutes les sources. Contrairement à la presse privée, souvent, on nous apprend des informations, le lendemain le même journal vous donne la contradiction en s’excusant auprès des lecteurs pour dire qu’il y a erreur dans l’information donnée la veille. Nous dans les medias publics, c’est ce qu’on essaye toujours d’éviter. Il vaut mieux être les derniers à donner la bonne information, que d’être les premiers à donner une fausse information. C’est pour cela qu’on prend notre temps, et c’est un peu l’origine de la lenteur. Quant au côté de la liberté d’expression, je pense qu’il y a une liberté de ton, il faut dire qu’il y a une certaine liberté de ton. Je donne l’exemple de l’émission “Sur le vif” que j’anime, j’ai une liberté de ton, j’invite les gens que je veux et je peux critiquer des secteurs là ou il y a des lacunes et manquements ouvertement mais constructivement tout en restant dans l’objectivité de la question et non pas de dénoncer ou mettre mal à l’aise certains responsables, mais surtout dans le but d’avancer.

Si l’on aborde l’approche méthodique kaizen japonaise, qui parle de zéro défaut, zéro retard, etc., ils ne sont jamais satisfaits totalement, tant que l’esprit de l’innovation et de la qualité est une culture chez eux, qu’en est-il au juste de notre cher pays, malgré… l’ouverture, la concurrence mondiale, l’on se réjouit d’un rien, et on est satisfait de la moindre chose, sous différents prétextes liés au destin et autres slogans péjoratifs, alors que l’homme est responsable de tout ?

C’est vrai que dans la mentalité de l’Algérien, il y a ce sentiment de l’autosatisfaction. Je pense que l’idéal, c’est de se remettre en cause à chaque fois et dans tous les domaines, y compris dans celui de la presse de manière générale. Ceci dit, il faut se remettre en cause et faire la comparaison de nos points forts et points faibles, par rapport à ce qui se fait à l’étranger dans les différents secteurs. car, dans toute action, il faut des objectifs, rien ne peut avancer sans but. Effectivement, dans différents secteurs, on dit ce n’est pas les superlatifs qui manquent, tout en disant, nous avons choisi les meilleures opérations et méthodes de façon à mieux voir les choses. Pour faire avancer les projets, et si l’on ne se remet pas en cause justement, ça ne peut pas fonctionner correctement, et il faut revoir la méthode. Quand vous voyez que dans certains pays étrangers, avec toute leur expérience et savoir-faire, ils se remettent en cause pour avancer, et nous souvent, avec rien on est satisfait en disant “tout va bien”, je pense que ce n’est qu’ainsi qu’on peut avancer dans le contexte du développement des pays.

A. C.

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