Peur, sur le chemin du lycée

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L’histoire est invraisemblable et quelque peu vieillotte. Mais face à la persistance de la bêtise elle revient, sans jamais manquer de pertinence. C’est l’histoire du bonhomme qui découvre dans une revue scientifique que le tabac provoque le cancer et il a arrêté de lire au lieu d’arrêter de fumer. La blague, parce que c’en est une finalement, est destinée à faire rire en poussant l’absurde à son paroxysme, mais elle a une morale, beaucoup moins drôle; les solutions de facilité causent toujours plus de dégâts que les problèmes qu’elles sont censées résoudre. Mon amie et consœur Salima Tlemçani d’El Watan rapporte dans l’édition de jeudi le calvaire des lycéennes de Berriane contraintes à l’abandon de leurs études parce qu’il devient périlleux pour leur intégrité physique de rejoindre leur établissement scolaire situé dans un quartier particulièrement chaud de la ville. Ces jeunes filles, qui ont héroïquement résisté pendant un trimestre de l’an passé, précisément au moment où les affrontements intercommunautaires étaient à leur comble, n’en peuvent plus donc. Et ce sont leurs parents qui ont décidé que l’abdication pouvait être une solution après tout. Ces tuteurs, dont la scolarité des filles n’est apparemment pas importante au point de mériter quelque engagement, n’ont pas envisagé eux, de résister en exigeant des pouvoirs publics d’assumer leurs responsabilités et assurer la sécurité des lycéennes. Il faut donc qu’elles changent d’établissement et trouver un itinéraire qui fasse éviter aux gamines les endroits coupe-gorges qu’elles traversaient quotidiennement. C’est déjà une première victoire pour les petits caïds de douar qui ont décidé de prolonger un vieux conflit et “entretenir la flamme” de l’affrontement en s’en prenant à des adolescentes sans défense. Ils leur jettent des pierres, les traitent de tous les noms d’oiseaux et les bousculent, en attendant sans doute de passer à quelque chose de plus sérieux. Les parents ont déjà choisi la riposte la plus tiède, les responsables de l’éducation sont dans une position confortable- après tout ce qui se passe en dehors des établissements scolaires n’est pas de leur ressort- et les services de sécurité “gèrent” par le pourrissement. La force publique, plus aisément mobilisable pour traquer les couples de lycéens que pour empêcher des voyous minables et lâches de pourchasser les lycéennes, ne nous étonne plus, tant l’ordre de ses priorités se clarifie. Des centaines de lycéennes sont donc restées à la maison parce que l’état est incapable de les protéger des griffes de petits despotes qui évoluent en terrain conquis. La route d’un lycée de Berriane devenue zone de nom droit, ce n’est pourtant pas une surprise. Nous sommes tellement habitués aux situations similaires que même la désinvolture avec laquelle nous les acceptons sans broncher ne nous emeut plus outre mesure. L’autorité cède des parcelles entières là où sa fermeté doit être inébranlable pour reporter toute sa rigueur vers des espaces où le bon sens recommande un minimum de doigté. Pire, on réprime plus l’acte ou le comportement légal que la défiance interdite par la loi. Le tout est de gérer des équilibres précaires et d’acheter une paix sociale par de dangereux artifices faute de l’assurer par la volonté politique et l’imagination. Et dans le cas de Berriane comme dans d’autres, on multiplie les concessions envers ceux qui bombent le torse et font valoir leurs -réelles ou supposées- capacités de nuisance. Un pays où des lycéennes restent à la maison parce qu’elles ont peur, a de quoi faire… peur à tout le monde.

S. L.

Laouarisliman@gmail.com

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