Si aux Etats-Unis on se démène pour sortir de cette crise qui déboucherait certainement sur une crise sociale dont l’issue est jusque-là difficile à prévoir, à Tizi-Ouzou, on parle foot et chiffons ! Ignorance ou indifférence ? A chacun sa raison. Mais rares sont ceux qui se sentent concernés par cette crise qui secoue le monde. « Je sais qu’il y a des problèmes en Europe et aux Etats-Unis. J’ai appris par les informations que des banques américaines avaient des problèmes. A la télé on ne parle que de ça et de la Bourse. Je n’y comprends pas grand-chose moi aux finances.
Le seul lien que j’ai avec les finances c’est quand je compte ma recette le soir. Seulement j’espère que si crise il y a, l’Algérie sera épargnée. Je crois qu’on a assez de problèmes pour nous rajouter une autre crise ! », nous dira Farid, 26 ans, vendeur de cigarettes dans une grande artère à Tizi-Ouzou. « Je ne regarde jamais les informations. Ni sur l’ENTV ni sur les chaînes étrangères. Moi la télévision me sert pour m’évader de mes soucis pas à en rajouter. Je sélectionne mes programmes.
Que du foot et des films d’action », et là Ali ne parle pas d’actions en Bourse ! Ali, 21 ans, ne fait rien de sa vie que de roder un peu au centre-ville, siroter un café avec des amis à lui, chômeurs pour la plupart et se poster devant la sortie du lycée de son quartier pour » Zyeuter » inlassablement les jolies filles. Nous constatons, donc, que chez les jeunes, le déluge peut tout emporter sur son chemin, tant que cela ne les touche pas et n’abîme surtout pas leur petite crinière coiffée à l’aide de tonnes de gel.
Qu’en est-il des cadres et employés des établissements financiers ? Ces derniers maîtrisant les enjeux de la finance devraient faire une meilleure lecture de cette crise et nous indiquer ses répercussions sur le niveau local. Mais même à ce niveau-là, certains ne semblent pas se soucier des derniers événements qui ont secoué l’économie mondiale, entraînant même les pays qui semblaient les mieux parés contre n’importe quelle crise.
« Tout ce qui compte pour moi c’est que la banque où je travaille ne ferme pas. Je veux garder mon emploi. J’ai tellement peur de me retrouver au chômage. Tout le reste ne m’intéresse pas. Que le monde s’écroule mais que reste ma banque en activité ! », nous dira Djouher, 35 ans, employée, depuis huit ans, dans l’agence régionale d’une banque qui risque de baisser rideau.
Les plus en vue des enjeux économiques et de l’actualité, pour leur part semblent inquiets. Nonobstant les récentes déclarations qui se veulent rassurantes de nombreux responsables, les citoyens conscients de la situation y voient un sujet d’inquiétude. C’est le cas de M. A. Laarvi, cadre dans la même agence que Djouher.
« Ce ne sont pas les 130 milliards de réserves de change dont dispose l’Algérie qui nous mettraient à l’abri de cette crise. Des géants de la finance qui disposent de bien plus en fonds ont déclaré faillite en un laps de temps cédant à la loi de la spéculation et aux caprices de la Bourse. D’autres évoquent le pétrole et ses recettes qui ne semblent pas tarir un jour. Là encore même si c’était le cas, on est loin d’être protégés. Nous savons tous que les ventes de pétrole se monayent en dollars alors que les achats de l’Algérie, en termes de produits alimentaires et autres importations se font en euros. Ce qui n’arrange pas trop les affaire de l’Algérie, par ces temps où rien n’est sur », conclut M. A. Laarvi ajoutant que l’on ne doit pas se fier à l’optimisme affiché par les officiels. « Ce qui est drôle c’est le renversement de la donne constatée ces dernières semaines. Alors que notre pays s’est mis à l’ère des privatisations, ces dernières années, mettant la plupart de ses banques sur le marché”, “les pays capitalistes nationalisent leurs établissements financiers et injectent des fonds de l’Etat dans d’autres pour les oxygéner.
Comme quoi, la privatisation n’est certainement pas la seule solution pour nos dirigeants puisque les systèmes économiques que l’on copie font désormais dans le soutien financier de leur banques », fait remarquer Salah, cadre à la wilaya. Comme Tizi-Ouzou est faite de tout, les gens qui maîtrisent l’information et qui s’y intéressent ne sont pas nombreux.
Nous savons maintenant ce qu’ils pensent de cette crise et de ses répercussions sur la vie du simple citoyen comme nous avons eu l’avis des jeunes « Tiziouzéens » sur la situation. Passons maintenant aux seniors. Là encore, les avis divergent selon des personnes interrogées mais aussi et surtout c’est selon leurs priorités.
« La véritable crise que nous vivons c’est celle des prix. Je n’arrive même plus à remplir mon couffin des denrées les plus élémentaires. Le prix des fruits et légumes connaît un envol incroyable.
Le reste j’en parle même plus. Un jour on n’aura plus rien à manger. Et ce n’est pas la faute de la crise, cela ne nous change pas des années précédentes », nous dira Dda Dahmane, rencontré au marché de la ville. A chacun ses soucis et ses priorités.
« Ce qui choque le plus c’est la cherté des médicaments. Et le fait qu’une bonne partie ne soit pas remboursée par la sécurité sociale. C’est un scandale. On est privé de nos droits les plus légitimes. Se soigner est un droit. Crise ou pas, c’est aux dirigeants de s’en occuper. Nous, ce qui nous intéresse c’est de pouvoir vivre décemment c’est tout. C’est trop demandé ? », se plaint Dda Issad, la soixantaine passée rencontré dans l’un des rares jardins publics ouverts en ville, le reste étant jusque-là « infréquentables » ou en travaux.
Les jeunes diplômés chômeurs ont aussi leur mot à dire. C’est ce que nous révélera le témoignage de Nacim, 26 ans diplômé en sciences économiques. « Au lieu de perdre mon temps à essayer de comprendre la conjoncture économique mondiale, je devrai d’abord me trouver du travail. Les grands économistes, analystes et autres dirigeants n’ont qu’à s’occuper de leur crise.
J’ai des choses à régler dans ma vie au lieu de résoudre les maux de la terre. Je suis au chômage depuis deux ans. J’ai déposé des demandes d’embauche au niveau de toutes les entreprises de Tizi-Ouzou et même ailleurs, rien, Nada !
Que voulez-vous que je vous dise de la crise économique alors que je suis moi-même en crise ! » Ce qu’ignore Nacim ou semble l’oublier, c’est que, qui dit crise économique dit automatiquement ralentissement de la croissance.
Et qui parle de ralentissement de la croissance parle inévitablement de suppression d’emploi. Et l’envol du taux de chômage sera quasiment évident. Ceci dit, crise ou pas, les simples citoyens de Tizi-Ouzou ont d’autres chats à fouetter. A chacun sa crise !
Samia A.-B.
