Quel avenir pour la robe kabyle ?

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C’est le cas de la robe kabyle. Cette tenue qui a fait la fierté de notre région. Celle là même qui a su résister, des décennies durant, aux vents si ardus de la modernité. Cet ensemble égayé de dizaines de couleurs et de tons, aux multitudes de rubans, de «zigzags» et autres dentelles de soie a su jadis traverser espace et temps. Le secret ? Rien d’autre que la ténacité de ses nombreux adeptes, notamment parmi la gente féminine. Y aurait-il une mariée en Kabylie qui n’en ait pas prévu plus d’une dizaine de robes, toutes couleurs et tout modèles confondus, dans son trousseau de mariée ? Non. Certainement pas. Hélas, depuis quelques années, la robe kabyle tend à céder la place à une nouvelle génération de robes.

Ces dernières sont soit dorées, soit argentées. Le modèle précurseur du changement n’est autre que la robe appelée «Debla». Elle est dorée ou argentée elle aussi. Au départ les «créatrices» avaient commencé par ne changer que les motifs et les matériaux de la broderie. La robe kabyle avait gardé sa coupe mais elle est devenue dorée, de préférence sur des tons foncés. Un fil doré, semblable à la Fetla constantinoise est venu orner les robes kabyles et leurs “foudha”. Ce modèle a tellement ravi que les créatrices ont osé plus de changement. Les coupes et les formes, notamment de «Tsevdina» (le col) ont suivi. La robe est devenue carrée sans col V ou bien carrée avec col rond juste au coup. S’en est suivi le décolleté. Avant, on osait à peine le sans manche. Dorénavant, les «robes scintillantes» sont dos nu, à bretelles ou sans manche. Vinrent ensuite les motifs. De nouveaux motifs sont imaginés et conçus. Ces derniers réalisés sur les nouvelles coupes ont fini par «défigurer» la robe kabyle.

De la «Debla», nous sommes passés à la l’«Electra», en passant par le «Lazer», les appellations des modèles sont aussi bizarres les uns que les autres. «Les couturières ont fini par ne plus nommer leurs modèles. Elles en créent en un temps tellement réduit qu’elles n’ont même pas le temps de les baptiser», nous confie un marchand de robes berbères en plein centre de la ville de Tizi-Ouzou. Chez lui aussi, tout scintille. Seuls quelques modèles de rubans en laine à la traditionnelle et un seul modèle de l’indétrônable robe des Ouadhias tentent timidement d’attirer l’attention des clientes. Ces dernières, même si elles savent que tout ce qui brille n’est pas or sont pour la plupart du temps charmées par ces étincelantes «intruses».

C’est du moins ce que nous révèlent la plupart des marchands et des couturières interrogés. Ces toilettes lumineuses ont, donc, fini par faire oublier notre chère robe ornée de zigzags et de bouclettes. Cette dernière est devenue méconnaissable au grand dépit de certains mais aussi au bonheur d’autres. Si la nouvelle génération de robes berbères existe c’est qu’elle a trouvé acheteur. Et si elle inonde le marché et qu’aucune vitrine de robes traditionnelles ne peut en désemplir c’est qu’elle doit être bien prisée. «Les modèles les plus demandés ces dernières années sont les robes à broderie dorée.

Cela nous arrange un peu nous les couturières. Ces robes constituent une aubaine pour nous. La dernière des tenues coûte 3 500 dinars et je ne vous parle pas de la plus ornée. Les modèles les plus chargés peuvent atteindre 9 000 DA. C’est selon le modèle et la première utilisée. Cette dernière coûte relativement chère, d’où le prix assez élevé de la tenue. Il faut aussi compter nos efforts en terme de création.

Chaque couturière essaie de faire mieux mais surtout de garder ses motifs à elle seule», nous confie Saliha, 39 ans, installée à son compte dans son village natal du côté de Béni Douala. La concurrence est rude paraît-il. Les créatrices font de plus en plus compliqué pour que ses consoeurs ne déchiffrent pas facilement leurs motifs.

De plus en plus d’accessoires accompagnent cette nouvelle tenue. En plus de la Foudha, des ceintures à la taille, des toques et mêmes des boléros pour les robes décolletées sont imaginés. Des burnous aux mêmes tons et motifs sont également conçus pour les robes de mariées. Des créatrices bien futées ont pensé à faire de cette robe la nouvelle robe de mariée en kabylie.

C’est la toute dernière tendance. La robe est bien entendu de couleur blanche en crêpe de chine ou en soie, ornée de préférence de broderie argentée, elle est généreusement ouverte sur les épaules et serrée avec une large ceinture aux mêmes tons. Le plus dans ce modèle n’est autre que le burnous. Il est en voile, orné sur les bords avec les mêmes motifs que ceux de la robe. Une toque finit par appuyer l’originalité de cette toilette.

En effet, ce ne sont pas seulement les zigzags qui ont changé ou même les motifs, mais aussi le tissu de la robe. De la traditionnelle soie de préférence de couleur orange ou jaune, la robe kabyle s’est reconnue dans plusieurs autres matériaux. Du crêpe de satin, du voile, de l’organza et même du velours viennent enrichir les listes de fournitures des ateliers de confection des robes berbères et autres petits coins de couturières.

C’est pour quand le «Jeans» ?! Cela ne doit plus tarder. L’idée est lancée ! «Je ne trouve pas l’acharnement des conservateurs justifié. On ne doit pas stagner dans l’ère du modèle unique de tenue kabyle. On doit moderniser cette tenue sinon plus personne n’en voudra. Il existe des villages où la robe kabyle n’est plus portée. Le faite de la moderniser attirerait peut être ceux qui l’ont délaissée. Cela la servirait peut être plus sa cause au lieu de lui faire du tort», nous dit Fetta, 28 ans. Ceci dit, il existe des régions qui ont su maintenir l’équilibre entre la nouvelle génération de tenue berbère et celle des anciens modèles. Du côté des Ouadhias, à titre d’exemple, la robe traditionnelle, fierté de la région et outil indispensable de toute mariée, la tenue locale garde sa place contre vents et marrées. Ce qui n’est que justice. Cette robe qui n’a pas son égal et qui n’a pas changé d’un iota au fil des ans, reste parmi les tenues les plus prisées dans le rayon robes traditionnelles. Vient ensuite la célèbre “Djebba N’Svâagem”. Tenue traditionnelle que porte la mariée pour sa première sortie après le mariage (7e jour). Cette tenue se compose de la robe kabyle traditionnelle, orange de préférence, de la Djebba en dentelle, de thamehremth lehrir brodée jusqu’à la taille, de «Agouss Lehrir», ainsi que d’Amendil lehrir jaune.

Ces deux modèles figurent parmi les tenues les plus célèbres de Kabylie. Elles sont surtout déterminées à ne pas céder face à la nouvelle génération de costumes berbères. La robe kabyle a beau changé de look, ces deux là ne suivent pas. D’autres modèles n’ont pas résisté au vent du renouveau. La robe à col rond ne se porte plus que par les vielles personnes. La robe dite «Ouaghzen» au col carré ne se fait plus de nos jours. Et bien d’autres modèles ont disparu. A qui est la faute ?

Les couturières qui ne les réalisent plus, les clientes qui ne les réclament plus, ou bien celle de la grande révolution qu’a connue cette tenue ? «S’il y a des modèles qu’on ne réalise plus c’est tout simplement parce que nos clients ne les demandent plus.

Ce n’est pas à nous d’imposer les tenues à nos clientes. Et puis ces modèles dont nous parlons ne nous rapportent pas beaucoup. Il faut dire que nous ne réalisons des bénéfices qu’en été. Et personnellement je préfère encaisser le maximum. C’est la vie chacun suit ses intérêts», nous confie encore Saliha. Intérêt ou pas, où est l’intérêt de la robe kabyle dans l’histoire ?

Samia A-B

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