Au cours d’un débat à l’APN, il fit part de ses appréhensions quant à la capacité des entreprises algériennes de réalisation à prendre en charge les ouvrages prévus par le Plan. D’autres critiques visaient le déficit en études préalables concernant les projets du quinquennat. Elles suggéraient de réserver une petite cagnotte de chaque opération pour les études de terrain et la formation.
Aujourd’hui, l’angoisse de ne pas pouvoir assurer le financement des projets initiés suite à la dépression qui frappe le marché du pétrole surpasse et voile en quelque sorte les critiques objectives qui sont adressées au programme quinquennal.
En tout cas, le crise financière qui a ébranlé, depuis la fin de l’été dernier, les fondements des économies occidentales et, par ricochet, une grande partie des économies les plus en vue des pays émergents, n’a pas être quantifiée dans ses répercussions sur l’économie algérienne en général. Ce sont plus des projections approximatives, des opinions ou carrément des spéculations que des données intangibles.
Le ministre des Finances compte sur les réserves de l’Algérie versées dans le Fonds de régulation des recettes. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, explique les niveaux des inquiétudes par les niveaux atteints par la chute des prix du pétrole.
“Le système bancaire national, du fait de son retard, est relativement épargné. L’économie nationale cependant risque d’en pâtir à cause du ralentissement de la croissance mondiale engendré par cette crise, notamment la baisse de la demande sur le pétrole, dont les exportations constituant la quasi-totalité des ressources en devises de l’Algérie. L’Algérie fonctionne à un baril de 67 dollars. A 70 dollars, nous serions donc en danger. A 60, ça irait mal. A 50, ça irait très mal.”
Ainsi, les limites du ‘’miracle’’ pétrolier sont chaque jour mises en évidence. Après des ascensions successives qui ont fait monter le baril jusqu’à 140 dollars, l’or noir risque de revoir les bas-fonds d’une dangereuse dépression.
Au cours de cette semaine, il est descendu au-dessous de 50 dollars malgré la dernière baisse de production décidée par les pays membres de l’OPEP. D’ailleurs, une rumeur court sur un éventuel effort supplémentaire de cette organisation pour réduire davantage la production de l’or noir dans l’objectif d’en pouvoir remonter les cours.
Ça irait très mal !
L’Algérie, dont l’économie tient jusqu’à présent d’une façon dominante à cette ressource, se trouve dans une position inconfortable. Car, une éventuelle récession de l’économie ne touchera pas seulement l’économie ‘’domestique’’ faite d’importation de produits alimentaires, médicaments, semi-produits industriels et pièces de rechange, mais s’étendra aux investissements publics prévus dans le Plan de soutien à la croissance économique.
“S’il n’y avait pas l’embellie pétrolière, le Fonds monétaire international (FMI) nous aurait conduit à privatiser de force, non pas des entreprises industrielles, mais des secteurs comme la téléphonie, l’eau, l’électricité et le gaz, qui sont des machines à sous”, soutenait Ouyahia en octobre dernier. C’est toujours Ouyahia qui explique : “Les structures de l’Etat n’ont jamais eu à gérer autant d’argent. Ceci a engendré du gaspillage, un comportement, je dirais, d’enfant gâté, en plus de l’existence de la corruption et de détournements, conjugués aux effets de la crise nationale que l’Algérie a subie, qui a fait que des groupes d’intérêts se sont renforcés et ont engrangés des gains illicites.”
Des analystes et personnalités politiques ont montré, depuis septembre derniers, leur inquiétude quant au sort qui sera réservé aux projets intégrés dans le Plan de soutien à la croissance économique (PSCE) si, par malheur, les prix du pétrole baissaient au-dessous d’un certain seuil.
Cependant, juste avant l’annonce par le président de la République, de l’amendement constitutionnel qui pourrait le faire élire dans un troisième mandat, des indices montraient une volonté du gouvernement d’établir un nouveau plan de développement quinquennal qui prolongerait le PSCE. Avec la nouvelle conjoncture mondiale qui pousse les Etats à des révisions déchirantes dans leurs politiques de développement, il n’est pas sûr que cet éventuel Plan bénéficie des atouts dont ont bénéficié les deux premiers Plans.
Un ‘’plan Marshall’’ pour lequel il n’y avait que…de l’argent
Depuis qu’il a été conçu et mis en œuvre à partir de 2005 par le gouvernement, le Plan de soutien à la croissance économique (PSCE) a suscité une adhésion exaltée chez certains et des réticences qui ne sont pas loin d’une opposition franche chez d’autres acteurs ou observateurs de la scène économique et financière du pays. Doté initialement de 50 milliards de dollars, ce ‘’Plan Marshall’’, que le président Bouteflika a défendu corps et âme pour, soutient-t-il, pouvoir rattraper les retards du pays en matière d’infrastructures, d’équipements publics et de projets structurants, a été vite revu à la hausse et son montant avoisine aujourd’hui 150 milliards de dollars, une somme que l’Algérie n’a pas investie depuis l’Indépendance du pays.
Dans son discours d’avril 2005 devant les cadres de la Nation, le président de la République explique ses choix économiques : “Il faut permettre aux ressources de l’État de prendre en charge la politique sociale à laquelle notre peuple est fortement attaché et que nous sommes également résolus à préserver au service de la justice sociale et de la solidarité nationale.” De même, il avait appelé, à la même occasion, à » lutter contre la vulnérabilité de l’économie avec une politique industrielle visant à la diversification et à la sortie du tout-pétrole Nous devons nous rappeler à chaque instant, avec préoccupation, que nos exportations sont constituées à 98% par les seuls hydrocarbures alors que l’ensemble de nos autres ventes à l’étranger est encore loin d’atteindre un seul milliard de dollars.”
Projet historique s’il en est, le PSCE intègre dans sa composante l’ensemble des activités économiques. C’est pourquoi, tous les départements ministériels sont concernés par la mise en oeuvre des investissements qui y sont projetés. Des affaires religieuses (mosquées, écoles coraniques) jusqu’à l’autoroute, le rail et les deux millions de logements, en passant par les salles de cinéma, les ouvrages hydrauliques, le développement rural, l’environnement, la santé, l’éducation, le réseau routier principal et secondaire, la PME-PMI, l’industrie, l’artisanat,…etc., aucun domaine de la vie des Algériens n’a été omis par ce Plan.
La vision qui a présidé à l’option d’investissements lourds de l’État s’articule essentiellement autour de deux préoccupations majeures : d’abord, rattraper les retards de développement en matière d’infrastructures et d’équipements publics, retards induits par l’application du Plan d’ajustement structurel (PAS) dicté par le FMI à l’Algérie comme ‘’prix’’ à payer à l’accord du rééchelonnement de la dette pendant les années 1990, et retards occasionnés aussi par le terrorisme qui a détruit plus de deux milliards de dollars d’infrastructures et équipements en plus du fait qu’il a été à l’origine du déplacement de centaines de milliers d’habitants des campagnes vers les villes. Ensuite-seconde raison-, les possibilités des investissements privés (nationaux et étrangers), longtemps souhaités et sollicités, ont été, et sont toujours, freinés par l’indisponibilité de certains équipements et infrastructures que seul l’État est en mesure de réaliser : routes, pistes, développement des ports et aéroports, électrification, adduction d’eau, raccordement au réseau de gaz,…etc. La vérité est que beaucoup d’entreprises privées-outre la bureaucratie légendaire de l’administration et l’archaïsme des banques publiques- ont été dissuadées d’aller investir dans des zones où l’assiette foncière pose problème, l’accès par la route n’y est pas assuré et la conduite de gaz n’est pas installée.
Profitant de l’aubaine des recettes pétrolières qui commençaient à monter en flèche depuis son accession au pouvoir en 1999 et de la relative maîtrise de la situation sécuritaire, le président Bouteflika a tenu à lancer un premier plan de développement appelé Plan de soutien à la relance économique (PSRE), puis un second programme, le PSCE, censé couvrir la période 2005-2009. A l’occasion de l’annonce de ce Plan, le président Bouteflika dira : “La richesse, ce n’est pas un coffre-fort plein, mais une économie vivante et dynamique, des Algériens qui trouvent à s’employer, un processus d’investissement continu, une consommation en expansion. Comment expliquer que les banques publiques qui disposent de liquidités évaluées, au bas mot, à quelque dix milliards de dollars, pratiquent des taux d’intérêt de 6,7% voire 8%, au moment où les investisseurs ont besoin de ressources financières ?”.
Ambitions et ambiguïtés
L’on se souvient que dès la première annonce de ce dernier programme, des voix se sont élevées dans les milieux universitaires et politiques, y compris parmi le personnel du gouvernement, pour demander l’établissement du bilan du premier Plan. En lieu et place d’un bilan chiffré et détaillé où toutes les dépenses sont censées être justifiées, on a eu droit à des généralités qui n’ont pas convaincu grand-monde. En soumettant la première tranche de 50 milliards de dollars du PSCE à l’examen de l’APN, ce fut le ministre des Finances de l’époque, Abdellatif Benachenhou, qui montra quelques réticences faisant valoir l’argument que nos entreprises de réalisation- déstructurées sur le plan financier et démunies en compétences et ressources humaines- n’ont pas les capacités nécessaires de prendre en charge les travaux que commande ce Plan. En tout cas, la suite des événements lui a donné raison, puisqu’une grande partie des segments de ce gigantesque programme sont pris en charge par des sociétés chinoises, canadiennes, turques, françaises,…et beaucoup d’entreprises algériennes sont réduites à la sous-traitance. Pour certains universitaires, la critique dépasse le simple constat de carence. Parfois, elle remet complètement en cause l’opportunité d’un tel Plan et prévient contre des conséquences qui seraient aussi décevantes que les résultats de tous les anciens plans de développement.
L’économiste Abdelmadjid Bouzidi, pour sa part, estime que, par rapport aux grands projets des années 1970, « la tâche est aujourd’hui plus complexe, la demande sociale ayant explosé et avec elle l’impatience des citoyens. D’autre part, les ressources humaines de qualité et expérimentées, capables de manager de tels projets, ont diminué. La question se pose alors de savoir comment gérer tous ces projets de manière efficace et coordonnée tant au plan technique qu’au plan financier. Les projets décentralisés, et ils sont les plus nombreux, sont les plus complexes à gérer, les Algériens connaissant le sous-encadrement qui caractérise nos collectivités locales. De leur côté, les entreprises algériennes de réalisation n’ont pas une réputation de performance et de compétitivité et l’immense marché qui est offert par l’État à l’occasion de ce Plan risque de leur échapper. Le multiplicateur jouera à l’extérieur. À moins que toutes nos entrepreneurs prennent conscience qu’il y a là, pour eux, une occasion qui ne se répétera probablement pas, de lancer, pour chacune d’entre elles, des programmes de mise à niveau et de redressement internes » (Le Quotidien d’Oran du 21 avril 2005). Concernant les structures de mise en œuvre du PSCE, Bouzidi propose une structure centralisée de suivi et de mise en œuvre plus consistance que celle qui avait conduit le premier programme de relance économique. Cependant, il se trouve que la majorité des projets inclus dans le PSCE sont décentralisés et confiés aux directions techniques des wilayas concernées. « Maturation des projets, mise en réalisation, suivi de chantiers, réception des ouvrages, toutes ces opérations exigent une grande compétence et une grande mobilisation des autorités locales. Pilotage central, vision globale et opérations et opérations de corrections nécessitent une structure centrale performante du suivi et de l’exécution. Ces conditions de bonne exécution des différents programmes ne sont, hélas, pas réunies aujourd’hui « , ajoute-t-il.
Ce que certains analystes reprochent clairement au Plan de soutien à la croissance économique, sans qu’ils s’y opposent frontalement, c’est l’absence de clarifications sur la politique structurelle que réclame une telle démarche. Comme l’explique Bouzidi, il s’agit de savoir comment faire accéder notre système économique à la modernisation de ses banques, à la mise en place d’un marché financier, à la modernisation de l’appareil judiciaire de façon à ce qu’il prenne en charge le domaine des affaires et à la formation qualifiante qui soit en adéquation avec nos ambitions économiques. Comme il s’agira aussi de hâter la mise à niveau des entreprises algériennes de réalisation.
Les lacunes stratégiques d’un programme
Le professeur Abdelhak Amiri, docteur en sciences de gestion (Université de Californie-USA) et P-DG de l’INSIM, juge que le budget accordé au PSCE est “excessif”. “Il aurait été plus judicieux de consacrer le un tiers (1/3) des montants du premier et second Plans à la qualification des institutions éducatives, universitaires et des centres de formation pour améliorer l’intelligence et les ressources humaines et pour parfaire la qualité des prestations des instituions de façon générale. Le deuxième tiers du montant aurait dû aller à la création du plus grand nombre possible de PMI-PME, structures à même de générer des richesses et des postes d’emploi. Seul le troisième tiers du montant aurait dû être consacré aux infrastructures de base. Si la gestion de ce Plan s’est effectuée de cette manière, l’Algérie aurait pu créer cent mille (100 000) PMI-PME en une année et non 25 000. A l’horizon 2009, on aurait créé un million d’entreprises. Ces entreprises sont les seules qui puissent contribuer à la réalisation d’un développement durable. Et puis, que se passera-il si le programme venait à s’arrêter ? On vivra une situation de misère. Le chômage s’élèvera à 25% par an en raison du passage direct de cinq cent mille travailleurs au statut de chômeurs et l’économie algérienne sera affectée par une récession dangereuse où les problèmes sociaux seront plus dangereux que ceux d’aujourd’hui.” (Voir le magazine El Khabar Hebdo (juin 2007).
Le professeur Amiri appelle à une révision du Plan par le président Bouteflika de façon à tenir compte des volets formation, recherche et créations de PMI-PMI en leur injectant des fonds supplémentaires. Le seul point positif relevé par le chercheur dans le Plan de soutien à la croissance est le payement anticipé de la dette extérieure.
Sur un autre plan, M.Amiri remet en cause les chiffres officiels relatifs au financement de l’économie par les banques publiques. « Les crédits bancaires en Algérie vont vers les entreprises non solvables et vers le financement des importations. Le gouvernement algérien, via les banques publiques, ne finance pas l’économie ; il finance l’importation. » Si les montants versés dans le remboursement de la dette extérieure pouvaient être consacrés à la créations des entreprises, le payement anticipé de la dette ne serait pas judicieux, soutient-il. Mais, sachant que cet argent serait ‘’gaspillé’’ dans l’importation et les crédits douteux, le remboursement de la dette s’avère la solution la moins préjudiciable selon M.Amiri.
Dans l’état actuel des choses, estime-il encore, « lorsque le gouvernement algérien met 100 milliards de dollars dans l’économie, 75 milliards vont à l’étranger. C’est pourquoi il aurait fallu créer des entreprises à même de bâtir une base économique pour absorber au moins la demande intérieure et pour que les autres peuples ne bénéficient pas de nos ressources d’une manière gratuite. » Sans mettre en branle un quelconque plan de relance, des pays comme la Tunisie, l’Égypte et le Maroc réalisent des taux de croissance de
5 à 6%. » Notre Plan de relance n’a pas de résultats extraordinaires. Je prévoie cette situation depuis la mise en œuvre du premier programme « , ajoute t-il. Plus de trois ans après la conception du PSCE, la controverse ne semble pas s’acheminer vers l’apaisement. Au contraire, elle sera alimentée une nouvelle fois par l’évolution de la scène financière internationale, la valeur dollar/euro et les cours du pétrole.
Le président Bouteflika et le gouvernement essayent, à travers la visite des chantiers éparpillés aux quatre coins du pays et à travers les chiffres officiels, de montrer le bon choix des pouvoirs publics. Sans remettre nécessairement en cause la bonne foi des autorités, des universitaires et des économistes relativisent les résultats obtenus et préviennent contre la fragilité et le manque de cohérence des lourds programmes d’investissement publics.
D’autres avis émanent d’instances internationales- à l’exemple du FMI-qui mettent en garde contre les risques d’inflation que peuvent générer de telles dépenses. Car la rentabilisation de ces investissements de façon à ce qu’ils deviennent producteurs de richesses et d’emplois peut prendre plusieurs années. Alors qu’il était officiellement estimé jusque l’année 2007 à moins de 3%, le taux d’inflation est monté, depuis le printemps dernier, à 4,3% selon les estimations de l’ONS. Le renchérissement de beaucoup de produits alimentaires au cours de ces deux dernières années est un signe qui ne trompe pas. Quelle sera la marge de manœuvre des autorités pour concevoir et mettre en œuvre un autre plan quinquennal, le troisième, dans une situation économique mondiale qui n’est plus celle du début de ce siècle ?
Amar Naït Messaoud