La Dépêche de Kabylie : Que faire pour éviter les fausses interprétations en travaillant sur l’anthroponymie et la toponymie ?
Saïd Toudji : On ne doit pas perdre de vue que l’anthroponymie et la toponymie sont des branches de l’onomastique, donc à la base, des sciences linguistiques. Ce qui veut dire qu’interpréter un toponyme ou un anthroponyme commence par une analyse linguistique, en identifiant la racine de base (en retirant les morphèmes grammaticaux). Pour dégager la racine de base et chercher les sens se rapprochant de celle-ci en inter dialectal. Enfin, il faut prendre le sens dans trois (au moins deux dialectes éloignés) dialectes. L’analyse doit être complétée par les éléments de la tradition orale (tradition, us, légendes et histoires…) relatives au nom du lieu ou de personne.
Dans le domaine berbère, Salem Chaker a tracé les grandes lignes d’une analyse linguistique complétée par les données de ses différentes sciences annexes.
Voulez-vous nous donner un exemple de la méthode d’analyse lexico-sémantique?
Cette méthode est basée sur le comparatisme interdialectal, en pratiquant le rapprochement lexical. En essayant, toutefois, de relier la racine anthroponymique (consonantique) à un terme récent, attesté au niveau des dialectes actuels (en intercalant des voyelles).
Si l’on ne trouve pas exactement les mêmes consonnes, on pourrait imaginer une altération phonétique, métathèse ou assimilation. L’analyse systématique de chaque anthroponyme de ce fait, est liée aux étapes suivantes :
1- Identification de la racine (structure consonantique du mot).
2- Elimination des morphèmes grammaticaux (Nom d’agent, factitif, etc.), puis intercalation de voyelles à la racine consonantique (pour essayer de rétablir la forme anthroponymique à analyser).
3- Chercher le sens en synchronie (comparatisme interdialéctal), en étudiant les variations phonético-phonologiques.
4- Chercher les racines ayant le même sens ou des sens rapprochés avec la racine qu’on étudie.
Cette méthode peut être illustrée par l’exemple suivant :
* IDR (CHB: 260).
* YDR : ≤il æ ≤
– YDR = Y-DR (il æ)
– DR = DR = vivre / ê. vivant / survivre / exister :
« Idir / dder / edder (Pan-berbère): (ZRD : 368-370; CHE : 130) » ;
DR = abaisser / baisser / descendre / diminuer : « Ader / uder / adder
(P.b.): (ZRD : 371-373/ CHE : 130);
DR = s’abriter; se mettre à l’abri de : « Dari / ddari (KAB: 153) ».
-« Il vit / (qu’) il vive »;
-« Il est abaissé/diminué »;
-« Il s’abrite ».
fi « Il vit / (qu’)il vive ». Forme rapprochable de l’actuel ≤ Yidir ≤.
Abréviations :
– ZRD = NAIT-ZERRAD (K.) : 1999 — Dictionnaire des racines berbères, (formes attestées) t. II (C-DSN), Paris-Louvin, Peeters.
– CHE : Chenoua.
Qu’en est-il de la microtoponymie ?
La microtoponymie est un domaine sensible et des plus conservateur, parce que fixé par l’oralité. Il est omniprésent dans l’imaginaire : l’imaginaire commun villageois…Il reste pérenne, c’est un domaine très conservateur où on peut trouver des traces et indices concernant l’évolution de la langue.
Propos recueillis par Kessi Ahmed