n Par Amar Naït Messaoud
Outre les famines frappant cycliquement ou durablement les populations de la région et les divers dommages subis par les infrastructures (routières, ferroviaires) et les constructions suite aux inondations, les changements qui affectent l’atmosphère du fait d’une politique industrielle inconsidérée est à l’origine, sur le continent africain, des ‘’migrations climatiques’’, un nouveau concept qui explique et affine une grande partie du phénomène de l’immigration clandestine dans le sens Afrique-Europe.
Ce drame qui connaît ses ‘’heures de gloire’’ depuis le début du nouveau siècle est en train de faire l’objet d’études assez poussées de la part d’experts et bureaux d’études spécialisés en sociologie, agronomie, économie, climatologie et géographie. Après l’historique agression coloniale dont les débuts remontent au 16e siècle, le continent africain est sans doute en train de vivre son second plus grand drame depuis sa constitution démographique en tant que continent habité.
L’étape d’Alger, permettant de dégager une position africaine commune face au reste du monde développé, est à considérer, selon les termes de Rhoda Peace Tumusine, commissaire à l’Agriculture et au développement rural à l’Union africaine, comme un jalon dans le processus de négociation mondial et des efforts consentis dans ce sens.
« Les espaces régionaux conviennent particulièrement à la négociation des mesures favorables au développement durable et à la lutte contre les changements climatiques », dira le président de la République dans le message adressé à la Conférence d’Alger sur les changements climatiques.
Message et limites d’une sensibilisation “folklorique”
En Algérie, les pouvoirs publics, les différentes institutions et le monde associatif donnent l’impression de se réveiller à la donne environnementale. Les séminaires et autres journées de sensibilisation destinées aux élèves- à l’image de la fameuse devise ‘’un enfant, un arbre’’- se sont multipliés au cours de ces dernières années sans que nous ayons l’assurance que le massage soit canalisé et bien perçu.
Le constat est accablant : en dehors des changements climatiques dont on ne peut quantifier tout de suite ni l’ampleur ni les retombées immédiates, l’Algérie s’expose chaque jour à l’insalubrité et aux phénomènes issus des conséquences d’atteinte à l’environnement dans son expression la plus ‘’domestique’’, c’est-à-dire loin des grandes industries polluantes. Même pour un observateur distrait, les différentes atteintes à l’environnement et au cadre de vie des Algériens ne relèvent plus du mystère. Elles sont observables aussi bien dans des quartiers urbains résidentiels, dans des centres limitrophes des zones industrielles et même, ô comble d’hérésie, dans les espaces de l’arrière-pays considéré naguère comme le dernier bastion de la pureté de l’eau, de l’air et des paysages. Cet espace immaculé a vécu la chute aux enfers au moment où les valeurs morales et civiques et la discipline générale subissaient une nette inflexion.
Au début de l’année 2008, la cimenterie de Meftah a fait parler une nouvelle fois d’elle, et pas toujours en bien malgré sa contribution à la réalisation du programme présidentiel d’un million de logements. Ce qui a toujours été considéré comme un problème de santé publique- à savoir les émanations poussiéreuses de cette unité industrielle- a ainsi fait l’objet d’un traitement ‘’politique’’ peu innocent. En effet, le groupe parlementaire du parti Ennahda à l’Assemblée populaire nationale avait donné lecture à une déclaration rédigée par le parti où il se fait le ‘’porte-parole’’ des citoyens de Meftah qui menaçaient de descendre dans la rue pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur le danger que représente la cimenterie pour la population. Les pétitionnaires firent observer que les électrofiltres ne jouent plus leur rôle et que cent-cinquante mille personnes seraient touchées, à un degré ou un autre, par les pathologies générées par cette pollution. En outre, les explosifs utilisés par l’unité de Meftah seraient à l’origine de plusieurs fissurations de maisons. Il est demandé à ce que des experts en santé publique et en environnement fassent le déplacement sur le site pour un diagnostic complet et objectif.
En tout cas, une vision panoramique d’Alger à partir de Sakamody ou des Deux Bassins (localités de Tablat dominant la plaine du Sahel) nous donne un premier aperçu du mouvement et de l’itinéraire de ces poussières. La poudre grise que, par méprise, on prendrait pour de la fumée montant d’un quelconque dépotoir ou d’un bosquet qui aurait pris feu, n’est en fait que le ‘’crachat’’ éternel de la cimenterie de Meftah. Elle se répand au gré des vents et elle est même devenue un appareil de mesure de la vitesse du vent et de la détermination de son orientation. Lors de l’arrivée du vent de provenance Sud-est (siroco), les volutes de la fumée de Meftah venaient naguère renforcer l’épaisseur de la fumée de l’ancienne décharge de Oued Smar où brûlait un dépotoir cyclopéen pendant plus de deux décennies. Le résultat, en s’en doute, est peu ragoûtant, à fortiori quant on se souvient qu’à quelques kilomètres d’ici le plus grand cloaque d’Algérie, l’Oued El Harrach, exhibe son ventre béant d’où s’exhalent les miasmes les plus fétides que l’on connaisse.
Une culture environnementale à réinventer
En dehors des écrits de la presse et des protestations des populations touchées par les phénomènes de dérèglement de la nature et de dégradation du cadre de vie, peu de recherches et d’études appropriées ont été consacrées à ces situations qui, par leur caractère délétère et inesthétique, remettent en cause l’équilibre général de l’environnement et du cadre de vie et rendent illusoire la politique du développement durable. Des cas d’éboulement de terrains réputés solides et bien ancrés, des cas de maladies infectieuses prenant parfois l’allure d’épidémies mortelles ou de maladies allergiques touchant enfants et adultes. On peut pousser les interrogations pour s’enquérir des raisons de la diminution des capacités de stockage de nos barrages et du retour de certaines pathologies, telles que la gale, la peste bubonique ou la tuberculose que seule la mémoire populaire a pu retenir des années noires de la misère et de la colonisation.
Les programmes de développement initiés depuis les années 1970 du siècle dernier se sont rarement préoccupés des aspects environnementaux. Le pays a subi de profonds changements par rapport à la période coloniale : nouvelles infrastructures, urbanisation effrénée,…Contrairement aux pays industrialisés, les critères environnementaux ne sont pris en charge qu’au cours de ces dernières années. Et encore, cela s’est fait généralement suite aux conditionnalités accompagnant certains programmes de développement financés par des institutions étrangères (PNUD, BIRD, FAO). Mieux vaut tard que jamais, ces tests commencent à donner leurs fruits en instaurant une certaine pédagogie dans le montage des projets, y compris ceux managés par des entreprises privées. Il devient de plus en plus impératif de faire accompagner n’importe quelle activité économique de ses variables environnementales dans l’objectif d’atténuer les effets ‘’secondaires’’ susceptibles d’être induits par les programmes de développement. En tout cas, pour la majorité des bailleurs de fonds, la sensibilité à l’aspect écologique du développement fait désormais partie du coût des projets qu’il importe de porter sur le tableau des devis en tant que rubrique générant une charge vénale incompressible.
Migrations des populations et stérilisation des espaces
Au cours des 19e et 20e siècles, la population, la propriété foncière, les modes de vie, les systèmes de production, la cellule familiale et la gestion de l’espace, en tant que lieu d’habitat et ressource primaire, ont connu de tels chamboulements que la pays s’est complètement métamorphosé. Les effets du capitalisme colonial ont été renforcés par certaines maladresses de la gestion postérieure, celle de l’Indépendance. De fond en comble, la relation avec la terre et avec ses éléments principaux (montagnes, ruisseaux, fermes, assiettes foncières, ressources naturelles) se trouve transformée. Le système colonial, dans une stratégie de cantonnement des populations indigènes, a construit des villes nouvelles, crée des usines, bâties des écoles et des infrastructures de desserte, comme il a institué le système de métayage qui avait réduit nos paysans à une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. À l’intérieur même des villes européennes nouvellement construites en Algérie, les poches de misère indigènes ont été circonscrites dans des quartiers dits ‘’arabes’’.
Des tâches sporadiques ou saisonnières (cueillettes d’oranges et clémentines, vendanges, arrachage de pommes de terres), des travaux exigeant une présence plus assidue (irrigation, labours, taille,…) ou des fonctions permanentes (machinisme agricole, construction, gardiennage,…) ont fait venir des milliers de personnes de la campagne déshérités vers les plaines fertiles, près des grandes villes. À l’ancien statut de célibataire est venu se substituer, quelques temps après, le statut de chef de ménage. C’est ainsi que des milliers de familles se sont déplacées au cours du 20e siècle, créant un vaste phénomène d’exode rural.
Sur le lieu d’arrivée, l’installation ne s’encombre pas de commodités ou de luxe qui, de toute façon, ne viendront jamais. Ce sont des chaumières en tôle de zinc, parfois des masures en pisé, sans sanitaires ni espace suffisant, qui vont constituer des ceintures de misère autour des villages coloniaux. Cette situation perdurera après l’indépendance du pays. Pis, au vu des promesses nourries par la révolution algérienne consistant à bannir le statut de khemmes et à réhabiliter le paysan algérien, d’autres ‘’fantaisies’’ allaient voir le jour du fait d’un déracinement effectif. Le statut de paysan a été dévalorisé au vu de son histoire déprécié pendant la colonisation. Il s’ensuivit une fonctionnarisation effrénée, tendant à se décomplexer vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale et, par-là même, à vouloir reproduire les mêmes schémas d’organisation et d’ascension sociale. Cette forme de ‘’stabilisation’’ a eu un effet d’entraînement par lequel d’autres contingents venus des campagnes ont décidé de s’installer dans les villes en rompant avec leur ‘’bercail’’. Des besoins nouveaux sont nés avec une telle situation de fait accompli : école pour les enfants, dispensaires, raccordement aux réseaux AEP, gaz et électricité, assainissement…Une façon comme une autre de régulariser implicitement une urbanisation anarchique. Cela va encore se renforcer avec l’ouverture de nouvelles routes et pistes de desserte, l’installation de magasins d’approvisionnement et parfois d’antennes administratives d’APC.
En matière de travail, les gens s’occuperont de tout sauf de l’agriculture : fonctionnariat, transport clandestin, petits ateliers de mécanique, épiceries, ventes de produits à la sauvette.
Et ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980 que le chômage, la délinquance juvénile, le banditisme, le commerce des stupéfiants et les autres comportements anti-sociaux nés dans ces favelas commencent à sérieusement inquiéter les pouvoirs publics et à intéresser les milieux intellectuels et universitaires. Ces espaces, autrefois lieux de production agricole malgré la discrimination salariale et la politique d’indigénat, ont été vite transformés en aires bétonnées, en grands cloaques d’eaux usées et en lieu de marginalisation d’où se fortifiera l’intégrisme religieux.
L’état de développement de culture environnementale dans notre pays n’a pas encore permis de médiatiser et de vulgariser les différentes facettes et variantes des questions environnementales (pollution urbaine ou campagnarde, domestique ou industrielle, chimique ou atmosphérique). Ce déficit d’ancrage de la conscience environnementale dans la société n’augure pas, du moins dans le futur immédiat, une gestion rationnelle et scientifique des territoires, des déchets domestiques, des rejets industriels et d’autres sortes de sources de nuisances.
Qui payera la facture des dérèglements ?
Les symptômes des effets du déboisement n’ont jamais été aussi visibles que lors des quatre dernières années. La presse a rapporté de tous les coins du pays des inondations et des éboulements qui ont touché les villes et les routes. La RN 5, au niveau des gorges de Lakhdaria, a été obstruée à plusieurs reprises en 2005 par des chutes de gros blocs déboulant à toute vitesse sur un terrain qui a perdu son ciment naturel, la végétation. Il en est de même de la RN 1 (Chiffa- Médéa) dans un espace faisant pourtant partie du Parc national de Chréa.
Ayant perdu son pouvoir régulateur du régime des eaux, le sol voit, du même coup, ses capacités de filtration réduites à néant, ce qui aboutit à une torrentialité accrue de l’écoulement des eaux créant des inondations au niveau des villes et des villages. Ce dernier phénomène est, bien sûr, aggravé par les constructions illicites sur les zones inondables des berges.
Le même phénomène est à l’origine de l’envasement des barrages, ce qui, à la longue, réduira fortement leur capacité de rétention comme c’est la cas pour le barrage du Ksob, touchant les wilayas de Bordj Bou Arréridj et M’sila. A ce propos, on ne peut que se réjouir de l’esprit de prospective et de l’Agence nationale des barrages et transferts (ANBT) qui participe désormais aux études tendant à mettre en œuvre un plan directeur de protection des bassins versants des nouveaux barrages construits.
Si le gaz butane et le gaz de ville suppléent à la disparition du bois, les autres vertus et bienfaits de la forêt ne sont pas vulgarisés dans nos écoles. Lorsque les programmes scolaires et les autres moyens de sensibilisation ne sont pas mis à contribution pour faire connaître les le rôle du tissu forestier dans la protection des sols, la production d’oxygène, l’absorption de l’oxyde de carbone et des poussières, la production de plantes médicinales, l’offre de pâturages et d’espaces de récréation et de loisirs,…etc., on ne peut pas demander au citoyen d’avoir la conscience écologique par ‘’décret’’.
L’Algérie a pourtant de beaux textes réglementaires et législatifs relatifs au domaine de l’environnement, de même qu’elle a signé toutes les conventions internationales y afférentes. Mais, apparemment, il y a loin de la coupe aux lèvres. Même s’il y a lieu de prendre acte de certaines initiatives- certes très cloisonnées dans leurs secteurs respectifs-, force est de constater que le meilleur des investissements n’est visiblement pas encore à l’œuvre : la formation du citoyen par l’école et par une culture environnementale conséquente à tous les niveaux. La mentalité rentière a pu inculquer l’idée du non épuisement des ressources et de la vanité de défendre des causes- comme la cause écologique- qui s’apparenteraient à une ‘’coquetterie intellectuelle’’. Les valeurs de l’environnement sont indubitablement celles de la civilisation et du civisme ; ce sont aussi les valeurs de l’économie et de la société modernes basées sur la rationalité, la bonne gouvernance et la veille technologique. L’environnement a un coût économique dont les pouvoirs publics ne peuvent faire l’économie. Mais, c’est aussi l’ensemble de la société qui est interpellé, avec le monde associatif, les élites scientifiques et universitaires, les élus, pour faire prévaloir une nouvelle culture bâtie sur un cadre de vie sain, un aménagement du territoire basé sur l’équilibre physique et biologique des ressources et une économie qui pourra soutenir, autant que faire se peut, les contingences de » l’entropie » issue de la mondialisation rampante. L’une des conséquences, et non des moindres, de ce processus de mondialisation est la ‘’mise en demeure’’ qui est adressée à des pays comme l’Algérie et à des continents comme l’Afrique pour parer aux répercussions des changements climatiques par tous les moyens, à commencer par celui d’aller en rangs serrés et de parler un seul langage face aux partenaires européens et américains. Ces derniers devraient être amenés à payer la plus grosse partie de la facture générée par les mise en place des différents dispositifs de prévention des effets des changements climatiques. Un défi que l’actuel rapport des forces à l’échelle internationale risque malheureusement de retarder ou de compromettre.
Amar Naït Messaoud
iguerifri@yahoo.fr
