Les vendredis mornes de Tizi

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Ruelles tristement vides et magasins fermés, telle est l’image qu’offre la ville des Genêts chaque vendredi, particulièrement dans l’après-midi puisque en matinée une certaine activité caractérise, plus au moins, les artères de la ville. La circulation routière devient aussi fluide au niveau de la ville mais aussi à travers les différents chemins qui y mènent. « Ah si c’était toujours comme ça ! », dira notre transporteur du jour, un commerçant exerçant dans la localité de Fréha. C’est que celui-ci qui est habitué de faire la navette Fréha- Tizi Ouzou pour le besoin de son commerce a parcouru le trajet en un petit quart d’heure. « Pendant les jours de semaine je passe presque une heure de temps pour faire cette distance », nous a-t-il expliqué. Il est vrai, en fait que la route était pour ainsi dire presque vide, en tous cas les habituels bouchons n’y étaient pas ce vendredi.

Circulation routière… très fluide

Seulement, il a fallu éviter un endroit qui connaît les encombrements immenses les vendredis. Il s’agit de la localité de Taboukert qui est connue ces quelques derniers temps par ses embouteillages à cause des ralentisseurs qui y sont installés. Ces embouteillages atteignent leur paroxysme les vendredis et pour cause un marché hebdomadaire se tient dans ce même village. A part ce lieu que les Ait Djennad de Fréha, de Timizart…ainsi que les Azazguis mais aussi les automobilistes de Mekla et même de Ain El Hammam ont appris d’éluder en empruntant le chemin de wilaya n°174, reliant la localité de Fréha à Tamda, le reste du chemin à parcourir pour parvenir à Tizi, de partance des différentes communes de la région est de la wilaya, ne bouillonnait pas du tout. Même constat concernant les autres régions des la wilaya qui deviennent subitement et en l’espace d’une journée, très proche de la ville des Genêts. « Franchement j’aime bien travailler les vendredis car la conduite est plus facile et les encombrements sont beaucoup moins nombreux, seulement il y a peu de passagers durant cette journée », ironisa un taxieur travaillant à Tizi-ville. C’est en fait, le même constat que formulent aussi les autres professionnels du transport, à savoir notamment les propriétaires de fourgon dont les stations ne connaissent pas des grandes affluences. « À part les jours de match de la JSK où l’on fait bonne recette, pour les autres vendredis il est plutôt préférable de rester chez soi », ironise un transporteur desservant la ligne Ouaguenoun- Tizi. Pour ce dernier, en fait, c’est surtout la bonne ambiance de travail qu’il partage avec ses collègues qui l’amène un vendredi dans la station « fuyant » ainsi son village. « Je ne vous cache pas que je viens ici pendant cette journée ou absolument rien ne bouge rien que pour passer des moments avec mes amis car dans mon village il y a absolument rien à faire », a-t-il poursuivi. Une explication pleine de sens qui en dit long sur ce que vivent les jeunes et moins jeunes dans les différents villages de la Kabylie profonde non seulement durant la journée « sacré » du vendredi mais aussi tous les jours de la semaine.

Une ville déserte !

A Draâ El Mizan, à Ain El Hammam, à Mekla, à Azazga ou dans les localités de la Kabylie maritime… La jeunesse est livrée au seul loisir des cafés maures, sinon les fléaux sociaux lui offrent l’unique alternative. Jadis, ces jeunes que berce la misère, descendent justement à Tizi Ouzou les vendredis rien que pour fuir la monotonie du village et pour se distraire après une dure semaine de travail. Les salles de cinéma « Djurdjura », « l’Algéria », le théâtre communal et la maison de la culture les accueillaient alors non sans enthousiasme. L’on se souvient encore des longues chaînes d’attente qui se formaient dès la matinée devant les guichets de ces cinémathèques et les bousculades qui s’en suivaient afin de réussir de s’offrir le fameux ticket permettant de suivre un quelconque film ou autre. Tizi grouillait en effet de monde particulièrement chaque vendredi qui constituait à cette époque pas si lointaine pourtant une véritable journée de repos pour les citoyens. Aujourd’hui, hélas, force est de constater que les rôles se sont inversés… C’est la ville qui se repose et se distrait, les citoyens, eux, s’ennuient à en mourir. Est-ce qu’on peut trouver dans le au monde un peuple qui a toujours hâte d’en finir avec son week end ! Nombreux sont les Kabyles en effet qui veulent sacrifier leur journée de repos en travaillant. Autrement dit, nombre de villageois espèrent faire comme ce transporteur de voyageur tellement ils ne trouvent pas grand-chose à faire d’amusant. D’ailleurs, les plus chanceux passent leur journée de repos à bosser dans leurs champs ou à faire de petites bricoles chez eux, question de tuer le temps en attendant le samedi. Tizi Ouzou « qui avance » n’offre plus de moyens de distraction aux villageois comme elle le faisait auparavant.

Le comble, c’est que, même les magasins se ferment. En fait concernant ces derniers c’est la relation de cause à effet comme l’explique si bien un commerçant. « Pour qui dois-je ouvrir un vendredi, il n y a pas de monde alors autant fermer boutique et rester à la maison ! », dira celui-ci. Il s’agit bien d’un jugement que peuvent partager plusieurs commerçants.

L’absence de lieux de loisirs, l’islamisation en toile de fond…

En fait, plusieurs paramètres dont-il faut tenir compte pour faire du vendredi de Tizi, monotone comme il est devenu aujourd’hui. Il y a eu d’abord la fermeture pour une raison ou une autre des différentes salles de cinéma. La rescapée de ces dernières, à savoir la maison de la culture ne reçoit pas des activités chaque vendredi. La délocalisation des différents marchés hebdomadaires qui se tenaient au niveau ou à proximité de la ville des Génêts vers d’autres cieux a compté pour beaucoup dans cette situation. L’illustre marché « des immigrés » attirait rien que pour lui des centaines de personnes, notamment les jeunes. Les adultes ne pouvaient pas pour leur part, passer un vendredi sans faire un tour du côté du marché des fruits et légumes qui se tenait pratiquement dans le même endroit. D’ailleurs, les localités qui ont eu l’honneur de recevoir ces “souks” ne désemplissent pas durant les vendredis, à l’instar des localités de Tala Athmane et de Taboukert. « Qu’est ce que je vais faire à Tizi un vendredi ? Tout est fermé, ma prière je la fait à la mosquée du village » nous dira un villageois de la commune de Larbaa Nath Irathens que nous avons joint par téléphone juste comme ça, vendredi dernier, lui demandant s’il était à Tizi. En outre, on doit citer également dans ce registre l’invasion de certains idéaux islamistes qui se sont confortablement installés dans les autres villes du pays influençant les coutumes kabyles. « Je ne vois pas l’utilité de fermer les portes de son magasin le vendredi pour se consacrer rien que pour la prière d’“el djoumoua.” Je suis moi-même pratiquant et je fais la prière mais en son temps, comme on le faisait jadis », déplore un sexagénaire. En tous cas et à l’instar des autres vendredis Tizi s’est vite vidé de sa substance avant hier. Il était presque midi et les quelques magasins ouverts en matinée commencèrent à baisser rideaux. Il restera toutefois quelques-uns, parmi eux des pâtissiers surtout, qui « assurent la permanence » durant toute la journée, et ce au grand bonheur d’un quelconque passager qui se hasarderait dans le coin. En tous cas, il faudra bien faire une véritable gymnastique, comme le dira l’autre, pour trouver un restaurateur par exemple ou une cafétéria ouverte durant l’après-midi.

Trouver un restaurant ouvert, un vrai casse-tête… “chinois”

C’est ce que nous avons pu vérifier lors de notre tournée effectuée à cet effet vendredi dernier. « Le comble c’est que certains de ceux qui ouvert les vendredis ne servent pas les clients au moment de la prière, nous fera remarquer un des fonctionnaires assurant la permanence au sein et son entreprise. Les artères de la ville étaient quasiment vides. Nonchalamment, les Chinois continuaient, eux, à terminer le projet d’aménagement et revêtement des trottoirs qui leur a été confié. Ce vendredi, ces derniers étaient du côté de la maison de la culture et du jardin public Mohand-Oulhadj où ils travaillaient d’arrache-pied sous les regards des rares passants.

M.O.B.

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